Poster des photos parfaites de soi ou respirant le bonheur, même si ce n’est qu’une illusion, et ce dans le but de blesser quelqu’un qui nous a fait mal. Ce principe a un nom, le revenge posting et s’affirme comme une nouvelle forme de vengeance. Mais laisse-t-il un goût de douce victoire ou plutôt d’amer faux-semblant?
Eté 1994. Le Prince Charles vient d’admettre avoir trompé sa femme Diana avec Camilla Parker-Bowles, sa maîtresse depuis plus de 20 ans. Le même jour, Lady Di apparaît dans une petite robe noire devenue depuis iconique, lors d’une fête organisée par le magazine Vanity Fair. Un modèle fourreau à épaules dénudées, rapidement baptisée revenge dress, (robe de vengeance) par la presse, car elle vise à montrer au prince tout ce qu’il perd du fait de sa trahison. Début 2023. Shakira dévore tout cru son ex Gerard Piqué, avec une chanson dans laquelle elle incendie sa nouvelle petite amie, affirmant qu’il a «troqué une Ferrari contre une Twingo». Attaque à laquelle a répondu quelques jours plus tard le footballer, circulant à bord du fameux modèle signé Renault. Il y aussi Khloé Kardashian qui, dans le programme télé Revenge Body donne l’occasion à des femmes de se venger de leur ancien compagnon en obtenant un corps de déesse. Et aujourd’hui, il existe un moyen des plus simples pour tout à chacun de rendre la monnaie de sa pièce à l’être qui a brisé son cœur: les réseaux sociaux. Une revanche numérique, qui peut aussi se présenter comme un moyen de montrer son nouveau bonheur et de déclarer au monde qu’on est bien plus heureux·se sans celui où celle qui nous a trahi·e. Ou du moins comme on semble l’être. Car ce revenge post pourrait bien affirmer en réalité l’inverse de ce que l’on souhaite…
Ecchymoses au cœur
Blesser quelqu’un comme il nous a fait mal, un désir qui taraude probablement chacun·e de nous à un moment ou un autre. Mais, la différence intervient alors dans la manière dont on gère ce sentiment. Passez-vous à l’acte ou non? Et qu’est-ce qui vous amène à le faire ou au contraire à vous abstenir? Et surtout, pourquoi est-il si tentant de se venger? «Lorsqu’une personne nous fait souffrir, on en est souvent profondément affecté·e. Cela entraîne un sentiment d’injustice, face auquel nous cherchons un moyen de rétablir l’équilibre. Et l’une des façons d’y parvenir est la vengeance», explique Uschi Poesmans, psychologue clinicienne et thérapeute comportementale. «Ce besoin de prendre sa revanche est en partie lié à l’impact que les évènements négatifs du passé et du présent ont sur nous. Tout le monde ne considère pas ce principe comme une option et ceux qui le font sont souvent meurtris d’anciennes blessures et le bagage émotionnel qu’ils portent. Ils ressentent encore les échos de douleurs qui peuvent remonter à l’enfance. Pour aborder ce problème, il est utile de travailler sur la thérapie des schémas et sur ce que l’on appelle les ‘lunettes de distorsion cognitive’ qui modèlent notre vision du monde en fonction de notre réalité intérieure. Prenons un exemple: Oscar est un bébé d’un an seulement, n’ayant aucune idée de ce à quoi ressemble le monde. En grandissant, il façonne sa perception en fonction de ce qu’il voit, entend et expérimente, particulièrement à travers le prisme de son environnement immédiat. Ses expériences sont donc multiples. Et en parallèle, bébé Oscar a, comme tout un chacun, des besoins fondamentaux, tels que la sécurité, la connexion aux autres, la protection, l’autonomie, le jeu, l’expression des émotions et la nécessite d’avoir limites établies. Si ceux-ci ne sont pas satisfaits de manière saine durant l’enfance ou plus tard, des traumatismes et difficultés émotionnelles risques de se développer. Et dès lors, une fois atteint l’âge adulte, si certaines peines viennent appuyer sur ces ‘ecchymoses psychologiques’, Oscar sera enclin à y réagir plus fortement que d’autres. Les personnes qui sont les plus susceptibles de se venger sont celles qui souffrent de ce type de blessures pour de multiples raisons, comme le divorce de leurs parents, la trahison d’un meilleur ami d’enfance, le harcèlement scolaire ou tout autre déclencheur émotionnel. Lorsque vous êtes en souffrance et qu’on appuie pile là où ça fait déjà mal, vous pouvez être amené à agir de manière impulsive et purement émotive, passant ainsi en ‘mode enfant’ à la place d’une perspective plus raisonnée d’adulte. En vous concentrant sur l’autre, vous évitez ainsi de ressentir votre propre douleur et vous tentez alors de lui faire vivre le même calvaire que le vôtre, en mode: un donné pour un rendu. Les caractéristiques de la personnalité et les stratégies d’adaptation peuvent aussi jouer un rôle dans cette faim de revanche. Si, petit·e, vous n’avez jamais appris à réagir de façon adéquate à des situations difficiles, vous pourriez bien continuer à avoir du mal à le faire une fois devenu adulte.
Ce besoin de vengeance est donc à l’interaction complexe de l’histoire personnelle, du bagage émotionnel et des mécanismes de défense et d’adaptation. Mais, en comprenant d’où provient ce désir de riposter, nous pouvons devenir plus conscients de nos sentiments et de notre fonctionnement et dès lors trouver une façon plus saine de gérer l’injustice.
Trouver une manière saine de répondre à l’injustice semble être une bonne chose. Mais cela procure-t-il également la satisfaction espérée? Alors que cette douce vengeance apporte, elle, la dose de consolation et de jubilation dont on a justement besoin dans ces moments difficiles. Uschi Poesmans «La vengeance n’apaise pas vraiment la peine que l’on ressent. Au contraire, elle l’amène souvent à perdurer plus longtemps. Lorsqu’on souffre, on ne réagit pas toujours de la manière la plus mature ou équilibrée. Et on entre alors dans un mode de ping pong entre des réactions infantiles et adultes. Votre cœur d’enfant est blessé et en colère et votre esprit d’adulte vous amène à être dur avec vous-même et à culpabiliser. Vous souhaitez mettre fin à ce conflit intérieur, mais au lieu de le faire par le biais d’une stratégie d’adaptation saine, vous surcompensez. Vous cherchez à montrer que vous vous sentez bien et publiez des messages vindicatifs sur les réseaux sociaux. Ce qui procure un sentiment momentané de soulagement. Comme d’affirmer: «Je ne veux plus ressentir ces émotions et si je prétends le contraire et qu’elles n’existent pas, l’enfant malheureux en moi peut souffler un peu.» Le problème est que ce processus nécessite d’être souvent répété pour fonctionner. La souffrance et la rage restent bloqués derrière une façade de bonheur. Mais sous la colère se cachent souvent une peine bien plus profonde, que nous ne parvenons pas à exprimer. Nous prétendons que tout va bien, tandis que sous la surface la douleur gronde et continue de croître. À la manière d’une balle qu’on tente de maintenir sous l’eau, il faut un effort constant pour qu’elle reste dans le fond et plus on l’y pousse profondément, plus fort elle remonte ensuite à la surface pour vous frapper au visage. Nous pouvons tenter d’échapper au chagrin, mais il finira par nous revenir comme un boomerang et avec d’autant plus de violence. Il faut travailler sur soi et sur son deuil. On ne peut l’ignorer éternellement.»
Mécanismes d’adaptation
Introspection et deuil, on est loin du post fait en quelques secondes avant de l’uploader sur Instagram. Et si vous vous lancez dans ce processus, il est important d’adopter d’emblée les bons mécanismes d’adaptation. Uschi Poesmans: «Il existe des stratégies d’adaptation alternatives qui peuvent nous aider à gérer nos émotions de manière plus saine. Le principe de base est de comprendre que vous avez le droit d’être en colère. Nous utilisons souvent des mécanismes de défense pour éviter celle-ci ou notre chagrin, mais en réalité, il est important de nous autoriser à la ressentir. C’est une émotion qu’il est normal de vivre. Mais ce n’est pas pour autant que nous savons comment y faire face.
Le premier et le plus important conseil à donner est de vous autoriser à être en colère et de comprendre d’où elle vient. C’est une étape essentielle pour arriver à apprivoiser vos émotions. Et l’exprimer de manière constructive peut vous aider dans cette voie.
Avoir une conversation à cœur ouvert avec des ami·e·s ou des proches peut ainsi vous faire du bien ou simplement crier un bon coup et laisser sortir à haute voix toute cette rage. Vous avez le droit d’exprimer ce que vous ressentez. C’est la première étape vers la cicatrisation de vos blessures. Plutôt que de se venger, ces options offrent à la place l’opportunité de communiquer et d’accepter la vague de nos émotions de manière saine. Affirmer ses sentiments et les comprendre au lieu de rendre les coups, conduit à un meilleur bien-être émotionnel et à une vraie guérison. Et si cela vous semble trop difficile à réaliser seul·e, n’hésitez pas à faire appel à un psychologue. Je le vois en pratique, la thérapie des schémas peut vraiment aider. Et cela ne se révèle pas forcément difficile.»
L’illusion des réseaux sociauxIl est évident que le commun des mortels ne peut pas prendre d’assaut les charts et les radios avec une revenge song où se faire photographier dans une tenue éblouissante, par une horde de paparazzis. Pour se venger efficacement et avec un maximum de visibilité, les réseaux sociaux semblent dès lors être le lieu – virtuel -idéal. Le principe? Alors qu’on est blessé·e ou en colère, on prend des photos de soi respirant le bonheur et les publier dans l’espoir qu’elles soient vues par les bonnes (comprendre les mauvaises) personnes. Uschi Poesmans «En publiant ce type de clichés, l’on tente de créer l’illusion de la perfection, pour ne pas afficher la douleur que nous ressentons réellement. Nous souhaitons convaincre les autres et parfois nous-mêmes que nous nous sentons parfaitement bien et joyeux, or c’est tout le contraire. C’est une façade qui vise à cacher notre vulnérabilité. Mais cela n’est pas innocent. En tentant de préserver les apparences et masquer nos blessures, nous augmentons progressivement la pression pour maintenir ce vernis. Et il faut constamment entretenir cette image idéalisée, ce qui peut conduire à d’autant plus de stress et de frustration. En montrant de véritables émotions en ligne – sur les réseaux sociaux ou ailleurs – et en partageant une certaine vulnérabilité, vous pourrez établir un lien plus sincère et profond avec les autres. Ainsi, au lieu d’utiliser ces plateformes online pour nous venger, nous devrions plutôt y partager de vraies expériences de vie et ressentis. Y travailler sur la compréhension et l’apaisement de nos sentiments plutôt que de les cacher derrière de faux-semblants.»
Œil pour œil
«Justice pour tous, et moi en premier.» C’est ce que doit penser toute personne qui publie un revenge post. Mais revanche rime-t’elle vraiment avec légitimité et justice? Uschi Poesmans «Vengeance et justice ne sont pas forcément synonymes. La justice consiste à rétablir l’équilibre intérieur et le bien-être émotionnel plutôt que de se venger de sa douleur. Il s’agit de la capacité à guérir de nos blessures et à les laisser derrière nous. Prendre sa revanche peut parfois procurer une gratification instantanée, mais elle conduit rarement à une satisfaction personnelle durable. Et peut même entraîner davantage de conflits et de souffrance, amenant à un cercle vicieux d’émotions négatives.
Dans cette affaire, il est peut-être préférable de voir la justice comme le fait de parvenir à se libérer de ce fardeau émotionnel et des plaies qui l’accompagnent. Cela vous permettra de ne plus vous attarder sur la souffrance qui vous a été causée et de passer à autre chose. Cela ne veut pas dire que vous cautionnez ou acceptez ce qu’on vous a fait mais simplement vous délivrer des blessures et afin de continuer à grandir et à vivre».
Texte Nele Reymen et Barbara Wesoly, remerciements à Uschi Poesmans, psychologue clinicienne et thérapeute comportementale.
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