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BABYSTORY: ““Après une IMG à 6 mois de grossesse, j’ai accouché de mon petit garçon sans vie““

Du désir d’enfant à la maternité, mettre un petit être au monde peut parfois s’apparenter à des montagnes russes. En septembre 2019, Emilie, journaliste chez Flair, a accouché de son petit Eliott, né sans vie à 6 mois de grossesse. Elle raconte son histoire.

Grâce à mon métier de journaliste, j’ai la chance de pouvoir entendre et rapporter les témoignages de jeunes mamans aux histoires souvent surprenantes, touchantes, parfois drôles et parfois tristes, mais toujours passionnantes. Il y a encore quelques années, parler maternité m’était extrêmement douloureux. J’ai connu l’IMG, l’accouchement d’un bébé sans vie, le deuil périnatal, la colère, le chagrin et la jalousie. J’ai perdu un bébé à 6 mois de grossesse et cette expérience de mort a bouleversé ma vie. Voici mon histoire.

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Du désir de maternité à la joie de la PMA

“J’ai toujours su que je voulais des enfants, deux enfants. Le jour où j’ai rencontré Cédric, j’ai su que ce serait avec lui que je voudrais faire famille. Au bout d’un an de relation, nous avons commencé à essayer de concevoir un petit être. Étant en aménorrhée depuis des années, je savais que je devrais avoir recours à un traitement pour y parvenir. Nous avons contacté un centre PMA et j’ai pris un médicament pour provoquer une ovulation. Au bout de deux cycles, aucune grossesse à l’horizon et surtout, un endomètre ultra fin (trop) qui risquait de mettre à mal toute possibilité de nidation d’un embryon. Après avoir déménagé, nous avons décidé de changer de centre PMA. Dès le premier rendez-vous, le médecin nous prescrit une batterie d’examens (hystérosalpingographie pour moi, spermogramme pour lui). Le verdict est tombé: nous allions devoir passer par la FIV icsi si nous espérions un jour être parents. Je me souviens être tombée des nues, avoir ressenti de la colère (beaucoup) et un chagrin immense. Lors de ce rendez-vous, on m’a expliqué les démarches, les protocoles, les injections, les hormones, les suivis, les échographies, les prises de sang. Je me rappelle avoir écouté à moitié, le regard dans le vide. Je n’avais aucune envie de passer par là.”

Un transfert et un bébé

“On a commencé les traitements, j’ai décidé de me piquer seule, chaque matin et chaque soir, toujours assise dans la même pièce, sur la même chaise, au même endroit. Il me fallait parfois 5 minutes pour arriver à m’injecter le produit. J’enfonçais l’aiguille beaucoup trop lentement, j’avais peur. Les échographies de suivi pour compter les follicules étaient plutôt positives. Après la ponction, nous avons réussi à avoir 4 embryons. Le médecin a décidé de ne pas transférer d’embryon frais car j’ai fait une hyperstimulation ovarienne (une complication suite au traitement qui entraîne des douleurs fortes causées par un gonflement des ovaires). Il faudra patienter. En avril 2019, on m’a transféré un embryon. Le moment fut magique. Je me suis dit qu’au creux de moi, la vie allait s’installer. Avec mon amoureux, on est parti quelques jours en voyage, je me suis sentie ultra fatiguée. L’embryon se serait-il accroché? J’ai attendu 10 jours avant de faire la fameuse prise de sang qui me dirait si oui ou non le taux béta-hcg avait augmenté. La PMA m’a appelé, j’ai reconnu le numéro sur l’écran de mon téléphone. Mon cœur a explosé, j’ai décroché ‘Allô madame? C’est positif, félicitations.’ J’ai pleuré de joie, mon mec aussi. Dans 9 mois on sera 3. Les premiers mois de grossesse se sont passés dans le secret, j’ai eu des nausées, j’étais fatiguée. On l’a annoncé à nos amis·e· et nos familles. Surprise, soulagement, ça a marché rapidement!”

Le 23 août 2019

“Et puis est arrivé le 23 août. Il y a des dates qu’on n’oublie pas. Jour de l’écho morpho. Il faisait chaud, je me vois encore dans la salle d’attente. La gynécologue avait un retard de fou. On a attendu pendant au moins 1 heure. Je tournais en rond. La porte s’est ouverte. Un couple est sorti de son rendez-vous, en pleurs. J’ai eu un mauvais pressentiment. On est rentré dans le bureau. Je me suis dit qu’il faisait sombre, les stores étaient fermés pour plonger la pièce dans la pénombre afin de mieux voir à l’écran. J’ai trouvé l’atmosphère pesante. Je me suis installée sur la table d’examen. La gynécologue a étalé son gel de contact sur mon ventre arrondi. Elle a commencé son examen. Muette. Elle est passée sur le ventre de mon bébé. S’est arrêtée, a changé d’angle, est repassée, encore. Encore. Une éternité. Et puis a ouvert la bouche. Ce moment-là, cette seconde-là, a changé ma vie, pour toujours. ‘Je vois quelque chose. Ici, vous voyez, une partie de l’intestin se trouve dans le thorax, ce n’est pas normal. Il faudrait que ce soit bien fermé. C’est une malformation, une hernie diaphragmatique. Je vais appeler une collègue pour vous trouver un rendez-vous rapidement et faire des examens plus poussés.’ Avec mon copain, on a tout de suite compris que c’était grave. Je l’ai regardé, il était livide. Il a fait un malaise, a dû s’allonger par terre. On est sorti de là, il faisait une chaleur écrasante. Je me suis dit que ce beau temps, c’était indécent. On était perdus. On ne savait pas quoi faire à part pleurer, dans la rue.”

Bienvenue en enfer

“Les examens se sont enchaînés. On attendait de voir comment l’hernie allait évoluer. Je passais mes journées et mes nuits à pleurer. Un enfer. On en a juste parlé à nos parents, on a voulu garder ça pour nous, car c’était encore flou. Je me souviens de l’attente, les recherches Google, les forums, les chances de survie, les séquelles. Je me rappelle l’angoisse, la tristesse, les crises de larme et de colère. On a effectué une amniocentèse du liquide amniotique afin d’analyser l’ADN de mon bébé et déceler d’éventuelles anomalies chromosomiques. On a rencontré des chirurgiens de plusieurs cliniques de Belgique qui nous ont expliqué ce qu’il se passerait à la naissance de notre enfant, l’opération qui suivrait, les chances de réussite. On nous a parlé d’handicap possible, de problèmes pour se nourrir, de retard. On nous a parlé d’interruption de grossesse. IMG. Non, non, on ne l’envisageait pas. Non, non, on opérera. Il ira bien, notre petit garçon.”

IMG

“Et puis une énième mauvaise nouvelle est arrivée. Lors d’une échographie de suivi avec ma gynécologue, elle a constaté que j’avais un placenta praevia. Il faudrait déclencher à 37 SA. Ça changeait la donne pour les médecins qui prédisaient une opération plus compliquée, un bébé plus fragile. Puis les résultats ADN sont tombés. Délétion du chromosome 1. Même pas liée à sa malformation. La foudre qui tombait deux fois au même endroit. Là, sans se parler, Cédric et moi avions compris. On ne se l’est pas dit, mais on a su que c’est fini. Les médecins n’ont pas eu le droit de nous conseiller ou nous dire quoi faire. Ils nous ont expliqué ce qu’il se passerait si on continuait ou si on décidait d’arrêter. ‘Fœticide’. ‘Accouchement’. Et moi ‘Quoi, pas de césarienne?’”

Né sans vie

“Après un délai de réflexion obligatoire est arrivé le moment de la signature. Oui, j’ai dû signer pour éteindre le cœur de mon bébé. Un petit paraphe, un petit peu d’encre. Et la mort qui attendait mon tout petit. Le déchirement. L’horreur. Ne plus reculer, avancer tête baissée sans plus réfléchir. Décompter les jours, les heures. Rouler vers l’hôpital. Marcher jusqu’à la pièce où m’attendaient deux médecins et une infirmière. Ced qui me tenait la main. Un drap qui me séparait de l’écran. Des murmures. Je lui ai demandé pardon. Je lui ai dit je t’aime, 1 million de fois. Pour toutes les fois où je ne pourrai pas le lui chuchoter à l’oreille. Pour son existence que je n’aurai pas la joie d’avoir à mes côtés. Pour son rire que je n’entendrai jamais. Pour son regard que je devine bleu mais qui restera fermé. Ça y est, son cœur est arrêté. Étrangement, je me sens soulagée. Revenue dans ma chambre, on me présente le médicament qui déclenchera les contractions. On m’avait prévenue qu’un déclenchement à 6 mois de grossesse pourrait être long. On ne m’avait pas menti. 34 heures de souffrance et de chagrin. J’ai accouché d’un petit garçon sans vie le 26 septembre 2019. Eliott. J’ai entendu des enfants naître dans les salles d’à côté. J’ai deviné la joie, le bonheur, les premiers instants qui se jouaient juste là. J’ai trouvé ça indécent, monstrueux, injuste. Après l’accouchement, j’ai perdu beaucoup de sang, mon placenta ne s’est pas décollé, j’ai dû filer me faire opérer en urgence. J’ai croisé le regard de mon amoureux, j’ai cru y rester. “

La rencontre

“Au réveil, j’ai enfin pu rencontrer mon tout petit, vers 3 heures du matin. J’avais peur. L’infirmière est arrivée dans la chambre, Eliott était là. Si petit. Elle s’est approchée et j’ai fini par l’accueillir dans mes bras. 900 grammes. Un petit corps parfait mais abîmé. Le choc de voir la mort. L’étrangeté d’une vie trop vite retirée. Je lui ai chanté les berceuses que je rêvais de pouvoir un jour lui chuchoter. Après coup, je me suis dit que je ne l’avais pas assez observé. Des regrets, j’en ai tellement. J’aurais voulu avoir la force de le câliner davantage, de le bercer et l’embrasser. Mais je n’ai pas su. Le lendemain, je l’ai revu et j’ai encore pris quelques photos.”

Le retour à la maison

“Puis on est rentrés à la maison, le berceau vide et dans mon ventre et mon cœur, le néant. On a appelé les pompes funèbres. Commander un cercueil. Pour un bébé. Crémation. Dispersion des cendres. Juste mon mec et moi, pas la famille ni les ami·e·s. Pas sûre que les gens comprennent. Pas de place pour les condoléances, les gestes d’affection, les encouragements. Une plaque qui porte son nom. C’est tout ce qu’il me reste de lui. Et un coffre aussi, avec des souvenirs, ses premiers habits, son doudou ou encore des voitures que son papa achète chaque année à son anniversaire. Ce coffre posé à côté de mon lit, en cododo.”

La vie après

“Avec cette histoire, des amies j’en ai perdu. Mon chagrin était immense et imposant. Ma jalousie, insupportable et incomprise. Les autres ventres qui s’arrondissaient, les berceaux qui faisaient du bruit. Mon ventre et ma maison, silencieux et vides. Aujourd’hui nous sommes presque 5 ans plus tard, j’ai eu entretemps deux petites filles. La blessure est toujours là, moins vive. Il m’arrive encore de le pleurer sans pouvoir m’arrêter. De penser à lui, les yeux rougis. De surprendre mon mari entrain de pleurer à chaudes larmes lui aussi. Quand on me demande si j’ai des enfants, je réponds parfois ‘j’en ai trois: un petit garçon né sans vie et deux petites filles à la maison.’ Et puis il m’arrive aussi de lui demander intérieurement pardon et de ne parler que de mes deux miracles arrivés après lui. Pour éviter la gêne et le silence qui suit.”

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