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© Ana Michelot

Une amitié pas comme les autres: ““Après s’être rencontrées sur Internet il y a 10 ans, on s’est enfin vues en vrai””

Ana Michelot
Ana Michelot Journaliste

Elles sont passées du virtuel au réel. Après s’être rencontrées sur Internet, il y a 10 ans, Ana et Ilaria se sont enfin vues dans la vraie vie en Italie.

Cette histoire paraît folle et pourtant, elle est bien réelle. Celle qui écrit ces lignes peut en certifier, puisqu’il s’agit de mon histoire et de celle d’Ilaria. En 2014, nous sommes fans du même groupe de musique et nous faisons connaissance sur Internet, sur un site de chats anonymes. 10 ans plus tard, je me suis envolée pour l’Italie afin de la rencontrer en chair et en os.

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J’ai toujours cru à la théorie des âmes sœurs, selon laquelle chaque personne sur cette Terre est la moitié d’une autre personne, qui l’attend quelque part. On entend souvent ce terme au sujet des relations amoureuses. De mon côté, la vie m’a prouvé que la théorie se vérifiait aussi en amitié.

Avec du recul, on se rend compte qu’on a eu beaucoup de chance de tomber l’une sur l’autre.

Ana

Une rencontre sur un site qui n’existe plus

Tout commence en 2014, j’ai 15 ans et comme beaucoup de jeunes filles de mon âge, je suis fan d’un boys band britannique extrêmement célèbre: les One Direction. Je connais chacune de leurs chansons par cœur, suis capable de reconnaître la voix de chacun des membres en quelques secondes, de citer leurs lieux de naissance ou encore le nom de leurs parents.

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Cette année-là, j’écoute leurs albums en boucle et passe beaucoup de temps sur Omegle, un site de chats anonymes qui a fermé ses portes récemment. À l’époque, les « Directioners » comme nous nous nommons, l’utilisent pour se rencontrer. Le site vous connecte à des personnes du monde entier aléatoirement, mais vous donne aussi la possibilité de taper un centre d’intérêt. Il tente ensuite de vous mettre en relation avec une personne qui a inscrit le même. Ce jour-là, c’est Ilaria, une Italienne de 14 ans qui a écrit les lettres « One Direction » sur son clavier en même temps que moi. Quelques secondes plus tard, nous échangeons pour la première fois.

Le hasard nous a réunies

Sur le chat, nous discutons en anglais puisque je ne parle pas italien et qu’Ilaria ne parle pas français, mais très vite le courant passe. On parle du groupe, de comment on est devenues fans, de nos chansons favorites, de leurs concerts et finalement Ilaria me propose de continuer notre ­discussion sur Twitter. Avec du recul, on se rend compte qu’on a eu ­beaucoup de chance de tomber l’une sur l’autre. C’était si rare que ces conversations Omegle aboutissent à quelque chose. Cette année-là, des centaines d’utilisateurs tapaient ce mot-clé sur le site, mais le hasard nous a réunies. « Dès les premières conversations, j’ai vu que tu étais quelqu’un de vrai, d’honnête et que tu n’avais aucune mauvaise ­intention. Après tout, on était jeunes et Internet peut parfois être un ­univers terrible. Mais immédiatement j’ai su que tu étais une bonne ­personne, qui comme moi, voulait se faire une amie », se souvient Ilaria. Depuis ce jour, notre conversation ne s’est jamais arrêtée.

Tu étais dans un autre pays, derrière un écran. Je ne t’avais jamais vue en vrai, mais je sentais ta présence au quotidien.

Ilaria

Tant de choses en commun

À l’adolescence, on ressent tout plus fort, les émotions sont démultipliées. L’impression constante d’être ­incompris·e est difficile à vivre. Mais tout à coup, j’avais quelqu’un à qui parler de tout ce qui se passait dans ma vie et dans ma tête, sans peur qu’elle ne me juge ou ne le ­répète à qui que ce soit. Comme si ça ne suffisait pas, elle vivait exactement les mêmes choses, à quelques milliers de kilomètres de chez moi. Elle avait toujours les bons mots pour me ­redonner le sourire. Très vite, j’ai su qu’Ilaria allait devenir une personne importante dans ma vie. De son côté, elle me confie: « Je crois que c’est à partir du moment où j’ai entendu ta voix pour la première fois que ta personnalité a commencé à se ­dessiner dans ma tête, j’ai commencé à t’imaginer dans ta vie quotidienne. » Elle poursuit: « On se parlait de nos journées en classe, de notre ­entourage de l’époque, de nos ­familles… Tous ces détails sur nos vies personnelles nous ont permis de ­réellement apprendre à nous connaître. Dans ma tête, tu étais comme une de ses amies que je ­pouvais voir après l’école, tu étais une vraie amie. » Après quelques ­semaines, on a commencé à ­s’envoyer des photos et vidéos où on parlait des films qu’on regardait, des livres qu’on lisait, des sports ­qu’on pratiquait… On s’apprenait des expressions dans nos langues respectives. Peu à peu, le lien s’est créé. Ilaria me lance: « Tu te souviens, on s’envoyait: ‘Oh regarde voilà la vue de ma chambre, et ça, c’est mon ­bureau; Coucou, c’est moi avec mon nouveau t-shirt...’, ce sont ces petits gestes qui ont contribué à nous ­rapprocher. » On parlait évidemment de musique. Ilaria a toujours adoré ça. Elle est chanteuse dans un groupe à côté de ses études.

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À l’époque, elle prenait des cours de chant et m’envoyait des vidéos d’elle en train de performer sur le nouveau morceau qu’elle avait appris. J’étais et suis ­toujours sa fan numéro 1. Elle conclut: « Tout ça me confirmait que je ne m’étais pas trompée, tu étais si ­attentionnée et on avait tant de choses en commun. »

Être loin l’une de l’autre agissait comme un facteur de libération de la parole. Je me confiais sans gêne, sans retenue. Je savais qu’elle saurait m’écouter.

Ana

Grandir ensemble

Les années ont passé, mais notre ­relation n’a jamais changé. Elle est même devenue plus profonde. On a vécu plusieurs ruptures, de celles qui vous déchirent de l’intérieur et vous font pleurer pendant des semaines entières. On a quitté le nid familial, obtenu des diplômes. On a fait face à des décès, à la maladie, à des ­déceptions amicales et à des crises existentielles, mais toujours ­ensemble. Être loin l’une de l’autre agissait comme un facteur de ­libération de la parole. Je me confiais sans gêne, sans retenue. Je savais qu’elle saurait m’écouter. « J’ai une confiance aveugle en toi. Je crois que c’est parce que tu m’as toujours ­soutenue. Tu ne ratais jamais rien. Tu étais toujours là, à chaque étape de ma vie. À chaque événement ­important, à chaque épreuve. On a grandi ensemble », assure Ilaria. Quand on a atteint la vingtaine, nos études ont commencé à occuper une grosse partie de notre temps. On ­passait parfois des semaines sans se parler. On attendait le bon moment pour enfin prendre le temps ­d’écouter les audios de l’autre et d’y répondre. Mais les contraintes du quotidien ne nous ont pas éloignées. « Oui le temps s’est écoulé, on a ­commencé l’université puis toi, tu as commencé à travailler. Tu as toujours été quelqu’un qui ­travaille dur et je me souviens que je me disais: ‘oh elle doit être très ­occupée’. Mais il y avait une telle confiance entre nous, je savais que tu ne me laisserais pas. Même si tu étais à des milliers de kilomètres, je savais que si tu ne me répondais pas, il y avait une bonne raison. Ce n’était pas une ­passade, un truc marrant d’avoir ­rencontré quelqu’un sur Internet et qui allait doucement s’estomper. Non, cette amitié était réelle. » Elle insiste: « Tu étais dans un autre pays, derrière un écran. Je ne t’avais jamais vue en vrai, mais je sentais ta présence au ­quotidien. » À cet âge charnière où tant de personnes sortent de votre vie, je ­savais qu’Ilaria serait toujours là.

Cette lettre, c’était comme un morceau de journal intime que tu partageais avec moi.

Ilaria

D’internet aux lettres manuscrites

Dans mes souvenirs, c’est après 2 ou 3 années d’échange qu’Ilaria a ­proposé que l’on s’envoie des lettres. « Je me souviens que c’est moi qui t’ai demandé, car j’ai toujours aimé l’idée d’écrire sur du papier, de glisser la lettre dans une enveloppe et puis d’aller la déposer à la poste en ­demandant un timbre. Ensuite ­attendre que la personne la reçoive et te réponde. Tout ce processus ­demande tant d’implication, c’est très concret. Ça montre le temps et les efforts qu’il faut pour construire et entretenir une amitié », affirme-t-elle. J’ai accepté toute de suite, j’aimais ce moment hors du temps où je pouvais ancrer les pensées que je lui adressais sur papier. Les lettres bien qu’elles prennent beaucoup plus de temps qu’un message sur Instagram à ­parvenir, sont paradoxalement ce qui nous a le plus rapprochées. Chaque fois qu’une de ses lettres arrivait, un sentiment unique m’envahissait. ­Savoir que cette même lettre, elle l’avait tenue dans ses mains comme moi à cet instant, qu’elle l’avait écrite peut-être pendant plus d’une heure. Oui plus d’une heure, car nos lettres se comptaient en pages que l’on ­numérotait soigneusement pour rendre la lecture plus facile. Ilaria me confie qu’une lettre précise lui reste en mémoire: « Je me souviens qu’une année tu as reçu ma lettre le jour de ton anniversaire et j’étais si heureuse! Tu m’écrivais à propos de tes amis qui allaient être présents et du garçon qui était en train de te briser le cœur à l’époque. C’était un morceau de toi, comme un morceau de journal intime que tu partageais avec moi. Comme une bouteille à la mer même si tu ­savais que je serais la seule à la ­recevoir, dans le sens où finalement tu n’avais jamais rencontré la personne qui lisait ta lettre. » À l’image de notre amitié qui ne s’est jamais arrêtée ­malgré la distance, nous n’avons ­jamais cessé de s’écrire des lettres. Ilaria devrait recevoir ma prochaine lettre dans quelques jours.

D’un côté, je ressentais ce besoin de te rencontrer enfin en vrai, mais à la fois j’avais si peur.

Ilaria

La rencontre après 10 ans d’amitié à distance

« Quand tu m’as dit que tu allais ­atterrir à Pise pour ton prochain voyage en Italie, j’étais dans la rue avec Francesco (son petit ami) et quand j’ai lu ton message, j’ai ­littéralement crié. Je me disais: ‘Oh mon dieu elle va venir!’ Pour moi c’était comme si ces 10 ans ne s’étaient pas écoulés et en même temps je me disais: ‘Mon dieu après tout ce temps…’. C’était un mix ­d’émotions dans ma tête, je n’y croyais pas », me raconte Ilaria. De mon côté, j’étais folle de joie quand j’ai réalisé que l’aéroport le plus proche des Cinq Terre se trouvait ­justement dans la ville où elle fait ses études. Enfin j’allais la rencontrer en vrai. J’étais si heureuse, mais plus les jours passaient, plus je stressais. Je ne lui ai jamais dit, mais j’avais peur que cette rencontre dont on avait tant rêvé soit décevante, qu’on soit gênées, qu’il y ait des blancs, qu’on ne trouve rien à se dire, qu’on n’arrive pas à se comprendre correctement… Toutes ces inquiétudes que je lui ai cachées, je découvre qu’elle ­ressentait les mêmes. Elle m’avoue: « D’un côté je ressentais vraiment ce besoin de te rencontrer enfin en vrai, mais à la fois j’avais peur, j’avais si peur. Je me disais que va-t-il se passer? Et si on se rencontre et que finalement elle ne m’apprécie pas? Et si on ressent une distance énorme entre nous? Et si on a trop changé depuis le temps et que plus rien ne nous lie? » Le jour J, Elie, mon ­amoureux, et moi nous ­rendons dans le centre de Pise, ­depuis l’aéroport. Nous avons prévu de rejoindre Ilaria et son frère Fabio pour manger dans un restaurant ­typique qu’ils connaissent bien. Elle m’a donné ­rendez-vous sur une place. Nous y sommes en avance et je suis en ­panique. « Et si on ne se reconnaît pas? Et si on ne sait pas comment se saluer? » J’harcèle mon compagnon, qui me rassure comme il peut. Ce que je ne sais pas, c’est qu’Ilaria est dans le même état: « Je suis ­arrivée sur la place et j’attendais mon frère en tremblant, tellement j’étais nerveuse. J’ai réalisé que c’était un des moments les plus importants de ma vie. Ça faisait 10 ans que ­j’attendais ça. »

Quand j’ai rencontré Ilaria en vrai, je l’ai prise dans mes bras comme je l’aurais fait avec un membre de ma famille que je n’avais pas vu depuis des années.

Ilaria

« Tu es réelle »

Ilaria est arrivée devant moi entre les terrasses des restaurants et je l’ai reconnue instantanément. Il n’y a eu aucune hésitation. Je l’ai prise dans mes bras comme je l’aurais fait avec un membre de ma famille que je n’avais pas vu depuis des années. On s’est enlacées pendant de longues secondes et je ne répétais qu’une chose: ‘Tu es réelle.’ De son côté, elle a d’abord aperçu mon amoureux qu’elle a reconnu grâce à Instagram, puis elle m’a vue. « Je te cherchais du regard et d’un coup j’ai vu une ­silhouette toute petite et fine, je me suis dit: ‘c’est elle’. Je me souvenais que tu étais petite sur tes photos. ­Arrivée devant toi, je me suis ­totalement figée, je ne savais plus quoi faire et tu m’a serrée dans tes bras. On n’arrêtait pas de se toucher les bras et les épaules comme pour s’assurer qu’on ne rêvait pas. » Ce ­jour-là, nous avions prévu de partager un repas ensemble. Finalement, nous avons passé la journée entière à discuter. Elle me confie: « À ce ­moment-là, j’avais envie de pouvoir dire à la moi d’il y a 10 ans: ‘Ça ­arrivera, tu vas la rencontrer pour de vrai et ce sera génial’. Ilaria m’a fait découvrir la Tour de Pise, ses vieux bâtiments plein de charme et son appartement. On ne s’est quittées qu’à 19 h et c’est les larmes aux yeux que je lui ai dit au revoir. Au moment, où j’écris ces lignes, elle réserve son billet d’avion pour venir me rendre visite ce mois-ci. C’est son tour de découvrir mon monde.

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