FAUT QU’ON PARLE: de l’injonction à jouir à tout prix
En cette journée de l’orgasme, prenons deux secondes pour faire un point sur le plaisir issu des rapports sexuels qui est mis à mal face à une course effrénée à la jouissance, laissant les femmes face à de nouvelles interrogations.
On dit souvent que quand on a un orgasme, on le sait, on le sent. Explosion sensationnelle, nirvana, petite mort, il y a tant de façons de décrire ce qui n’est au final qu’un réflexe corporel. Il me semble plutôt judicieux de commencer par là. C’est quoi un orgasme, finalement?
Si l’on s’en tient aux apprentissages de la sexologie, et notamment aux travaux de Masters et Johnson, pionniers en la matière, l’orgasme est un mécanisme qui se produit au cours du processus de réponse sexuelle. Soit suite à une excitation qui provoque un afflux sanguin plus abondant, une augmentation du rythme cardiaque et une hypertonie musculaire. Face à ces “symptômes” plutôt inconfortables pour le corps (bien que perçus potentiellement comme plaisants par l’humain), l’orgasme ramène du confort dans le corps, tel un relâchement, suivi par un boost d’hormones qui procurent du bien-être. Attention, je dis qu’il ne s’agit “que” d’un réflexe corporel, mais ça serait sans doute nier tous les bienfaits de cette décharge orgasmique. De nombreuses études ont prouvé les vertus de la jouissance, que ça soit pour la santé physique ou mentale. D’ailleurs, une fois qu’on l’a connu, il est plutôt courant d’aller “la rechercher” et de ressentir de la frustration quand on n’y parvient pas ou plus.
Seulement voilà, si un topo physiologique s’impose, d’autres plus historiques et sociologiques sont entrés en jeu et ont privé de nombreuses fxmmes `(j’emploierai cette graphie pour parler de toute personne ayant une vulve) de cette forme de plaisir. Déjà parce que la sexualité demeure un tabou, ensuite parce que l’éducation sexuelle vise davantage à prévenir ses désagréments que ses plaisirs mais aussi parce que toute fxmme revendiquant un goût pour le sexe était autrefois brûlée au bûcher. N’allez pas croire que tout est réglé aujourd’hui. Il aura tout de même fallu attendre 2017 pour que le clitoris soit correctement représenté dans un manuel scolaire. Ce qui n’a pas pour autant été suffisant pour une égalité sexuelle puisque le script bien ancré dans les mémoires collectives reste malheureusement le fameux “préliminaires, pénétration, éjaculation, fin du rapport”. Vous noterez que nous sommes donc face à une représentation de la sexualité purement hétérocentrée, voire phallocentrée.
Grâce aux combats incessants des féministes pour de meilleures représentations mais aussi pour pointer les problèmes d’inégalité en matière de sexualité et de plaisir, de plus en plus de voix se sont élevées pour revendiquer un droit au plaisir. Ainsi, en quelques années, les tabous liés à la masturbation ont pu être levés progressivement, les personnes possédant un clitoris sont davantage invitées à le découvrir et à explorer leur corps. Bref, se masturber est passé petit à petit du statut de secret honteux à celui de pratique encensée. Il était temps, c’est certain.
Seulement voilà, nous vivons dans une société capitaliste et là où il y a mouvement de foule, il y a potentiellement de quoi remplir son portefeuille. En témoignent les chiffres de vente pendant le confinement, les sextoys ont pris le marché d’assaut. Explosion de plaisir, partout dans le monde. Le Womanizer, à lui seul, comptabilise 4 millions de vente.
On ne peut pas le nier, la révolution sexuelle est lancée et les fxmmes sont invitées à prendre leur plaisir en main et à vibrer.
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Seulement voilà, en tant que sexologue, je ne peux que constater que si les sextoys sont un outil formidable pour faire jouir les personnes à clitoris, ils créent aussi de nouvelles injonctions et de nouvelles souffrances. Parce que s’ils s’avèrent d’une part plutôt efficaces pour certaine.e.s, d’autre part, ils ont aidé à multiplier les discours autour de la jouissance. En résulte une nouvelle course à l’orgasme dont le jouet sexuel est l’un des moyens les plus efficaces.
Raisons pour lesquelles il m’importe en cette journée de l’orgasme d’apporter quelques éléments en vue de visibiliser également cette injonction à jouir.
La sexualité, au même titre que l’orgasme, n’a pas une place similaire dans la vie de chacun. Au final, elle est presque un luxe que tout le monde n’a pas la possibilité de s’offrir, encore moins quand un aspirateur à clitoris coûte près de 200 euros. On peut ne pas ressentir de désir ou ne pas voir envie d’en ressentir. On peut ne pas donner de place prépondérante à la sexualité dans sa vie et être tout à fait en paix avec ça.
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Lors de mes consultations, je reçois de plus en plus de personnes qui culpabilisent ou qui développent des comportements anxieux parce qu’elles n’ont pas le dernier sextoy à la mode, parce qu’elles n’ont jamais eu envie de se masturber, parce qu’elles n’ont jamais eu d’orgasme aussi ou parce qu’elles ne savent plus jouir autrement qu’avec des appareils à pleine puissance et qu’elles rencontrent des difficultés avec des partenaires. Et à chaque fois, le constat est le même, il faut consacrer un temps nécessaire à la déconstruction de toutes ces idées véhiculées, dans un but bienveillant à la base j’en suis convaincue, qui ont laissé des traces.
Nous sommes passé.e.s d’une invitation à jouir à une obligation presque morale.
J’ajouterai également que le cerveau humain n’est malheureusement pas conçu pour répondre favorablement à nos demandes d’orgasme. J’entends par là que plus l’on se stresse pour en avoir un, plus on s’éloigne des possibilités que ça arrive. C’est un cercle vicieux qui demande du temps avant de devenir vertueux.
Tout ça pour dire qu’il me semble plus qu’heureux que chacun.e bénéficie enfin du droit légitime de disposer de son corps, d’en ressentir du plaisir et de se masturber autant qu’on le souhaite. Mais il est également important de préciser que l’orgasme, la masturbation, les rapports sexuels, ne sont là que des possibilités de plaisir, pas des obligations.
Et que, certes, il existe différents moyens d’y accéder et les jouets en font partie. Mais il n’en demeure pas moins que nous sommes des êtres incarnés dans des corps. Et que ces corps nous offrent toutes sortes de voies royales de plaisir. Ne pas les emprunter ne fait pas de vous une personne anormale. Ça fait de vous une personne libre de ses choix.
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