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© Getty Images

À CŒUR OUVERT : ““J’ai cru que c’était de l’amour, mais c’était du chantage affectif””

Ana Michelot
Ana Michelot Journaliste

Lorsqu’on est jeune et aveuglé·e par les sentiments que l’on éprouve, il est parfois difficile de prendre conscience de ce que l’on est vraiment en train de vivre. Malia a 14 ans lorsqu’elle rencontre Julien qui en a 18. Si elle pense vivre une belle histoire d’amour à l’époque, aujourd’hui, elle se rend compte que cette relation était extrêmement malsaine.

Si Malia a décidé de témoigner et de raconter son histoire c’est en partie en raison d’une affaire qui fait l’actualité. Depuis plusieurs jours, « Norman fait des vidéos » fait la une de la presse. Ce youtubeur français connu depuis les années 2010 a été mis en garde à vue le 5 décembre dernier, afin d’être interrogé sur des accusations de viol et corruption de mineur, comme l’a indiqué le parquet de Paris à l’AFP. Depuis, huit femmes ont témoigné auprès du journal « Libération » et affirment avoir été victimes de cet homme. Elles racontent le même mode opératoire: le youtubeur aurait d’abord entretenu avec elles des conversations sur les réseaux sociaux avant de les pousser à lui envoyer des photos et vidéos dénudées. Malia ne fait pas partie des femmes qui ont croisé la route de Norman Thavaud, mais elle a vécu le chantage affectif dont parlent ces femmes. 

« J’avais l’impression qu’il était bien plus mature que les garçons de mon âge, que je pouvais lui faire confiance »

Tout commence après la première rupture amoureuse de Malia, elle a 14 ans et son premier copain vient de la quitter sans véritable motif en plein milieu de la cour de récréation de son établissement scolaire. C’est son premier chagrin d’amour. Si aujourd’hui elle en rigole, à l’époque, c’est un drame dont elle a du mal à se remettre. « À cet âge, les émotions sont démultipliées, surtout quand c’est la première relation. J’avais la sensation que le monde s’effondrait et je me disais que j’avais forcément fait quelque chose de mal. Je ne me sentais vraiment pas bien. » Les semaines passent difficilement, Malia n’a plus goût à rien, perd l’appétit et passe ses soirées à pleurer. 

Un week-end elle part avec ses parents pour un événement de famille, le baptême d’une petite cousine qui habite à plusieurs heures de route de chez elle. Là-bas, elle revoit plusieurs personnes qu’elle n’avait pas vu depuis des années, dont Julien. Ce garçon qui a quatre ans de plus qu’elle et qui l’a toujours un peu troublée. Il est le fils d’un premier mariage, du compagnon d’une membre de la famille présente ce jour-là. « Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il n’est pas lié à ma famille. Il est simplement là parce que son père s’est remarié à quelqu’un de ma famille », explique Malia. La jeune fille est timide et n’ose pas vraiment parler à ce garçon plus vieux qu’elle, mais les adultes les placent côte à côte à table et peu à peu le dialogue se crée. « On passe finalement la fin d’après-midi à jouer au ping-pong dans le jardin à l’écart de tout le monde et on entame une conversation qui dévie peu à peu sur les relations amoureuses », se souvient-elle.

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« Il m’explique qu’il vient de rompre avec sa copine, avec qui il a été en couple pendant 1 an et demi. Je me sens à l’aise qu’il se confie à moi donc je fais de même et je lui parle moi aussi de ma rupture. J’avais l’impression qu’il était bien plus mature que les garçons de mon âge, que je pouvais lui faire confiance. » Très vite, Julien rebondit sur cette information et pose des questions : « Il me demande quel âge avait mon ex copain, pourquoi nous nous sommes séparés et lorsque je lui raconte, il répond très vite que je devrais m’intéresser à des « mecs plus vieux » qui « savent ce qu’ils veulent » et pas à « des gamins ». À ce moment-là, Malia ne voit pas que les propos de Julien ont pour objectif de la pousser vers lui. Lorsqu’il est temps pour elle de rentrer chez elle, il insiste pour prendre son numéro de téléphone. À peine assise dans la voiture de ses parents pour rentrer, elle reçoit déjà un message de Julien : « J’aime bien parler avec toi, tu ne fais pas ton âge. Mentalement, t’es super mature. » Malia est flattée par ce commentaire à l’époque, aujourd’hui elle y voit déjà un « red flag ».

L’emprise prend place peu à peu

La conversation se poursuit par sms et dure des semaines. « Chaque jour, on s’envoie des messages, on commence à se raconter notre quotidien, à se confier de plus en plus. Très vite, je me suis avouée à moi-même que je m’attachais à lui et que ce n’était pas qu’un ami, mais je ne lui en parlais pas », se rappelle-t-elle. Elle poursuit : « Lui par contre, a très vite commencé à me dire des choses comme « Si tu n’étais pas si jeune, je me verrais avec toi, tu sais. » Comme s’il voulait que je sache qu’il envisageait plus avec moi, mais en même temps, que je vois ça comme quelque chose d’inaccessible. Je ne sais pas si c’était stratégique de son côté, mais ça a fait son effet. Plus il me disait des phrases comme ça, plus je me surprenais à vouloir lui prouver que j’étais assez mature pour être avec lui. » Julien la complimente très souvent sur son physique, lui donne des surnoms, des choses qui montrent clairement son attirance envers elle. Mais d’un autre côté, il est également très présent comme le serait un ami, il l’aide à aller mieux, l’encourage, lui redonne confiance en elle après sa rupture.

J’avais l’impression que je lui devais beaucoup, qu’il m’avait vraiment aidée et comprise comme personne.

explique-t-elle. Alors, quand Julien demande un soir à Malia de lui envoyer une photo d’elle, car « elle lui manque », elle ne voit pas le mal. Elle prend une photo en pyjama devant le miroir de sa chambre et lui envoie. Julien la complimente, puis lui demande une photo où on la verrait mieux « sans son pyjama ». Malia est sous le choc, elle a déjà entendu des copines en couple dire qu’elles envoyaient des photos à leurs copains en sous-vêtements, mais elle n’a jamais trouvé ça très safe et Julien n’est pas son copain. Gênée, elle lui demande pourquoi il voudrait cela, il répond qu’elle est « sa petite chérie » qu’il a « envie de la voir sans ses vêtements », qu’elle est très belle. « Il m’envoie un tas de messages pour me convaincre et me flatter. Je réponds évidemment que je ne veux pas, que je trouve ça bizarre. Il n’insiste pas, mais me montre qu’il est déçu. »

Quelques jours plus tard, Julien revient sur le sujet : « Il se remet à dire qu’on serait bien ensemble, qu’il est certain que ça pourrait fonctionner entre nous deux, mais que je suis trop jeune, que nous n’avons pas la même vision d’un couple. Quand je demande ce qui lui fait dire ça, il me dit que ma réaction de l’autre soir est une des principales raisons. » Julien explique à Malia qu’à son âge, il est normal que s’il est dans une relation avec une fille, elle lui envoie des photos d’elle dénudée, qu’ils aient des conversations intimes, que la relation ne soit pas platonique.

Il utilise l’argument de la distance pour justifier encore plus son propos en disant que « puisqu’on habite à plusieurs heures l’un de l’autre, si on se met en couple et que je refuse de lui envoyer ce genre de chose, alors il n’y a aucune intimité entre nous…

Loin de la forcer, Julien utilise la technique inverse : « Tu vois, j’avais raison ça ne peut pas marcher, tu es trop jeune, tu n’as pas encore la maturité nécessaire sur ces choses-là », lui écrit-il. Malia parle avec lui depuis plusieurs mois maintenant, elle ne se voit pas passer à côté d’une personne qui lui apporte autant de positif et elle a très envie d’être avec Julien. Elle lui répond que si, qu’elle comprend et qu’elle va faire des efforts s’ils se mettent ensemble.

À ce moment-là, je suis prête à tout pour le retenir, pour qu’on soit en couple, parce que je suis déjà super attachée à lui et je ne veux pas passer pour la petite fille coincée. En plus, il m’a aidé à remonter la pente, je me dis que je lui dois bien ça, que ce n’est pas grand chose, que c’est normal pour quelqu’un de son âge de demander ça.

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Malia explique aussi que Julien mentionne souvent le fait que c’est rare qu’un garçon de son âge s’intéresse à une fille aussi jeune qu’elle. « Je me sens chanceuse qu’il s’intéresse à moi, qu’il ne me voit pas comme un bébé. À cet âge-là, on veut être une grande. » La semaine suivante, Julien réitère sa demande de photos, il explique à Malia qu’il veut voir si elle tient sa promesse de « faire des efforts » avant de décider s’ils peuvent être ensemble officiellement. Ce jour-là, Malia cède et prend pour la première fois une photo d’elle en sous-vêtements devant son miroir. « J’avais un BlackBerry comme premier téléphone, il n’y avait pas de caméra avant donc je devais forcément avoir un miroir pour pouvoir me prendre en photo et en me regardant dans le miroir, je me souviens de m’être dit « J’ai un corps d’ado ça ne va jamais lui plaire » et « Qu’est que je suis en train de faire là ». Malia précise qu’à l’époque elle n’a aucun réseau social, elle envoie la photo par MMS, Julien peut donc l’enregistrer, la repartager etc… « Il me rassurait en disant que c’était comme si j’étais en maillot de bain. Aujourd’hui jamais je ne ferai ça, même sur Snapchat où l’on peut voir si la personne fait une capture, je n’ai pas confiance. À ce moment-là, je crois que je n’étais pas totalement inconsciente du danger, mais je me disais qu’il ne ferait rien qui puisse me faire du mal, que c’était un garçon réfléchi, adulte. » À partir de cet envoi, Julien réitère sa demande régulièrement, Malia envoie les photos, mais ce n’est pas assez.

Très vite, il veut que j’enlève le haut, il dit qu’il veut me voir entièrement. Je refuse, mais il peut débattre pendant des heures pour essayer de me convaincre. Il me dit que lorsque l’on se verra, je serai bien nue devant lui à un moment ou un autre donc pourquoi en faire tout un plat maintenant. Heureusement, je n’ai jamais cédé à envoyer des photos nues.

Lorsqu’il voit que Malia est catégorique sur sa décision, Julien décide enfin de lui demander d’être sa petite copine, d’être officiellement en couple, à ce moment-là, elle saute de joie. « Pour moi, c’était le plus beau jour de ma vie, enfin, il voulait être avec moi peu importe mon âge, on allait enfin être ensemble pour de vrai. » Mais après cette officialisation, Julien se fait plus pressant sur les demandes de photos : « Il m’en demandait de plus en plus, parfois dès le matin et quand je disais que je ne pouvais pas car j’étais chez des amies, il faisait la tête et ne me répondait plus pendant des heures. Au point que je devais m’éclipser pour aller prendre une photo dans la salle de bain. Quand j’y repense, je me dis que c’était du délire. Je croyais que c’était de l’amour, mais c’était du chantage affectif. »

Malia se souvient d’un séjour chez sa meilleure amie en vacances où celle-ci l’avait surpris en train d’essayer de se prendre en photo à l’aveugle en tournant son BlackBerry vers elle alors qu’elle était en soutien-gorge. « Mon amie m’a dit « qu’est-ce que tu fais, tu veux que je prenne une photo pour toi, c’est pour quoi ? » J’étais super gênée de lui dire la vérité, que c’était Julien qui demandait ça. Elle m’a évidemment mise en garde en me disant que c’était dangereux de lui envoyer ça, qu’il pouvait en faire tout et n’importe quoi. » Ce jour-là, les paroles de son amie reste longtemps dans la tête de Malia. Bien que cela fasse des mois qu’elle est avec Julien, elle décide ce soir-là de lui annoncer qu’elle ne lui enverra plus de photos de ce genre. « Je me souviens avoir envoyé le texto alors qu’on regardait un film avec mon amie, il a répondu deux minutes après en me disant qu’il me quittait car pour lui cela voulait dire que je ne lui faisais pas confiance, que je ne l’aimais pas. Je me suis effondrée en sanglots. »

Une manipulation sans fin

« Évidemment je suis tellement attachée que je finis par revenir sur ma décision pour qu’on se remette ensemble, même si ma meilleure amie essaye de me faire ouvrir les yeux sur ce que ça veut dire de lui, je suis prête à tout pour ne pas qu’il me laisse tomber ». Après une période de latence, il accepte finalement que notre relation reprenne, mais je dois à nouveau envoyer des photos. Un jour, je finis par lui demander ce qu’il fait de ces photos, est-ce qu’il se masturbe devant ? Il me répond très énervé que pas du tout, que ce sont les gamins de mon âge qui font ce genre de trucs, que lui n’a pas besoin de faire ça, qu’il est adulte. » Malia se sent alors bête d’avoir posé cette question après une telle réaction. Un mois plus tard, ils se voient à nouveau avec leurs familles respectives qui ne savent rien de ce qui se passe entre eux. « Cette fois-là, je réalise que je suis super anxieuse d’être près de lui, je ne sais pas comment me comporter. Je n’ai jamais eu de rapports sexuels de ma vie et je crois que j’ai peur qu’il tente quelque chose et que je n’arrive pas à refuser », confie-t-elle. Finalement, les parents de Malia et de Julien étant présents avec eux, toute la journée, il ne se passe rien de plus que de discrets gestes de tendresse. La relation a continué encore plusieurs mois selon le même schéma, Julien demandait des photos, des vidéos, des sextos et Malia lui envoyait afin que leur relation ne s’arrête pas.

Au total, on a passé un an et demi comme ça, je pense que comme je le voyais peu, je l’idéalisais beaucoup ce qui me poussait à céder à son chantage aussi. À force, je savais que s’il était un peu froid ou tendu au téléphone, c’est parce que j’avais refusé d’envoyer une photo la veille par exemple, donc si je voulais que ça aille bien entre nous je devais accéder à ses demandes.

Mais quand j’ai eu 15 ans et demi, et que j’allais passer au lycée, j’ai commencé à réaliser que c’était bizarre qu’un mec de presque 20 ans puisse être avec moi. J’ai fini par me rendre compte que ce qui l’intéressait le plus c’était les photos et vidéos que j’envoyais. » Malia finit par apprendre que Julien fréquente d’autres filles depuis des mois, peut-être même depuis le début de leur relation. Lorsqu’elle le confronte à ce sujet, il lui répond « Tu ne sais rien. » Elle décide alors de le quitter. « Il ne m’a pas vraiment retenu, à ce moment-là, j’ai compris que je ne devais pas être la seule avec qui il entretenait une relation, je ne sais pas à combien de filles, il pouvait faire le même cinéma pour recevoir des photos en sous-vêtements ou plus. » Lors de leur rupture, Malia lui demande de supprimer toutes les photos et vidéos qu’elle a pu lui envoyer pendant tout ce temps. « Il était très calme lors de notre rupture, j’ai compris après avec certaines paroles que c’était par peur que je parle de tout ça à mes parents. Étant donné son attitude, je lui ai calmement demandé de supprimer toutes ces photos de moi, il a répondu : « Non, je les garde, je les aime beaucoup et après tout, elles sont à moi. » Après ces mots, j’ai compris que celui que j’avais mis sur un piédestal pendant tous ces mois était finalement quelqu’un d’extrêmement malsain qui n’avait sûrement jamais ressenti quoi que ce soit pour moi. J’étais seulement son jouet. » Elle ajoute : « Le pire, c’est que des années plus tard, alors que j’avais pris du recul sur la situation et que je savais que ce qu’il avait fait était grave, il a osé revenir en commentant une de mes stories sur Snapchat. J’avais 20 ans. Il a envoyé : « Toujours aussi jolie toi, ça n’a pas changé. » En recevant ça, j’ai eu envie de vomir. Depuis, je l’ai bloqué de partout et je n’ai plus jamais eu de contact avec lui. » Si Malia a tenu à partager son témoignage, c’est pour sensibiliser les plus jeunes, mais aussi éveiller les consciences sur un sujet dont les jeunes femmes ont parfois honte de parler.

Il faut que la honte change de camp, ce n’est pas moi qui ai retourné le cerveau d’une fille de 14 ans pour qu’elle fasse ce que j’avais envie qu’elle fasse, c’est lui. Aujourd’hui, je ne voudrais pas que ça arrive à ma fille plus tard, c’est pour ça que c’est important d’en parler sans tabou.

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