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PSYCHO: pourquoi vous ruminez dès que la nuit tombe ?

Justine Rossius Journaliste
Ana Michelot Journaliste

C’est lorsque la lumière de la chambre s’éteint que vos pensées s’animent et que débutent les ruminations nocturnes, mais pourquoi notre cerveau nous joue-t-il ce genre de tour? Et surtout, comment faire pour y remédier?

Vous tapotez votre oreiller, en vain. Vous vous retournez, en vain. Vous sortez des draps, vous y glissez encore… en vain. Rien n’y fait. Vous voulez dormir, mais votre cerveau a décidé de faire la java avec des pensées fixes et des ­cogitations incessantes. La nuit, le flot ininterrompu d’idées noires peut vous submerger et vous empêcher de dormir pendant des heures, ­généralement jusqu’à 5 minutes avant la sonnerie de votre réveil. Tout simplement, parce que quand le soleil se couche, contrairement à la journée, rien ne peut vous distraire et vous faire sortir du mental. Pourquoi en est-il ainsi et que pouvons-nous faire pour y remédier? Pour trouver une réponse, il faut commencer par le commencement, c’est-à-dire par se poser la question suivante: pourquoi ruminons-nous?

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Wendy De Pree, psychologue et thérapeute ­comportementale « On peut ­supposer que la rumination est un phénomène évolutif qui trouve son origine dans l’idée que, pour survivre, nos ancêtres devaient réfléchir aux erreurs qu’ils avaient commises. Si vous veniez d’échapper à l’attaque d’un tigre, il était crucial d’y réfléchir, dans le but de survivre à une ­attaque similaire la prochaine fois – c’était notre seule fonction à l’époque. Où les choses avaient-elles mal tourné? Telle était la question à se poser. N’avais-je pas entendu le grognement au loin, avais-je mal évalué le danger? M’étais-je enfoui trop tard? De tous ces facteurs, il fallait tirer des leçons de survie, mais il n’y avait pas de place pour une réflexion sans fin, car il n’y avait qu’une seule option: courir pour sauver sa peau! Aujourd’hui, les choses sont un peu différentes. Avec des options abondantes et un accès à des informations ­inépuisables, nous nous noyons dans des ruminations. On peut passer des heures à se demander ce qu’on aurait dû dire ou faire, comment notre réunion risque-t-elle de se dérouler, que pense telle ou telle personne de nous… Ce sont des questions ­auxquelles nous n’avons pas de ­réponse. La réflexion était autrefois utile pour trouver des solutions, mais aujourd’hui nous nous débattons avec des pensées insolubles. Nos ­cerveaux évolués n’en ont plus ­l’utilité. Il est donc inutile de ruminer. Si vous ne trouvez pas de solution, arrêtez. À cet égard, un carnet de ­réflexion à portée de main est une bonne idée: écrivez vos pensées et réflexions et s’il s’avère que vous ne trouvez pas de solution, sortez-les de votre esprit. »

Le cercle vicieux

Parfois, on a l’impression qu’une ampoule s’allume dans notre tête et que quelqu’un nous donne le feu vert pour cogiter, mais ces ­ruminations mènent-elles à quelque chose de constructif? La psychologue : « L’inquiétude est en fait destinée à prendre le contrôle, mais elle ne donne qu’un faux ­sentiment de contrôle et de sécurité. On s’imagine qu’il est utile de ­réfléchir à tout en amont, mais cela demande une énorme quantité d’énergie et provoque du stress, ce qui épuise, en plus de rendre apathique et anxieux. On essaye alors de résoudre nos soucis, avec le stress et la fatigue engendrés. Ce qui nous entraîne dans une spirale négative. Un cercle vicieux de cogitation. »

Fanny « Je m’inquiète constamment de l’avenir. Je me fais du souci pour ma carrière, mes relations, mes finances et ma santé. L’incertitude m’empêche de dormir et me fait douter de moi-même et de mes choix. Je réfléchis sans cesse à ce qui pourrait arriver et à la manière de réagir. »

Élise « Je suis récemment passée du statut d’employée à celui d’indépendante. Il m’arrive souvent de ne pas pouvoir dormir la nuit à cause de mon anxiété à ce sujet. Je m’inquiète constamment de ce qui pourrait arriver et de ce qui devrait arriver. C’est un acte de foi et l’avenir est incertain. J’essaie de me concentrer sur ce que je veux réaliser en tant qu’indépendante et j’élabore un plan pour y parvenir. J’espère qu’avec le temps, je parviendrai à trouver la paix. »

Lisa « Chaque nuit, je reste éveillée, angoissée en réfléchissant à ma carrière. Je me demande si j’en fais ­assez, si je vais atteindre mes objectifs... J’ai essayé une fois de faire une méditation guidée avant de me coucher, mais cela n’a fait que me rendre plus nerveuse. »

Dona « En tant que maman, je reste éveillée la nuit en m’inquiétant pour mes enfants. Je me demande si je suis une bonne mère et si je fais assez pour les rendre heureux. Et puis, je me tracasse aussi pour des aspects pratiques: y a-t-il encore du pain pour demain matin? Et les fruits ? Cela aide de s’épancher auprès d’autres parents, parce qu’en fin de compte, je réalise que c’est un peu la même chose partout. »

Alya « Quand le soleil se couche, je réfléchis à mon couple. Nous avons eu tellement de conflits ces derniers temps, je ne suis pas sûre que nous soyons vraiment faits l’un pour l’autre. Je me demande alors si c’est ce que je veux, tout en craignant la solitude. En parler avec lui pourrait être une ­solution, mais je n’ose pas. Encore moins le soir. »

Carine « La nuit, mon ­esprit est envahi par des soucis financiers. Les factures s’accumulent et je me demande comment je vais pouvoir tout payer. Je pense alors à des moyens pour établir un budget et gagner plus d’argent, mais je ne fais rien pendant la journée. Et puis le soir je m’inquiète dès que je vais me coucher. »

Dorothée « Mon père est gravement malade et les inquiétudes à ce propos m’empêchent de dormir. Je me ­demande sans cesse comment je peux ­m’occuper de mes parents. J’essaie d’agir pendant la journée, en leur apportant une aide supplémentaire, mais l’anxiété pendant la nuit demeure. »

Malika « Je peux me préoccuper à outrance de ce que les autres pensent de moi. Je me sens constamment jugée et je suis dure envers moi-même. Récemment, j’ai entamé une thérapie parce que cela prenait des proportions bien trop importantes à mon goût, surtout pendant la nuit! »

Mais alors, pourquoi nous ­sabotons-nous en nous inquiétant encore plus la nuit qu’à d’autres moments?

La psychologue : « Puisque nous sommes en général occupés toute la journée, la nuit semble être le ­moment idéal pour réfléchir. Ce cercle vicieux fait qu’à un moment donné, l’esprit prend l’habitude de se ­focaliser sur le négatif. Dans le cas d’une adaptation dite active, vous commencez à demander de l’aide, à vous attaquer activement aux ­problèmes pendant la journée, à changer d’option, à vous ­reconditionner et à trouver une ­solution. En revanche, une adaptation passive, qui intervient souvent la nuit, n’est pas utile et vous pousse à ­continuer à vous torturer l’esprit, à ne pas demander d’aide et à penser à des choses sombres uniquement. Il peut donc être utile de se ­concentrer davantage sur les aspects positifs au cours de la journée et d’en tenir compte au moment de se coucher. La gratitude fonctionne très bien à cet égard: le soir, au lit, vous pouvez penser à 3 choses pour lesquelles vous vous sentez ­reconnaissante, qu’elles soient petites ou grandes. C’est le meilleur moyen de renforcer les voies cérébrales ­positives et de maintenir cette ­positivité. »

Seul·e dans le noir

Beaucoup de gens trouvent que tout est plus effrayant une fois la nuit tombée. Il n’est donc pas anormal que nos problèmes semblent aussi plus terrifiants la nuit, qu’ils prennent plus ­d’importance et semblent ­insolubles. Y a-t-il une explication à cela?

La psychologue : « La raison pour laquelle tout semble pire la nuit est que vous ne disposez pas de soutien social à ce moment-là. Quand ça ne va pas, il est très important que quelqu’un vous dise quelque chose de rassurant comme: « Non, ce n’était pas du tout ça, tu l’as très bien fait. » Ou encore: « Oui, tu es et tu seras ­toujours mon amie et ce, même si on s’est embrouillé il y a quelques jours. » Ce genre de phrases, toute simples, permet à l’esprit de s’apaiser ­rapidement, mais la nuit, elles sont absentes. Vous restez alors seule dans le noir, ce qui ne fait qu’empirer les choses. On est plus anxieux dans ces moments-là, on est seul, on ne veut pas réveiller son partenaire et on n’ose appeler personne. Après tout, on sait que les autres sont aussi fatigués la nuit et moins enclins à vous soutenir à ce moment-là. Rien de tout cela n’aide à se sentir mieux. » Et que dire de ce sentiment de précipitation qui accompagne le fait de broyer du noir, de se retourner et de sembler plus actif qu’on ne l’a jamais été au cours d’une journée?

La psychologue : « La réflexion n’est pas seulement un processus mental, il se passe aussi quelque chose sur le plan physique. La partie de votre cerveau qui vous permet de penser de manière rationnelle et axée sur les solutions se met également en veille la nuit. En revanche, la partie du cerveau qui se charge de traiter les émotions reste éveillée. Comme cette partie ne peut plus atténuer les émotions, vous passez en mode stress et produisez des quantités ­supplémentaires d’adrénaline. Vous voulez vous en débarrasser, car vous voulez dormir au lieu de vous agiter et de vous retourner. Concentrez-vous sur votre respiration, méditez, utilisez le carnet de réflexion ou réfléchissez à vos besoins sous-jacents et à ce que vous pouvez faire pour les combler. » Les ruminations nocturnes ont-elles aussi des aspects positifs?

La psychologue : « Parfois, oui, parce qu’en s’arrêtant un moment, on peut aussi en apprendre plus sur soi et sur la façon de gérer certaines choses dans la vie. C’est cela la résilience et, en fait, il s’agit de déployer cette résilience au bon moment. »

Prévenir les ruminations

La psychologue Wendy De Pree donne quelques ­astuces pour ­prévenir les ruminations nocturnes:« Il n’y a pas de formule magique et chaque personne doit trouver ce qui lui convient le mieux. Il est toujours nécessaire d’examiner ce qui vous aide ou ne vous aide pas à un niveau purement subjectif. Il est aussi important de vous poser cette ­question: qu’est-ce que mon anxiété essaye de me dire? Vous trouverez peut-être des besoins sous-jacents qui attendent d’être nourris et ­pourrez chercher des solutions. De préférence pendant la journée! »

Trouver des distractions

Faire une promenade, de préférence dans la nature, permet de retrouver le calme, d’établir des liens et de réduire les inquiétudes. La fonction cérébrale qui filtre les informations en fonction de leur importance fonctionne alors mieux, ce qui vous aide à relativiser les choses. Vous pouvez aussi appeler un·e ami·e, qui peut vous aider à ­relativiser. Faites un gâteau, chantez en écoutant la radio, faites quelque chose pour réapprendre à vous ­engager d’une autre manière au lieu d’être constamment dans votre tête. Prévoyez des moments de détente au cours de votre journée. Faites des pauses régulières tout au long de la journée pour vous ­détendre et pratiquer des activités qui vous plaisent. Se détendre et s’amuser ­régulièrement peut réduire le stress et le risque d’anxiété nocturne. Vous n’avez pas le temps de faire des choses amusantes, mais vous devez patienter 5 minutes dans une salle d’attente? Dans ce cas, ne faites rien pendant ce temps au lieu d’attraper immédiatement votre téléphone ­portable pour scroller.

Au cours de la journée et à un ­moment où vous avez l’esprit clair, fixez un – ou plusieurs – temps de réflexion. Les recherches montrent que si vous n’avez pas trouvé de ­solution à votre problème après un quart d’heure, vous n’en trouverez pas non plus après cent quarts d’heure. Il est donc important de limiter cette rumination et de contrôler d’ores et déjà la durée pendant laquelle vous ruminez au cours de la journée. Car vous ne pouvez pas arrêter vos ­pensées, mais vous pouvez choisir le temps que vous leur consacrez. De cette façon, vous reprenez le contrôle.

Tentez d’avoir un environnement le plus confortable possible

Créez un environnement propice au ­sommeil. Veillez à trouver la ­température qui vous convient, à vaporiser une odeur qui vous ­réconforte. Si nécessaire, investissez dans un matelas et des oreillers confortables pour favoriser une bonne nuit de sommeil. Surtout, n’oubliez pas: il y a un endroit pour réfléchir (pas votre lit) et un endroit pour dormir (votre lit).

Éteignez les écrans

Limitez votre exposition aux écrans tels que les smartphones, les tablettes et les ­ordinateurs au moins une heure avant le coucher. Ce n’est pas tant à cause de la lumière bleue qui ­perturberait le sommeil, car il est scientifiquement prouvé que ce n’est pas le cas. C’est surtout le flux ­incessant de stimuli qui vous maintient éveillé·e. C’est fatigant pour la tête. La télé vous aide à vous ­détendre? Alors regardez-la. Ce n’est pas le cas? Éteignez-la.

Quand les ruminations ne s’arrêtent pas

Vous pourriez passer des heures devant Netflix ou devant votre frigo, à dévorer tout ce que vous y trouver de comestible, mais avouez que ce ne sont pas des solutions durables pour arrêter de broyer du noir la nuit. Que faire alors? La psychologue: « Il y a des choses que vous pouvez faire pour arrêter de ruminer. Essayez ces exercices ­calmement et patiemment. Il vous faudra peut-être un peu de temps pour trouver celui qui vous convient le mieux, mais avec de la constance et de la pratique, ces exercices pourront vous aider à réduire vos ruminations nocturnes et vous permettre de ­passer une meilleure nuit de sommeil. »

La méditation

Le yoga nidra est une méditation guidée (disponible sur Spotify) dans laquelle une voix dit continuellement: vos orteils ­deviennent lourds, vos mollets deviennent lourds, vos chevilles ­deviennent lourdes... Et ainsi de suite de la tête aux pieds. Cette méthode s’avère utile, car elle vous ramène à chaque fois à votre corps au lieu de vagabonder dans vos pensées pour ensuite vous rappeler de vous concentrer sur votre respiration. La visualisation Visualisez une scène ou un lieu apaisant, comme une plage tranquille au coucher du soleil ou une promenade sereine en forêt. Imaginez-vous là-bas et essayez d’imaginer tous les détails sensoriels pour distraire votre esprit des pensées qui le rongent.

Les techniques de respiration

Faites des exercices de respiration profonde pour calmer votre corps et apaiser votre esprit. Inspirez ­lentement par le nez en gonflant le ventre, maintenez la respiration pendant quelques secondes, puis expirez lentement par la bouche en rentrant le ventre. Répétez l’exercice plusieurs fois. L’écriture Notez vos réflexions dans un carnet. Une fois couchées sur papier, vos pensées pourront plus facilement sortir de votre tête. Ne le faites pas le soir dans votre lit, mais pendant la journée, à un moment où vous vous ennuyez. Vous ruminez encore la nuit? Prenez alors vos ­distances par rapport à ces pensées en les notant dans le carnet sur le moment-même. Ensuite, glissez le carnet sous votre lit ou dans une armoire pour qu’il disparaisse symboliquement de votre vue.

La bienveillance

Que diriez-vous à votre meilleure amie si elle broyait du noir? On parie que vous tiendriez des propos réconfortants comme: « Tu ne dois pas régler ces problèmes maintenant. Demain est un autre jour’. Parlez à vous-même comme à un·e ami·e. »

L’aide de professionnels

Si la rumination nocturne est un ­problème récurrent qui interfère avec votre sommeil et qui impacte votre ­fonctionnement quotidien, ­demandez l’aide d’un·e ­professionnel·le, comme un·e ­psychologue ou un·e thérapeute, qui pourra vous aider à gérer vos ­inquiétudes et votre anxiété. Il est inutile de tergiverser. Si vous ne trouvez pas de solution, arrêtez d’y penser! Il peut être utile de se concentrer davantage sur les aspects positifs au cours de la journée et d’en tenir compte avant de se coucher. Il y a un endroit pour réfléchir (pas votre lit) et un endroit pour dormir (votre lit). Pensez à ce que vous diriez à une amie qui broie du noir et dites-vous: « Tu n’as pas à résoudre le problème maintenant. Demain est un autre jour .»

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