On partage quasi tout aujourd’hui: on poste le contenu de notre assiette sur les réseaux sociaux, on confie nos positions sexuelles préférées à nos ami·e·s. Mais l’infidélité, elle, reste tabou. “Arrêtons ça”, disent Lore Eerlings et Kaat Bollen, expertes en relations conjugales. Elles ont développé un plan par étapes pour faire face à l’infidélité et, on croise les doigts, y survivre en tant que duo.
Kaat Bollen, sexologue et thérapeute de couple, et Lore Eerlings, conseillère conjugale et familiale (mais aussi orthopédagogue), pratiquent la thérapie conjugale en binôme. Dans leur cabinet, elles reçoivent énormément de couples confrontés à l’infidélité, et elles ont décidé de coucher le fruit de leur expérience dans un plan en étapes. Selon les expertes, après une infidélité, il faudrait passer par cinq phases (accompagnées chaque fois d’exercices). Leur plan est un plaidoyer pour prendre son temps et ne pas faire de choix à la hâte. Puisque ce n’est qu’à la fin du processus que l’on décide de rompre… ou pas.
« Les livres sur l’infidélité ne manquent pas », nous explique Kaat Bollen. Dans le cadre de notre pratique, nous nous sommes donc initialement basées sur la littérature disponible. Et cette dernière est unanime : en cas de tromperie, il faudrait ne pas jeter les cartes sur la table tout de suite. Et évoquer les détails avec parcimonie. » Les expertes ont pourtant constaté que la formule ne marchait pas. Que du contraire, nous disent-elles ! « Nous avons, du coup, développé notre méthode de travail, plus performante. Et heureusement, nous constatons que ce plan en étapes fonctionne. On voit qu’il produit de belles choses in fine ».
Choisir n’est pas toujours renoncer
« Ces bons résultats ne signifient pas nécessairement que tout se termine par une happy end », explique Lore Eerlings. On estime que le processus est réussi si le couple fait un choix qu’il estime juste pour lui, en fin de parcours. Que chacun des partenaires a pris son temps et réfléchi à ce qu’il ou elle voulait vraiment. Les couples qui ‘travaillent’ main dans la main obtiennent de bons résultats. » Et de poursuivre : « Cela peut signifier qu’ils choisissent de se battre l’un pour l’autre et de sauver leur couple. Mais aussi que le chemin se soldera par une rupture. Les couples qui sont passés par notre protocole se séparent mieux. L’infidélité est douloureuse, il est donc important que les deux partenaires puissent la digérer afin qu’elle ne reste pas à l’état de plaie ouverte. » « Et puis, nous constatons que notre plan par étape a un effet curatif », ajoute Kaat Bollen.
Prendre le temps permet d’être plus doux envers soi et envers l’autre. C’est le seul moyen de sortir de cette dynamique de victime-agresseur.
De facto, ce processus en étapes ne se déroule pas du jour au lendemain. Les couples ont six mois pour atteindre leur résultat. « Le véritable process prend généralement un à deux ans, mais ce serait trop long pour faire un choix. Vous ne pouvez pas continuer à avancer si vous n’avez pas fait de choix », soutient Kaat Bollen. Sa collègue acquiesce : « Six mois, c’est assez long, mais ce timing donne aussi une info claire : après une tromperie, il est normal que vous ne sachiez pas tout de suite quoi faire. Ça n’implique pas que vous connaîtrez la réponse ultime au bout de six mois, mais vous pourrez au moins faire un choix fondé. Et une fois qu’on a choisi, il faut en tirer le meilleur. »
La démarche porte ses fruits. « Nous n’avons pas tiré de conclusions définitives, mais – et nous avons évoqué le sujet récemment -, on estime que le taux de réussite du plan est d’environ 90% ! », déclare fièrement Lore Eerlings. “Il faut préciser que les couples que nous rencontrons sont très motivés. Il s’agit principalement de couples dans la trentaine ou la quarantaine, qui font face à l’infidélité après avoir eu des enfants ou connu une période de vie difficile. Ils ont décidé de consulter et de se battre l’un pour l’autre. Cet esprit combatif explique en partie les fortes chances d’arriver au bout du plan », poursuit Kaat Bollen.
L’effet d’une bombe
Les thérapeutes en ont fait le constat : l’infidélité reste un sujet tabou. Selon elles, il est frappant de constater que nous ne parlons d’infidélité que lorsque la relation de X ou Y s’est brisée à cause de cela.» Les couples qui choisissent de rester ensemble après une tromperie gardent généralement le silence, par peur des mauvaises langues. Nous n’entendons donc que les histoires négatives, ce qui nuit à l’image de la problématique », explique Kaat Bollen.
Notre objectif est aussi de briser ce tabou. Il n’y a vraiment pas à avoir honte, nous commettons tous et toutes des erreurs.
Alors comment briser ce tabou ? En allant droit au but, disent les expertes. « Nous avons remarqué que lorsqu’ils sont confrontés à l’infidélité, les gens ont surtout besoin de clarté. La question la plus fréquente étant : ‘Et maintenant, que dois-je faire ?’ Bien sûr, il existe de nombreux livres sur la question, mais ils portent souvent sur des témoignages ou sur le phénomène de l’infidélité en lui-même. Notre objectif principal était d’apporter une réponse concrète et claire au sujet. Parce que l’infidélité est incroyablement déroutante. C’est vrai, parfois, notre discours est un peu fort. »
Lettres guérisseuses
« Nous avons clairement un penchant pour les lettres, nous confie Kaat Bollen. Nous en demandons donc aux partenaires à différents moments de la thérapie. C’est un art que nous aimons honorer. Pas seulement parce que nous trouvons que c’est un superbe moyen de communication, mais surtout parce que c’est très utile. » Pendant une conversation orale, nous avons tendance à penser moins profondément que lorsqu’on formule nos pensées par écrit, détaille-t-elle. « Une conversation, c’est souvent une action-réaction : l’un dit quelque chose, et l’autre répond directement.
Écrire une lettre vous permet de prendre le temps de réfléchir à ce que vous ressentez vraiment. Dans des situations difficiles, cela a un réel effet.
Cela dit, écrire une lettre n’est pas une mince affaire… « Au début, beaucoup ne trouvent pas les bons mots, poursuit Kaat Bollen, mais dès que les premiers sont couchés sur papier, les autres suivent facilement. Et le jeu en vaut vraiment la chandelle. Nous voyons parfois passer de magnifiques lettres. Elles le sont d’autant plus lorsqu’un partenaire lit ce qu’il a écrit à voix haute. C’est parce que vous mettez vos mots par écrit que vous pouvez les habiter littéralement. Après coup, vous avez soit une jolie lettre que vous pouvez chérir, soit une lettre douloureuse de laquelle vous pouvez vous séparer. Cela peut aussi être un rituel vertueux : enterrer ou brûler la lettre. »
Une bénédiction
Les thérapeutes veulent nous ouvrir les yeux : tout le monde peut tromper ou être trompé·e. « Il est naïf de penser que ça ne pourrait pas vous arriver. L’infidélité est très dommageable, elle peut avoir un impact dévastateur, mais cela ne dit rien de vous ou de votre relation. Vous ne devez donc pas en avoir honte », rassure Kaat Bollen.
L’infidélité a heureusement un revers à sa médaille. « Nous osons parfois la comparer au cancer. On espère ne pas avoir à y faire face, mais on entend aussi les personnes qui ont vaincu la maladie dire qu’elles ont saisi ça comme une chance. Souvent, les couples changent après une tromperie. Ils parlent davantage de ce qu’ils veulent et ont le courage de fixer leurs limites. À long terme, cela peut être une bénédiction. Certains couples nous disent, après quelques années, que l’infidélité aura été la meilleure chose qui ait pu leur arriver. Que c’était un épisode douloureux, mais qui a permis une prise de conscience », ajoute Kaat Bollen.
C’est quoi l’infidélité ?
Les expertes la définissent comme telle :
… une action…
… sur un plan romantique ou sexuel…
… en lien avec une tierce personne…
… qui, vous le savez, blessera votre partenaire ou violera les termes de votre contrat avec lui·elle…
… mais que vous faites quand même…
… et que vous cachez.
« Il y a donc une différence entre être amoureux et envoyer un SMS à la personne qui suscite en vous ces sentiments amoureux. Seule la seconde est considérée comme une infidélité. De même, regarder du porno ne relève pas de la tromperie, car cela ne concerne pas une tierce personne », explique Lore Eerlings.
« Donner une définition est toujours difficile. Nous sommes donc critiques vis-à-vis de cette notion de tromperie ‘dissimulée’. Ce n’est pas parce que vous êtes transparent que ce n’est pas de l’infidélité. Mais nous voulions souligner cet aspect car il est extrêmement douloureux. Souvent, le silence est plus douloureux que les actions en elles-mêmes, car il fait imploser toute la confiance que vous aviez en la relation. »
« Bien sûr, les limites de chacun sont différentes : l’un pense que c’est OK d’embrasser en soirée, quand l’autre juge que flirter est interdit. Un conseil : discutez de vos limites au début de la relation », conclut Lore Eerlings.
Un modèle de seuils
« Souvent, les couples sont coincés dans le débat. La personne trompée veut savoir pourquoi c’est arrivé, tandis que le partenaire infidèle veut discuter de ce qui l’a poussé à cela. Les deux ont des questions différentes et suivent un process différent. Pour rendre le chemin commun plus transparent, nous utilisons le modèle des seuils, qui permet de séparer certains aspects et de mieux en discuter », nous explique Lore Eerlings.
– Si tout va bien, le seuil de l’infidélité est élevé.
– Ce seuil peut être abaissé pour diverses raisons. C’est souvent une responsabilité conjointe :
* Raisons liées au partenaire infidèle (problèmes d’attachement, faible estime de soi, stress élevé…)
* Raisons liées au partenaire trompé (indisponibilité émotionnelle ou sexuelle, stress élevé…)
* Raisons liées à la relation (se perdre de vue, années ‘tunnel’ après les enfants, rénovation, grossesse difficile…)
– Pour X ou Y raisons, l’un des partenaires peut décider de franchir le seuil inférieur. Il en va alors de sa responsabilité individuelle.
– À l’avenir, vous souhaiterez que le seuil soit relevé mais aussi de discuter quand vous estimerez que le seuil sera trop bas. C’est à la fois votre responsabilité individuelle et conjointe.
Le plan en étapes
La bombe
Ça a fait l’effet d’une bombe : un·e des partenaires est allé·e voir ailleurs. Ça veut dire quoi ? Et comment sortir de cette situation de crise ? Le process sera difficile et le plan ne marchera que si les deux partenaires s’en donnent vraiment la peine. Êtes-vous prêt·e·s pour ça ? Avant de commencer, accordez-vous sur la façon dont vous allez gérer la situation et dont vous pouvez respecter les limites de l’autre.
L’histoire
Pour avancer, vous devez digérer le morceau. Le·la partenaire infidèle aura la chance de raconter son histoire ; et le·la partenaire trompé·e, de poser des questions. Ensemble, vous discuterez des raisons de cette infidélité. Peut-être que ce fameux seuil a été abaissé à cause de problèmes de couple (vous vous êtes éloignés ou vous traversez une période difficile, par exemple) ou par l’un des partenaires (un trouble de l’attachement, par exemple). Qu’est-ce qui a poussé le partenaire à franchir le seuil ? Et comment éviter cela à l’avenir ?
Quels dégâts?
Ce processus est douloureux, on ne peut pas le nier. Il blesse beaucoup de monde : les partenaires, les enfants, l’entourage… Il est donc temps de s’excuser dignement. Des mesures peuvent également être prises pour apaiser la douleur. Que peut faire le partenaire infidèle pour le partenaire trahi (offrir un cadeau, un massage hebdomadaire, assumer des tâches ménagères supplémentaires…) ? De cette façon, le premier a la chance de faire amende honorable et le second peut reprendre confiance en l’autre.
L’heure du choix : partir ou rester ?
Il est temps de répondre à la question-clé : voulons-nous rester en couple ou mettre un point final à l’histoire ? Si vous choisissez d’avancer, vous prenez un nouveau départ. Comment pouvez-vous vous pardonner ? Et comment allez-vous façonner cette relation 2.0 ? Si vous rompez, faites-le d’une belle manière. On peut se séparer dans l’amour et avancer chacun sur le chemin de la reconstruction.
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