Témoignage: ““Je souffre de maniaco-dépression””
“J’ai passé la majeure partie de mon enfance chez mes grands-parents. Mes parents avaient tous les deux souffert d’un AVC qui les avaient rendu incapables de s’occuper de moi. A 3 mois, j’ai déménagé chez mes grands-parents et j’y suis restée jusqu’à 12 ans. Je ne rentrais chez moi que pour aider mes parents à s’occuper de leur paperasse. Mais mes parents n’étaient pas les seuls à compter sur moi : quand mon grand-père a été atteint d’un cancer et s’est battu contre la maladie, je dormais toutes les nuits dans sa chambre pour prendre soin de lui.
L’après-midi, après l’école, j’allais avec des copines chez un voisin, pour jouer dans le jardin et nourrir les animaux qu’il avait chez lui. Nous n’imaginions pas évidemment que cet homme allait nous saouler et nous droguer, pour abuser de nous.
Pendant trois ans, j’ai été violée avec trois autres filles, sans oser en parler à personne.
Quand mon grand-père a perdu sa bataille contre le cancer, ma grand-mère s’est retrouvée seule à gérer une ado de 12 ans: c’était quelque chose qu’elle n’était plus capable d’assumer seule. On m’a donc envoyée dansun centre pour les enfants en situation de crise, dont les parents ne peuvent momentanément plus s’occuper.
Le début de l’enfer
Pour moi, c’est là que l’enfer a commencé. Je saisissais chaque occasion de m’enfuir et la police était obligée de venir me chercher, parce qu’au lieu de rentrer au centre, je passais la nuit à la belle étoile, sous un abribus. Je me suis rebellée de façon terrible, je rejetais toute forme d’autorité. On m’a transférée dans un internat, dans l’espoir que ça m’inculque un peu de discipline, d’obéissance... Mais là aussi, je faisais tout pour m’échapper: j’ai même sauté du haut d’un toit pour pouvoir sortir.
Petit à petit, le traumatisme que j’avais subi à cause des abus sexuels de mon voisin s’est manifesté sous forme d’épisodes maniaques. A l’internat, de mauvais amis m’ont fait toucher à la drogue et j’ai rencontré un gros dealer pour qui j’ai commencé à travailler comme passeuse.
C’était illégal et je le savais. J’étais stupide, aveuglée par les 500 euros que je touchais par contrat, et la drogue gratuite que je recevais par dessus le marché. Ma confiance en moi a chuté si bas, si vite, qu’après trois réflexions sur mon poids, j’ai arrêté de manger... J’ai développé un trouble alimentaire très grave, et je suis passée de 75 à 35 kg. Au final, j’ai fait une intoxication à l’alcool, je me suis retrouvée aux urgences et, de là, je me suis fait virer de l’internat pour me retrouver enfermée dans un hôpital psychiatrique.
Les gens les plus fous
Comme je n’avais que 14 ans, les médecins n’ont pas voulu se prononcer de façon définitive sur mon état. Mais c’est tout de même pendant ce séjour qu’on a évoqué pour la première fois la possibilité que je fasse une dépression maniaque et que l’on m’a fait passer les premiers tests. J’ai intégré un autre internat, où j’ai essayé de me conduire correctement pendant deux ou trois semaines. Et puis tout s’est écroulé, encore une fois: j’ai eu de mauvaises fréquentations, j’ai recommencé à me droguer, à faire la fête en permanence et je me suis mise à voler pour me payer tous mes excès.
Si, après l’école, j’avais la possibilité de m’échapper, je ne rentrais qu’à 3 h du matin. Et puis, la drogue, ça vous fait rencontrer les gens les plus fous de la terre... J’ai essayé d’avoir des relations avec des garçons, mais à cause de l’abus dont j’avais été victime des années plus tôt, le sexe avec un homme me renvoyait toujours à de très mauvais souvenirs.
Un jour, pendant une soirée, un garçon a mis la main sur ma jambe: de rage, je lui ai planté un couteau dans la main. Et je n’avais aucune conscience de ce que j’étais en train de faire... Et puis, un jour, j’ai été arrêtée avec deux amies pour vol à l’étalage et je suis passée devant le tribunal de la jeunesse. C’est seulement là qu’a émergé l’idée que je pouvais être mieux prise en charge...
Le premier diagnostic de troubles bipolaires
J’avais 16 ans quand, pour la première fois, à l’hôpital psychiatrique de Tirlemont, on a identifié chez moi des troubles bipolaires consécutifs à un traumatisme. Je ne savais absolument pas ce que ça voulait dire et j’ai tout d’abord refusé ce diagnostic. Au même moment, le décès de ma grand-mère m’a enlevé la dernière personne à laquelle je tenais: je me suis subitement sentie terriblement seule et incomprise. Je mangeais à peine et j’ai à nouveau sombré dans une profonde dépression. J’ai recommencé à prendre de la drogue et j’ai abandonné l’école.
La perte de ma grand-mère a été un choc si terrible que j’ai fait plusieurs tentatives de suicide... Et puis, pendant sept mois, on m’a gardée enfermée, à Tirlemont, pour me désintoxiquer. Mais là aussi, je faisais régulièrement le mur...
J’avais l’impression constante d’être une bête, un animal qui allait exploser s’il ne pouvait pas sortir. Pendant un moment, j’ai réussi à me ressaisir et j’ai pu retourner à l’internat: mais peu de temps après, on m’a à nouveau internée et le diagnostic de bipolarité est tombé, une seconde fois.
Enfin la stabilité
J’ai dû rester à l’internat jusqu’à 18 ans, après quoi j’ai pu choisir de m’en sortir seule. Je suis donc partie avec une amie lesbienne, avec laquelle j’ai eu une relation pendant un moment. Pour la première fois, j’ai trouvé une certaine stabilité, un sens à ma vie. J’ai trouvé du boulot dans un centre d’appels, j’ai repris contact avec mes parents. Pendant un temps, j’ai semblé être sur la bonne voie, jusqu’à ce qu’on se fasse cambrioler: un nouveau déclencheur, qui m’a fait replonger. Mon couple s’est retrouvé sous pression, j’ai recommencé à avoir des troubles alimentaires et une grosse dépression.
J’ai craqué au travail et j’ai perdu mon emploi, mais j’ai fait d’énormes efforts envers ma copine pour ne pas mettre notre histoire à mal.
Nous avons déménagé dans une autre ville, pour laisser derrière nous le mauvais souvenir du cambriolage. La vie tourmentée que j’ai eue ces dernières années m’a fait perdre énormément d’amis et de membres de ma famille; ma consommation de drogues et mes troubles alimentaires m’ont laissé des séquelles physiques. Du coup, je dois aussi essuyer des commentaires sur mon apparence... mais je comprends tout à fait. Mais depuis, je me suis fait de nouveaux amis et j’ai aussi pu nouer des liens avec d’autres membres de ma famille.
La peur permanente d’une rechute
Aujourd’hui, à 21 ans, j’ai déjà vécu pas mal de choses, mais petit à petit, ça commence à aller mieux pour moi. J’ai même réussi à arrêter le traitement pendant un moment, mais ça n’a pas toujours été facile:
sans médicaments, je vis avec la sensation permanente d’avoir en moi quelque chose d’énorme qui me ronge de l’intérieur, avec des moments où j’ai vraiment peur de me faire aspirer dans une spirale négative.
En revanche, je n’ai pas du tout peur de transmettre ma bipolarité: je sais que mon enfant ne se comportera jamais comme moi, tant qu’il est entouré de bienveillance. Dans le même temps, j’ai tout à fait conscience du fait que je devrai vivre toute ma vie avec ma bipolarité. Je vis avec la peur permanente d’une rechute, mais j’ai adapté mon mode de vie pour limiter les risques: j’ai complètement abandonné les drogues, je sors peu, je ne bois pas d’alcool et j’essaie de manger aussi sainement que possible.
Vivre avec des troubles bipolaires, ça n’a rien d’évident, mais je ne veux pas que cette maladie prenne le pas sur ma vie. C’est pour ça que je veux retourner à l’école et au moins obtenir mon diplôme de secondaires.
Je vais peut-être aussi ouvrir un blog pour y parler de mes troubles, afin d’aider les gens qui sont dans la même situation et qui vivent des périodes difficiles... Parce que je sais mieux que quiconque à quel point le soutien et la compréhension peuvent faire la différence à des moments cruciaux.”
Texte: Jill De Bont / Adaptation: Julie Rouffiange. Photos: Tim De Backer.
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