Changements d’humeur, stress, anxiété, colère, frustration... Les hommes aussi subissent des conséquences de fluctuations hormonales à certaines périodes de leur vie. C’est ce qu’on appelle le syndrome du mâle irritable, aussi connu sous l’acronyme SMI, un trouble dont on parle très rarement.
Sous le nom de syndrome du mâle irritable, nous retrouvons en réalité une étiquette désignant un groupe de symptômes éprouvés par de nombreux hommes lors d’une diminution importante de leur taux de testostérone, notamment en période d’andropause ou à la suite d’un épisode particulièrement stressant; l’andropause désignant une sensible baisse des hormones chez certains hommes, souvent entre 50 et 60 ans. Cependant, aucune définition claire, nette et précise du syndrome du mâle irritable n’a jusqu’à présent trouvé de consensus scientifique. « Utiliser ce terme parapluie nous offre néanmoins la possibilité d’évoquer de manière succincte un large panel de bouleversements physiques et psychologiques associés à ces fluctuations hormonales, tels que l’irritabilité, l’hypersensibilité, les sautes d’humeur, la baisse d’énergie, la perte d’appétit, la perte de masse musculaire, l’augmentation des tissus adipeux, les dysfonctionnements érectiles, la chute du désir sexuel, les bouffées de chaleurs, la perte d’estime de soi, l’anxiété, la dépression, les difficultés de concentration, etc. », explique Kathleen Lambert, psychologue spécialisée dans les relations affectives et sexuelles. Soit autant de symptômes qui peuvent entraîner de nombreux désagréments, modifiant sensiblement pléthore d’habitudes de vie. Mais comment expliquer cette altération du quotidien à l’origine de troubles physiques et émotionnels?
Cruciale testostérone
La testostérone est l’hormone androgène la plus importante chez l’homme; le terme androgène désignant tout composé naturel ou synthétique, qui intervient dans la stimulation ou dans le contrôle du développement ainsi que dans le maintien de caractères dits « mâles ». « Le flux des sécrétions hormonales varie naturellement tout au long de la journée, des saisons ou du cycle de la vie. La testostérone joue un rôle déterminant dans la fonction sexuelle de l’homme, dans son état de forme générale et dans son sentiment de bien-être, explique Kathleen Lambert. Concrètement, l’intervention de la testostérone en période intra-utérine induit le développement des organes génitaux masculins. Plus tard, à l’adolescence, elle participe à l’émergence de la libido et des caractères sexuels secondaires masculins: la pilosité plus importante (surtout sur le torse, le dos et le visage), la prise de masse musculaire, la densité osseuse, la voix grave, la fabrication des spermatozoïdes, la croissance du pénis, etc. » De cette manière, il est possible d’observer un pic de sécrétion de testostérone entre 20 et 30 ans, suivi d’une diminution progressive du taux dans le sang d’environ 10 % par décennie. « Il s’agit du processus normal de vieillissement, cela concerne tous les hommes », poursuit la spécialiste, qui nuance tout de même ses propos en précisant que tous les hommes ne seront pas amenés dans leur vie à présenter les symptômes d’un SMI à l’approche de la cinquantaine, et que cela peut également dépendre de nombreux facteurs en tout genre sur lesquels il n’est pas toujours possible d’agir.
« Pour certains, l’évolution sera lente et discrète. Pour d’autres, une crise émotionnelle et identitaire se manifestera de façon remarquable », précise-t-elle.
Dans ce cadre, il est parfois d’autant plus compliqué de gérer ces troubles physiques et psychiques puisqu’ils arrivent à un moment de vie où l’on s’y attend le moins. Dans ce cadre, comment dès lors gérer ces changements qui impliquent un état qui n’est pas toujours agréable à gérer? Pour la spécialiste, des solutions existent, mais toutes ne se valent pas sur le plan du bien-être. « Il y a des solutions médicamenteuses à base de testostérone, cependant elles ne sont pas toujours appropriées puisqu’elles comportent un certain nombre de risques. Votre médecin réalisera un prélèvement sanguin pour déterminer l’origine de vos symptômes et vous aiguillera vers un traitement optimal, si nécessaire », explique Kathleen Lambert, qui en profite pour attirer notre regard sur l’importance de prendre soin de soi tout au long de notre vie, même à des moments où l’on serait tentés de se laisser aller. « La recette miracle pour optimiser son bien-être, on la connaît. Comme pour beaucoup d’autres difficultés, une bonne hygiène de vie reste l’ultime garde-fou. La meilleure médication, c’est la prévention. À titre de liste non-exhaustive, des études démontrent les effets protecteurs de nos habitudes contre une baisse brutale du taux testostérone: pratique régulière d’exercices physiques, sommeil réparateur, activités de relaxation (comme le yoga, sophrologie, méditation…), alimentation équilibrée et riche en oméga-3, vitamines, zinc, potassium, protéines et acides gras saturés, diminution de la consommation d’alcool, élimination des perturbateurs endocriniens (parabènes, pesticides…) », rappelle Kathleen Lambert.
Lorsqu’on évoque le SMI, il est d’ailleurs tentant de lui trouver un équivalent féminin. Et c’est pourquoi, bien souvent, on a tendance à le comparer au syndrome prémenstruel, qui se traduit, notamment, par de la fatigue, des douleurs à divers endroits du corps (tête, dos, seins, ventre…), des problèmes digestifs, soit autant de symptômes physiques et émotionnels qui se manifestent avant les règles. Une comparaison qui n’a pas lieu d’être? Selon Kathleen Lambert, « les hommes et les femmes sont soumis à des influences hormonales différentes. L’organisme féminin produit de la testostérone; mais son taux en circulation dans le sang est en moyenne 7 à 8 fois moins élevé que chez l’homme adulte. Cette hormone n’est pas impliquée de manière prédominante dans les variations vécues au fil des cycles menstruels et jusqu’à la ménopause, explique la spécialiste. La période prémenstruelle est plutôt caractérisée par une lourde fluctuation dans la libération d’œstrogène et de progestérone. Les clichés véhiculent souvent la redoutable humeur versatile qui en résulte. En fait, ces chamboulements hormonaux provoquent une alternance imprévisible et déstabilisante entre des états d’abattement et d’agitation. Fatigue intense, irritabilité, augmentation transitoire du tour de taille, difficultés de concentration, faiblesse de l’estime de soi, anxiété, humeur dépressive, voire idées suicidaires pour les personnes plus impactées… Ce groupe de symptômes ne vous rappelle-t-il pas quelque chose? À nouveau, ces manifestations sont variables d’une femme à l’autre. »
TROUBLE non-reconnu
Si ce trouble existe bel et bien, il n’est cependant pas reconnu comme entité diagnostique auprès de la science. En réalité, deux grandes limites entravent les recherches et la validation scientifique de cette étiquette. « Avant tout, le diagnostic de SMI ne se suffit pas à lui-même pour proposer aux patients une intervention adéquate, explique Kathleen Lambert. Ce syndrome recouvre une variété de maux que l’on parvient à diagnostiquer de manière bien plus spécifique: andropause, hypogonadisme, stress? Les professionnels de la santé tendent à préciser encore et toujours plus les contours multifactoriels des souffrances dont les patients se plaignent, que ce soit en conditions cliniques ou normales. L’utilisation d’une étiquette passe-partout s’inscrit donc à contre-courant de cet objectif d’exactitude, bien qu’elle trouve son utilité dans la formule… Lorsqu’on mentionne un SMI, on se comprend rapidement sur l’ensemble des symptômes concernés. » La seconde raison expliquant pourquoi cette appellation ne rencontre pas toujours un public des plus enthousiastes est qu’elle soulève un tabou.
On parle de ‘syndrome’ à partir du moment où ces altérations affectent les individus au-delà de la norme… Mais quelle est la norme?
questionne Kathleen Lambert, qui nous invite à réfléchir à cette remise en question du terme. « Nous avons à peine le temps de poser cette question qu’une armée de dictats s’invite dans le débat: les fluctuations hormonales sont une ‘faiblesse’ dont l’homme ‘normal’ ne peut souffrir. Nous nous affranchissons difficilement des injonctions utopistes qui pèsent sur les épaules masculines. L’imaginaire collectif refuse volontiers aux hommes la possibilité de vivre une instabilité émotionnelle, pas sans l’ériger en pathologie. Dans ce contexte, le risque existe d’utiliser l’étiquette du SMI à tort et à travers et de stigmatiser des processus biologiques absolument normaux et naturels », détaille-t-elle. De ce fait, ce stigmate n’est pas sans danger, et c’est pourquoi il demande d’ailleurs à ce que l’on puisse s’en protéger. Mais encore faut-il savoir comment s’y prendre pour ne pas se perdre dans les raccourcis et les amalgames, qui sont bien souvent monnaie courante lorsqu’on évoque ce type de sujet.
Pression sociale
« Pour correspondre au modèle ‘viril et puissant’, l’homme est tenu de filtrer ses ressentis, de les refouler, de les voir comme des ennemis. Cette pression sociale vers une pseudo-norme ne fait que renforcer le poids psychologique de leurs maux », explique Kathleen Lambert. « De plus, le champ lexical associé au ‘syndrome’ raconte une histoire victimaire selon laquelle ces variations proviennent d’un problème, d’une anomalie, d’un coup du sort, comme une forme de plaidoyer en faveur de celui qui se pense fragile. Le piège de se considérer comme le jouet de la malchance est qu’on peut facilement se noyer dans un sentiment d’impuissance, et manquer les pistes d’évolution qui s’offrent à nous », poursuit Kathleen Lambert, qui rappelle d’ailleurs à ce propos qu’il n’est pas possible de garder le contrôle sur l’entièreté des choses qui nous entourent. « Nous ne pouvons pas supprimer la souffrance endurée, mais nous pouvons toujours choisir notre manière d’y réagir: ‘Quelle sera ma réponse? Que vais-je décider face à cette situation, si douloureuse soit-elle?’», questionne alors la spécialiste. « Une personne qui accepte les évolutions dans sa corporalité n’est pas faible, elle est au paroxysme de son humanité et de son intelligence. Retrouver sa puissance et sa liberté commence par une étape primordiale: accueillir ses ressentis physiques et émotionnels, sans jugement ou résistance. On ose enfin verbaliser et répondre à ses besoins réels, plutôt qu’au modèle de l’homme ‘idéal’ qui est censé traquer et éradiquer la qualité de présence à lui-même et aux limites de son corps. Quand on se laisse guider par les variations sans les craindre, sans les enfermer sous contraintes sociales, on invite en nous un état de grâce. »
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