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À COEUR OUVERT:« Je n’arrivais pas à me défaire d’une amitié toxique »

Les vrais ami·e·s valent de l’or, mais certaines amitiés peuvent être particulièrement dévastatrices. C’est ce qui est arrivé à Anna*, qui a été victime d’abus physiques et mentaux de la part de son amie Céline.

« J’ai rencontré Céline*, il y a une bonne dizaine d’années. Je traversais une période difficile à cette époque. Mon père était en proie à des psychoses, ce qui m’a beaucoup marquée. En raison de ses problèmes de santé et du climat tendu, je n’aimais pas être à la maison. Je me suis de plus en plus réfugiée dans des choses qui me rendaient heureuse, comme une chanteuse dont je suis fan depuis des années. Une passion que je partageais avec Céline, que j’ai rencontrée par l’intermédiaire d’un fan club en ligne, et que j’ai vue pour la première fois lors d’un spectacle suivi d’une séance de dédicaces. Au départ, nos contacts étaient occasionnels et elle n’occupait pas une très grande place dans ma vie. Elle avait quatre ans de plus que moi et nous vivions à plus de cent kilomètres l’une de l’autre, mais chaque fois que nous nous voyions, nous passions un très bon moment et notre lien s’est renforcé.

Elle était tellement jalouse qu’elle m’a obligée à choisir entre elle et mes amis.

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Petit à petit, nous avons commencé à parler tous les jours et je passais presque tous les week-ends chez elle. À ce moment-là, je voyais en Céline un sanctuaire où je me sentais en confiance et en sécurité. Avec elle, j’avais l’impression de pouvoir m’exprimer, ce qui n’était, à l’époque, plus le cas chez moi. Ma maman s’occupait presque exclusivement de mon papa et j’étais livrée à moi-même. Ma situation familiale me pesait, mais Céline était mon roc et à peu près la seule sécurité que j’avais à l’époque. Contrairement à beaucoup, elle entretenait des contacts avec moi et, grâce à elle, je pouvais de temps en temps échapper à toutes les difficultés que la vie mettait sur mon chemin. J’étais convaincue que notre amitié durerait toujours et je lui faisais confiance de façon aveugle. Mais au bout d’un an et demi, Céline a commencé à devenir de plus en plus exigeante. Avant de la rencontrer, j’avais pas mal d’amis. À l’école, j’étais l’une des filles les plus populaires, mais cela ne plaisait pas à Céline. Elle a fini par devenir tellement jalouse quand je voyais des amis qu’elle m’a posé un ultimatum: c’était elle ou mes autres amis. Je l’ai choisie elle et j’ai écarté tout le monde de ma vie. Céline comptait trop pour moi.

Un instant, elle était souriante, joyeuse et agréable. Et l’instant d’après, elle était si susceptible que je pouvais à peine dire un mot.

Marcher sur des œufs

Mais Céline ne s’est pas contentée de ce sacrifice, loin de là. J’ai commencé à remarquer qu’elle pouvait être d’humeur très changeante. Un instant, elle était souriante, joyeuse et agréable. En bref, celle qui m’avait charmée au début. L’instant d’après, elle était si susceptible que je pouvais à peine dire un mot. J’avais de plus en plus l’impression que je marchais sur des œufs pour la satisfaire.

Je savais que quelque chose clochait, mais j’étais déjà tant isolée que je ne savais plus à qui me confier.

Par exemple, quand je rentrais à la maison après l’école, je devais me jeter sur mon ordinateur portable pour l’appeler en vidéo. Sinon, c’était la crise. J’avais le droit de prendre une courte pause pour dîner, mais dès que je sortais de table, je devais être au rapport. Quand j’étais chez elle alors qu’elle était de mauvaise humeur, elle m’obligeait à dormir par terre. Une fois, elle m’a déposée dans une forêt en pleine nuit, sans GSM, et m’a obligée à y passer la nuit toute seule...

Comme elle me poussait de plus en plus à faire l’école buissonnière, mes parents ont trouvé comme solution de m’envoyer en internat.

Au fond de moi, je savais que quelque chose clochait, mais j’étais déjà tellement isolée que je n’avais plus l’impression de pouvoir me confier à qui que ce soit. Comme elle me poussait de plus en plus à faire l’école buissonnière, mes parents se sont rendu compte qu’il se passait quelque chose. Mais comme je restais muette, ils étaient aussi dos au mur. Finalement, ils ont trouvé comme solution de m’envoyer en internat. Mais durant ma première nuit là-bas, j’ai eu tellement peur que je me suis enfuie et j’ai pris le train pour me réfugier chez Céline, pour lui prouver que j’étais toujours là. Mais Céline n’était pas contente de me voir. Quelques secondes plus tard, elle m’a frappée... Je me suis retrouvée encore plus tétanisée, et avec une pommette cassée. À ce moment-là, je n’ai pas réalisé ce qui m’arrivait. Même aujourd’hui, des années plus tard, il est impossible de mettre des mots sur ce que j’ai ressenti à l’époque. Et il y a eu d’autres incidents. Cette liste est malheureusement infinie, tout comme le nombre de fois où elle m’a violentée mentalement et physiquement dans les années qui ont suivi car, après le premier coup, le suivant ne s’est pas fait beaucoup attendre...

Une sorte de syndrome de Stockholm

Malgré la souffrance qu’elle m’a trop souvent causée, je lui suis restée fidèle pendant des années. Je me demande pourquoi je ne me suis pas défendue pendant tout ce temps. C’était peut-être une sorte de version “amicale” du syndrome de Stockholm. Qui sait? Ce qui est sûr, c’est que Céline m’a manipulée au point de ne plus pouvoir être maîtresse de mes propres actions. Elle était la marionnettiste et j’étais sa marionnette. Elle me disait quoi faire, et si je désobéissais, j’en payais le prix. D’ailleurs, j’avais bien trop honte d’avouer que Céline me traitait de la sorte. Bien sûr, on me faisait parfois des remarques quand je revenais avec un nouvel hématome, mais je mettais toujours ça sur le compte de ma maladresse et je continuais à vivre comme si de rien n’était. À un moment donné, Céline a suivi des séances chez un psychologue, qui lui a diagnostiqué un trouble de la personnalité borderline. Cela expliquait en partie son comportement et ses actions, mais à partir de là, elle a commencé à se servir de son trouble de la personnalité pour me garder auprès d’elle. “Tu ne vas quand même pas laisser tomber ton amie malade? Tu ne vas pas faire ça, hein?”, disait-elle, surtout lorsqu’elle sentait que j’essayais de prendre mes distances. Elle a tellement joué sur mes sentiments que je suis tombée plusieurs fois dans le même piège. L’une des pires agressions physiques s’est produite à l’étranger. Nous étions parties cinq jours en vacances, mais pour moi, ces cinq jours ont été pires que l’enfer. Dès notre arrivée à l’hôtel, elle a pris mon smartphone et l’a cassé pour que je ne puisse plus contacter personne. Pendant cinq jours, elle m’a malmenée de toutes les manières possibles. Lorsque je suis rentrée à la maison couverte de bleus, je n’ai pas eu d’autre choix que de porter plainte à la police, sous la pression de ma mère et de mon voisin de l’époque, avec qui je suis en couple aujourd’hui.

Si vous avez l’impression d’être dans une impasse, essayez d’une façon ou d’une autre d’alerter vos proches et de ne pas vous fermer au monde extérieur.

Syndrome de stress post-traumatique

À un moment donné, j’en étais venue à penser que la seule issue possible pour échapper à Céline était la mort. Parfois, je me disais que je ferais mieux de mettre fin à mes jours avant qu’elle ne me fasse encore plus souffrir. Lorsque, grâce au soutien inconditionnel de ma maman et de mon compagnon, j’ai enfin trouvé le courage de sortir définitivement Céline de ma vie, c’est comme si la boîte de Pandore avait été ouverte et que j’étais tombée dans un trou très profond et très sombre. Comme mes pensées devenaient de plus en plus négatives et que je ne parvenais pas à m’en dépêtrer, j’ai cherché une aide psychologique. Peu de temps après, on m’a diagnostiqué un SSPT (syndrome de stress post-traumatique, NDLR). Aujourd’hui, j’ai encore du mal à aller dans des endroits où j’allais avec Céline. Cette confrontation provoque généralement des flash-back désagréables. C’est comme monter dans une machine à remonter le temps et être ramenée à ces moments avec elle...

Un an après avoir définitivement clos le chapitre “Céline”, j’ai appris qu’elle s’était suicidée. Quand on m’a annoncé la nouvelle, j’ai fondu en larmes. Malgré tout ce qu’elle m’a fait, je n’ai jamais souhaité sa mort. Mais, en même temps, ça a été le plus beau jour de ma vie. C’est terrible à dire, je le sais, mais sa mort signifiait ma liberté... Quand elle était en vie, j’étais méfiante et regardais toujours derrière mon épaule dans tous les lieux publics. J’avais changé mon numéro de GSM et supprimé mes réseaux sociaux, parce qu’elle ne me laissait pas un jour de répit. J’ai assisté à son incinération avec ma maman. J’en avais besoin pour guérir et tourner la page, mais après, j’ai eu l’impression d’être seule au monde, et cela s’est répercuté à de nombreux niveaux. J’ai opté pour une transformation radicale. J’ai changé ma coupe de cheveux et je me suis fait plusieurs tatouages. Tous les tatouages que j’ai faits alors reflètent ce qu’était ma vie à l’époque. Les gens qui m’ont connue après cette période de ma vie me demandent parfois pourquoi j’ai autant de tatouages. En général, ils trouvent que ça ne colle pas du tout avec une fille aux longs cheveux blonds et aux taches de rousseur, mais tous ont une signification. Personnellement, je ne juge jamais les autres, car on ne connaît jamais leur passé. Aujourd’hui encore, je ressens les répercussions de mon amitié avec Céline. J’intériorise tout et je ne parle à personne de mes problèmes. Quels que soient les obstacles que je rencontre, je ne veux être un fardeau pour personne. C’est pourquoi j’essaie toujours de tout résoudre par moi-même. De plus, je suis très conciliante parce que je suis effrayée à l’idée qu’on se mette en colère contre moi. Rencontrer des gens et nouer des amitiés me fait une peur bleue. Ça ne se voit pas parce que je suis très joviale avec tout le monde. J’adore m’amuser, mais dès que ça devient trop sérieux, je me détourne, ce qui fait que je n’ai pas vraiment d’amis.

Faire ses propres choix

On entend parler de relations ­amoureuses toxiques, mais rarement de relations amicales malsaines. Le sujet est probablement encore plus tabou, mais il est important de savoir que ça existe. Quand on est jeune et qu’on ne comprend pas encore grand-chose à la vie, il est ­parfois extrêmement difficile de les reconnaître. Je me suis dit tellement de fois que tout allait bien, jusqu’à ce que je n’aie plus d’autre choix que de voir la réalité en face... Avec Céline, j’ai vécu des moments extraordinaires, mais aussi des ­moments que je ne souhaiterais pas à ma pire ennemie. Il est si difficile d’expliquer aux autres ce qui m’est arrivé. Quand je raconte cette histoire, j’enclenche le mode pilote automatique et j’ai encore souvent l’impression que tout cela n’était qu’un mauvais film.

On entend parler de relations amoureuses toxiques, mais rarement de relations amicales malsaines.

Ces dernières années, on m’a souvent dit que j’aurais pu couper les ponts avec Céline bien plus tôt. Je comprends pourquoi les gens ­pensent ça, mais dans une telle ­situation, on a tellement peur qu’on ne sait pas ce que l’on peut ou doit faire. On est au pied du mur et on ­ignore totalement comment s’en ­sortir. Croyez-moi, il n’est vraiment pas évident de rompre les liens avec quelqu’un dont vous étiez proche pendant des années, surtout quand c’est une personne que vous avez ­aimée et qui fait tout pour continuer à être présente dans votre vie. ­J’espère sincèrement que mon ­histoire est l’exception à la règle, mais si vous avez l’impression d’être dans une impasse, essayez d’une ­manière ou d’une autre d’alerter vos proches.

Essayez de ne pas vous fermer complètement au monde ­extérieur. Si c’est difficile, vous pouvez toujours vous tourner vers un groupe d’entraide. Cherchez des mains tendues, car c’est un problème qu’on ne peut généralement pas résoudre seul·e, même avec la meilleure volonté du monde. Il n’y a donc aucune honte à demander une aide extérieure. Je sais mieux que quiconque que les ruptures amicales sont extrêmement douloureuses mais, à la fin, vous n’avez pas d’autre choix que de transformer votre cœur en pierre. Enfin, faites vos propres choix, car vous avez aussi, à nouveau, droit au bonheur. Tant que vous êtes dans une relation toxique, qu’elle soit amoureuse ou amicale, le bonheur est une chimère. Croyez-moi sur parole. »

Vous avez des pensées suicidaires et avez besoin de discuter? Appelez la ligne d’écoute pour la prévention du suicide au 0800 32 123 ou rendez-vous sur Preventionsuicide.be.

* Anna et Céline sont des prénoms d’emprunts. ​

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