Gen F

En rejoignant la communauté, vous recevez un accès exclusif à tous nos articles, pourrez partager votre témoignage et…
© Chiara Steemans

TÉMOIGNAGES: « Je prends soin d’un proche en détresse »

Ces 3 jeunes héroïnes du quotidien prennent soin d’une personne qui leur est chère.Les aidants proches sont indispensables, mais aussi, malheureusement, trop souvent invisibles. Elles ont accepté de se livrer sur leur quotidien.

Au travers de leurs témoignages bouleversants et remplis d’amour, Flore, Yasmine et Emma racontent comment elles parviennent à trouver l’équilibre entre leurs besoins et le soutien apporté à leur parent ou partenaire en souffrance.

Lire aussi : TÉMOIGNAGE: “J’ai perdu mon frère quand j’avais 8 ans”

Flore veille sur son mari

© Chiara Steemans

Depuis 4 ans, Flore, 28 ans, veille sur son mari, Bram, qui présente une grave vulnérabilité psychologique. «Pendant longtemps, j’ignorais ce qu’était un aidant proche, jusqu’à ce que je découvre que j’en étais une moi-même. Bram, avec qui je suis depuis 7 ans et que j’ai épousé il y a 2 ans, a reçu à 29 ans un diagnostic de TDAH atypique et est actuel­lement testé pour un possible autisme et trouble de la personnalité. On ne sait pas encore de quoi il souffre ­exactement, mais je le décris comme une forme de ­vulnérabilité psychologique. De ses 18 à 22 ans, il a vécu une grave dépression. Bram a également une difficulté particulière à remettre les choses en perspective et à accepter lorsqu’elles ne se déroulent pas comme il ­l’imaginait. Ses idées et sentiments sont parfois différents de ceux des autres et il voit aussi le monde et la société autrement. Tout cela est passé ­inaperçu pendant un certain temps. Il avait un travail fixe, une relation amoureuse, un réseau d’amis. Aux yeux de l’extérieur, il ressemblait à un homme ordinaire, mais lorsque nous avons commencé à vivre ensemble, j’ai découvert à quel point il souffrait psychologiquement et j’ai alors ­réalisé que je devais faire plus pour lui qu’être simplement une petite amie ou une épouse.

Il est difficile de comparer notre relation avec celle d’autres couples, car j’agis également comme sa tutrice pour lui faciliter la vie et la mienne par la même occasion. Je le décharge ainsi d’autant de tâches que possible. S’il doit régler un problème avec sa mutuelle par exemple, je le ferai pour lui, car Bram peine à avoir une vision d’ensemble. Je dois m’assurer d’être disponible 24 h sur 24, 7 jours sur 7 et de mettre toujours en place une communication et des instructions claires, afin qu’il sache en permanence ce qu’on attend de lui. Il s’agit plus d’une forme d’aide physique et pratique, même si je ­l’accompagne psychologiquement pendant ses périodes dépressives, en lui offrant une épaule réconfortante et une oreille attentive.

Un numéro d’équilibriste

Être aidant proche est un rôle qui ne doit pas être sous-­estimé. C’est loin d’être toujours évident car je suis sa bouée, face à toutes les frustrations de sa vie. Et il y en a pas mal. Mais je le savais lorsque Bram et moi nous sommes mariés et j’ai dit oui aussi à cette partie, de tout mon cœur. Je prends soin de lui de multiples manières, avec beaucoup d’amour, mais je veille également à conserver une vie, en plus de ­m’occuper de lui. C’est une frontière essentielle, car je ne peux aider Bram comme il en a besoin, si je ne pense pas à prendre ­suffisamment soin de moi. Il est ­crucial de ne pas dépasser ses limites. C’est l’un des pièges les plus ­fréquents du rôle d’aidant proche, surtout à un si jeune âge. Mais, vu que j’en suis consciente, ­j’arrive ­généralement à me préserver.

Je veille à conserver une vie personnelle. C’est essentiel car sinon je ne peux aider Bram comme il en a besoin.

Au cours des dernières années, je n’ai atteint un ­épuisement extrême qu’une seule fois. C’était en mai ­dernier, je combinais alors soins, travaux à remettre pour l’école, examens et stage. On ne peut ­repousser ou ­interrompre même temporairement le rôle d’aidant proche, mais lorsque j’ai le sentiment de trop ­devoir porter sur mes épaules, je tire la sonnette d’alarme à temps, avant un point de non retour. Trouver l’équilibre entre mes propres besoins et ceux de mon mari, est un vrai casse-tête. Parfois, je pense avoir compris comment ­emboîter toutes les pièces du puzzle et puis, 6 mois plus tard, il s’avère que cela ne fonctionne plus et que tout est à recommencer. C’est une recherche constante, qui ­nécessite des solutions créatives, mais si vous aimez la personne, alors c’est une évidence. Comme je l’ai dit, ce n’est pas toujours simple, mais cela en vaut aussi la peine. »

Yasmine prend soin de sa maman atteinte d’une sclérose en plaques

© Chiara Steemans

Depuis l’enfance, Yasmine, 25 ans, prend soin de sa maman, atteinte de sclérose en plaques. «Ma maman avait 18 ans lorsqu’elle a ­ressenti les premiers symptômes ­évoquant une sclérose en plaques, une maladie chronique et auto-immune du système nerveux central. Et c’est 6 ans plus tard, bien avant ma naissance, que le diagnostic a finalement été posé. J’ai toujours su que maman était malade, mais j’ai été d’autant plus confrontée à sa souffrance lorsque mes parents ont ­divorcé, à mes 5 ans. Je suis fille unique et ma mère aussi. J’ai donc été soudain projetée de plein fouet au milieu de tout cela. Plus je grandissais, plus elle avait besoin de soins, même s’il y avait des phases de hauts et de bas. ­Certaines périodes comprenaient de nombreuses crises, mais il y avait aussi des moments ou elle était plus stable.

Ce qui est beau avec le statut d’aidant proche, c’est qu’il amène à développer un lien très fort avec la personne dont vous vous occupez.

Pendant un certain temps, je n’avais pas conscience d’être ­aidant proche. J’étais tombée dans ce rôle sans même m’en rendre compte et je ne connaissais personne vivant la même situation que moi. Ce n’est que lors de mes études supérieures en travail social que j’ai entendu ce terme pour la ­première fois et compris qu’il ­s’appliquait à moi. Par exemple, enfant et adolescente, il m’arrivait souvent de retrousser mes manches pour aider maman, que ce soit pour le ménage ou les tâches administratives. Mais pour moi, ce rôle a pris toute son ampleur lors de ma première année de cours à l’université, lorsqu’elle a aussi souffert d’un cancer de la gorge, puis que mon grand-père est décédé. Et depuis mai, je suis plus inquiète que jamais car maman a souffert de complications liées à une opération, ce qui l’amène a ne plus pouvoir bouger sa jambe. Cela signifie qu’elle ­dépend désormais presque entièrement d’une aide ­extérieure. En ce moment, tout tourne pour moi, autour de l’accompagnement et de la bienveillance. Et ceux-ci ne s’arrêtent jamais. Il n’y a pas de bouton pause.

Entre amour et solitude

Trouver un équilibre est un défi majeur car il faut souvent tout réajuster et chercher une nouvelle manière de ­fonctionner qui soit réalisable. Être aidant proche a un très gros impact sur ma vie, car cela m’empêche d’accomplir tout ce que font les jeunes de mon âge. Je dois choisir d’exercer un métier ou de suivre une formation qui puisse se combiner avec les soins. Ce qui est beau avec ce statut très particulier c’est qu’il amène à développer un lien très fort avec la personne dont vous vous occupez. Mais en même temps, c’est très éprouvant, ­psychologiquement comme ­physiquement et cela peut parfois amener à une ­existence solitaire. L’image ­stéréotypée que l’on a d’un aidant proche, est toujours celle d’une personne d’un certain âge. Les jeunes qui s’occupent d’un (grand-)parent, d’un frère ou d’une sœur, sont souvent oubliés dans ce tableau et restent encore bien trop dans l’ombre. C’est sans doute pour ça que dans ma ­pratique, je me suis orientée vers l’accompagnement des aidants proches. Car en vivant un tel processus, j’ai réalisé à quel point il me manquait un exemple à suivre. Et il est aussi important d’être reconnu pour les actes que l’on pose, tout comme d’avoir quelqu’un qui vous ­demande comment vous allez.

En plus de veiller sur la personne qui leur est chère, les aidants proches ont leur propre vie et il n’y a rien de mal à cela. Il est essentiel de poser ses limites, même si c’est parfois difficile, à cause du poids émotionnel. Mais vous devriez pouvoir exprimer ce que vous ressentez, sans vous sentir coupable. Chacun a un point de rupture. Et si ce seuil est dépassé, pour quelque raison que ce soit, il vous faut ­demander une aide extérieure. J’espère y contribuer ­autant que possible. C’est bien que les aidants proches soient mis à l’honneur chaque année, durant une journée ou une semaine et ­reçoivent dès lors toute l’attention qu’ils méritent, mais pour nous, cette journée se déroule 365 jour par an. »

Emma s’occupe de son arrière-grand-mère de 90 ans

© Chiara Steemans

Emma, 23 ans, est l’aidant proche de Mimi, son arrière-grand-mère de 90 ans, depuis 2020. Une mission qui consiste principalement à lui offrir un soutien psychologique. «En 2016, à l’âge de 16 ans, j’ai du affronter un cancer des os. Cette nouvelle a fait l’effet d’une bombe et pas seulement auprès de mes parents. Mon arrière-grand-mère, la maman de ma grand-mère, que nous appelons Mimi, l’a aussi très mal vécu. Mon père, ma mère, ma sœur et moi, étant très ­tracassés, elle essayait de nous soulager du quotidien, ­autant que possible. Même si elle avait déjà 84 ans à l’époque, elle venait une fois par semaine chez moi pour me tenir compagnie et donner un coup de main pour la lessive et le ménage. Mimi s’assurait que je me reposais suffisamment, que j’avais une alimentation saine et variée et que je puisse accumuler assez de force pour lutter contre le cancer. Lorsque ma santé s’est enfin améliorée, elle avait vieilli et avait désormais besoin de plus de soins que moi.

Sans le réaliser, Mimi et moi avons commencé à veiller l’une sur l’autre. Et cela n’a cessé depuis de se ­développer, au point que je suis ­aujourd’hui l’une des seules ­personnes dont elle accepte l’aide (rires). Elle n’aime pas admettre qu’il lui faut une assistance, mais ­heureusement, quand je suis avec elle, elle ose laisser sa fierté de côté. Malgré ses 90 ans, elle vit toujours seule chez elle. Elle est moins mobile qu’il y a quelques années, mais reste indépendante à 90 %, ce qui signifie que je n’ai presque aucune tâche physique à accomplir pour elle. Pour le ­moment, je lui offre surtout un soutien moral, qui se ­manifeste en bonne partie par une oreille attentive. Mimi est devenue veuve à un âge relativement jeune et vit sans partenaire depuis 30 ans. Ses enfants ont ­également ­quitté la maison depuis longtemps et cette solitude lui pèse.

Avec amour et plaisir

En plus du soutien psychologique, je veille aux questions administratives et, entre autres, à ce que toutes les ­factures soient payées à temps. Je l’accompagne aussi aux rendez-vous chez le médecin, je l’aide avec les courses trop lourdes, lui donne un coup de main pour les tâches ménagères, etc. Cela comprend pas mal de choses, mais je ne considère pas mon rôle d’aidant proche de Mimi comme une tâche obligatoire. Pour moi, c’est un honneur de pouvoir accomplir cette mission. Si c’était uniquement par devoir, cela ne ­fonctionnerait pas. Ce type de soins doit être réalisé avec le cœur. Je le fais avec beaucoup d’amour et de plaisir, mais en toute sincérité, cela se révèle malgré tout parfois difficile. Il faut beaucoup d’énergie pour prendre soin de quelqu’un d’autre que soi.

Je ne considère pas mon rôle d’aidant proche comme une tâche obligatoire. Pour moi, c’est un honneur de pouvoir accomplir cette mission.

Lorsque je rends visite à Mimi après une journée de travail et que je dois accomplir les mêmes tâches chez elle que celles que je réalise chez moi, je me couche très fatiguée. Et sachant que je suis auprès d’elle au moins 3 fois par semaine, cela a un vrai impact. C’est un rythme assez élevé, mais lorsque je ne la vois pas assez souvent ou que je n’ai pas de ses nouvelles pendant un moment, je ne me sens pas bien. Une bonne planification est la clé pour arriver à accomplir cette tâche, mais je le fais avec un grand sourire. Pourtant, je suis convaincue que le rôle d’aidant proche chez les jeunes est sous-estimé. Lorsqu’on ne le vit pas soi-même, il est généralement assez difficile de comprendre tout ce que cela implique. La plupart des gens y voient une simple visite standard chez un (arrière-)grand-parent, mais c’est bien plus que cela. Mimi me montre régulièrement qu’elle apprécie mon aide et de mon côté, je suis tout aussi ­reconnaissante. J’espère pouvoir l’avoir à mes côtés ­pendant encore longtemps. »

Lire aussi:

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Nos Partenaires