S’enfermer aux toilettes après le repas. Se libérer. Se sentir mieux. Et faire comme si de rien n’était auprès de tout le monde. L’enfer des troubles alimentaires, l’enfer de l’anorexie mentale, l’enfer de la dysmorphie. Pendant des années, ma vie a été marquée par ces comportements. Jusqu’au jour où le sport a décidé de s’en mêler et de tout chambouler.
J’avais 14 ans lorsque j’ai commencé à me faire vomir. Mon adolescence était à l’image de ce qu’elle est pour beaucoup de jeunes: une lutte permanente avec soi-même. Dans ma tête à ce moment-là, c’était le chaos. J’affrontais la peur de me regarder dans la glace chaque jour. La difficulté à accepter mon corps se faisait de plus en plus oppressante. Je ne me trouvais pas jolie. Je ne me trouvais pas attirante. Je me comparais à toutes mes amies, me demandant pourquoi mon corps n’était pas aussi beau que le leur. Je faisais également face à des remarques d’un entourage proche sur mon corps qui me conditionnaient dès le jeune âge à un idéal morphologique, que je n’embrassais évidemment pas. C’est de cette manière que je suis tombée dans l’anorexie mentale.
Petit à petit, le trouble alimentaire s’installe et vomir devient un exutoire. Ce moment-là, c’est mon moment à moi.
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Bien sûr, sur le moment, je n’avais aucune idée de ce que je faisais, de ce que je pensais, ni même de ce que je ressentais, en réalité. Je n’avais pas la moindre conscience que je sombrais dans une réelle maladie psychologique. C’est ainsi qu’un jour, je me suis retrouvée à m’enfermer dans les toilettes et à rejeter par vomissements le repas que je venais de manger. C’est arrivé une fois. Et puis, deux. Et puis, trois. Quel sentiment agréable de voir les grammes s’étioler sur la balance!
Petit à petit, le trouble alimentaire s’installe et vomir devient un exutoire. Ce moment-là, c’est mon moment à moi. C’est mon secret… Pourquoi quelqu’un devrait-il être au courant? Dès que je vais mal, je finis par rejeter ce que je viens de manger, comme si j’évacuais en même temps mes mauvais sentiments. Cette habitude s’installe alors par vague, me permettant de n’éveiller aucun soupçon sur ce qui se passe dans ma relation à la nourriture.
Des périodes difficiles
Durant ma vingtaine, les troubles se calment. J’ai évolué, les crises sont moins présentes, mais je n’accepte cependant toujours pas mon corps, que je vois bien différemment de ce qu’il est réellement. Jusqu’à la période de la Covid, qui réveille petit à petit mes vieux démons. Confortablement installés sur mes deux épaules, ces derniers me soufflent chaque midi et chaque soir à l’oreille de replonger sans gilet de sauvetage dans mes anciennes habitudes. Mon corps est amaigri. Je ne parviens plus à manger et le peu que je mange, je l’évacue immédiatement. J’affronte dans le même temps une rupture – certainement la plus douloureuse que j’ai pu vivre – et je réalise que je ne peux plus me laisser dicter par ce fardeau et ce mal-être permanent rempli d’insécurités et de failles.
Je décide, après 12 ans de silence, d’en parler à mes amis, à mes parents, et à ma psychologue. Je ne suis désormais plus seule, mais malgré tout, certaines périodes restent compliquées et je replonge intensément par phase dans l’anorexie mentale, certaines étant plus longues et pénibles que d’autres. La réalité est telle qu’à ce moment-là, j’oscille entre un profond mal-être et une envie de m’en sortir. Et l’Univers semble m’entendre: dans le cadre de mon job, une salle de sport , me propose un partenariat avec elle. Le but de cette collaboration? Suivre les cours collectifs proposés par la salle, mais également bénéficier d’un coaching personnalisé avec un professionnel du sport et de la santé. Je ne le savais pas encore, mais accepter cette proposition allait changer ma vie.
Quand la discipline gagne
J’ai fait de la gymnastique de compétition jusqu’à mes 18 ans et ensuite, l’appel des études supérieures m’a forcée à lâcher ce sport que j’aimais tant. J’ai mis du temps avant de me rendre compte que ce manque d’activité contribuait cruellement à mon mal-être physique. J’ai commencé les programmes sportifs à la maison, dans l’unique but de me sentir bien dans mon corps, et non dans ma tête… Cela a duré des années, jusqu’au jour où le sport est devenu une obsession. Je n’étais pas encadrée, je faisais énormément de séances par semaine, et je ne mangeais pas en suffisance en regard de l’énergie que je dépensais lors de mes activités. En somme: je faisais du sport dans l’unique but d’obtenir un corps qui me rendrait bien dans ma peau. En vain. C’est ainsi que ma collaboration avec la salle de sport a changé ma vision du sport.
J’ai entamé un véritable suivi avec Samira, une coach professionnelle, qui a commencé par me questionner sur mes habitudes sportives et alimentaires. Je suis honnête, et j’explique que ma relation à mon corps n’est pas simple, et ce, depuis des années. Dès la première séance, je découvre une nouvelle facette du sport. La salle dans laquelle je suis est remplie de bienveillance, je me sens accompagnée par Samira, mais aussi par les autres coachs qui dispensent des cours collectifs auxquels j’assiste plusieurs fois par semaine.
Tout est devenu plus facile: plus je faisais du sport, plus l’appétit me venait, et ça, c’était une grande première.
Très vite, je me rends compte que ma pratique sportive, parce que désormais encadrée, a une autre saveur. Le déclic se fait de plus en plus marquant au fil des semaines, des coachings, et des séances de sport. En parlant avec ces professionnels du milieu, je comprends que pour obtenir des résultats, ça se passe à 80 % dans l’assiette. Et c’est là où tout a changé pour moi puisque j’ai radicalement changé ma manière de m’alimenter. De la nana qui mangeait un yaourt bowl aux fruits par jour, je passais à celle qui consomme plusieurs repas par jour, dans un seul et unique but: (re)prendre soin de moi. Tout est devenu plus facile: plus je faisais du sport, plus l’appétit me venait, et ça, c’était une grande première. La pratique encadrée me faisait découvrir une sphère du sport que je n’avais jamais connue.
Quand le corps lâche
Mais une question me restait en tête: que se passerait-il si jamais j’arrêtais le sport? Cela faisait plus de 6 mois maintenant que je m’entraînais 5 à 6 fois par semaine et je dois le reconnaître: jamais de ma vie je ne m’étais si bien sentie dans mon corps. Mais les épreuves émotionnelles se sont accumulées dans ma vie personnelle, et physiquement, mon corps s’est mis à faiblir face à l’intensité du rythme que je lui envoyais dans la figure. Sans le savoir, j’allais bientôt avoir la réponse à cette question qui me taraudait tant… Le 28 mai, après des mois de préparation, j’enfile mes chaussures de course pour l’épreuve des 20 km de Bruxelles. Je me sens prête; bien plus prête que l’an dernier où je ne m’étais en réalité pas vraiment conditionnée à courir autant. La course est intense, et difficile. Je lutte avec moi-même du début jusqu’au… 18,7e km exactement, où mon corps me lâche. Je m’effondre, et je perds connaissance. J’enchaîne les malaises, et je suis malade: il n’y a aucun doute, mon corps est à bout de souffle. C’est alors que je décide, par la force des choses, de lever le pied. J’arrête le sport. Je redoute ce qui va se passer et comment je vais désormais faire pour me sentir bien.
Le sport comme pilier de vie
Au total, j’ai arrêté le sport pendant presque 3 semaines. 3 semaines où j’ai refait face à mes vieux démons – prétendre le contraire serait mentir – mais la lutte n’en a été que plus enrichissante sur le plan personnel car j’ai constaté à quel point mon évolution est belle. J’ai accepté que l’anorexie mentale, cette maladie que je côtoie depuis tant d’années, sera, au final, toujours là, quelque part, au fond de moi, mais que j’ai le pouvoir de lui dire « non ». Et même si pendant ces 3 semaines, j’ai refait face à ces mauvaises pensées, connectées directement à mon trouble alimentaire, j’ai pu remarquer un accomplissement qui vaut tout l’or du monde pour moi: l’anorexie mentale ne dicte plus ma vie. Je n’y suis pas arrivée seule: le sport est devenu mon pilier, tout autant que les personnes qui m’encadrent dans ma pratique. Je me suis rendu compte que le sport est définitivement dans ma vie pour mon bien-être mental, et non plus uniquement physique. Une preuve évidente qui appuie ce nouvel état d’esprit? Je ne me pèse plus depuis des mois car mon poids ne m’importe plus. Ce qui l’emporte, c’est mon bien-être, avant tout et pour tout. Le sport me porte et me fait grandir. Le sport me rend meilleure et me permet de passer au-dessus de la maladie. Le sport m’a sauvée, tout simplement.
L’avis de la spécialiste
Sophie Ledent, psychologue spécialiste, nous éclaire sur la pratique du sport comme recours aux troubles du comportement alimentaire (TCA).
Que sont les troubles du comportement alimentaire (TCA)?
« Les troubles du comportement alimentaire sont larges. Nous avons:
• L’anorexie restrictive: il s’agit d’une diminution drastique voire d’un arrêt total de s’alimenter, ou l’anorexie avec comportements compensatoires où la personne suit une alimentation normale, mais est suivie de vomissements, d’une prise de laxatifs, de jeûne ou d’un exercice physique excessif;
• La boulimie: ce sont des prises compulsives de quantités importantes de nourriture suivies de comportements compensatoires, à nouveau, vomissements, prise de laxatifs, jeûne ou exercice physique excessif… ;
• L’hyperphagie: la consommation récurrente d’une quantité excessive de nourriture sans comportement compensatoire. Une notion commune à ces 3 pathologies est le ‘contrôle’. La personne aux prises avec un TCA prend le contrôle de son apparence physique, mais perd de plus en plus le contrôle de sa vie quotidienne (les relations, les activités, l’école/le travail). La perte de contrôle est liée à la place prise par l’alimentation mais aussi à la perte d’énergie importante liée à la maladie. Dans l’hyperphagie, au contraire en revanche, il y a une perte de contrôle. »
Comment est-il possible de venir en aide aux personnes souffrant de TCA?
« L’accompagnement des jeunes filles (ce sont chez elles que l’on retrouve des TCA la plupart du temps) est multiple. Tout dépend de la gravité et de la chronicité du TCA. Cela dépend aussi de si c’est de l’anorexie restrictive ou avec comportements de purge, de la boulimie ou de l’hyperphagie. Dans les 3 cas, il faut une prise en charge à la fois somatique et psychologique. L’accompagnement et le soutien des proches est, lui aussi, facteur de guérison. Dans les cas les moins graves, un suivi régulier chez le médecin traitant et un suivi chez un·e psychologue peuvent suffire. Dans certains cas, le suivi psy individuel sera complété par une approche familiale. Si le TCA s’emballe, il est important de vite réagir. Dans les cas d’anorexie grave, la patiente doit se faire hospitaliser. Si son BMI est trop bas et que la patiente est en danger, une sonde nasogastrique sera nécessaire pour réalimenter la patiente. Si vous suspectez de l’anorexie chez un proche, c’est important de lui en parler ou d’en parler à un adulte si c’est un mineur. »
En quoi le sport peut-il constituer une échappatoire aux TCA?
« Chez les personnes souffrant d’anorexie, le sport est souvent une tentative supplémentaire de brûler des calories (stratégie compensatoire). Le sport n’est alors plus exercé pour le plaisir, mais bien pour contrôler davantage le poids. Dans les cas d’anorexie avérée, une diminution importante voire une suppression totale du sport est nécessaire. Quand le jeune a repris assez de poids, il peut recommencer doucement sa pratique sportive, à condition de le faire pour le plaisir. La reprise de sport doit être accompagnée par un proche et un médecin. Mais, le sport est aussi un très bon moyen d’exprimer ses émotions. »
Quels sont les pièges dans lesquels ne pas tomber dans ces cas-là?
« Les risques sont de pratiquer le sport dans le but de contrôler son poids et son apparence physique. De nombreuses personnes font du sport aussi pour leur image corporelle, mais tout est question d’équilibre. Il faut se poser des questions quand cela prend des proportions trop importantes. Par exemple, faire du gainage ou de la muscu dans sa chambre 1 h 30 par jour pourrait être inquiétant. Il y a alors une perte de plaisir. Certaines personnes souffrant de TCA s’infligent de faire une quantité de sport importante tous les jours sans exception. La perte de contrôle associée au fait de ne pas pouvoir faire le sport est souvent vécue comme insupportable. Certains sports où le corps est fort mis en avant peuvent être plus risqués: l’athlétisme, la danse (sports à visée esthétique ...). »
Certaines personnes souffrant de TCA font du sport chaque jour sans exception.
Quel serait l’accompagnement idéal pour une personne souffrant de TCA et faisant du sport?
« Dans les cas d’anorexie avérée, le sport doit être suspendu. Le corps de la personne est tellement affaibli par la perte de poids qu’il faut éviter toute dépense physique pour retrouver un BMI correct. Avant de reprendre le sport, c’est important de se questionner sur le sens de la pratique sportive en étant honnête avec soi-même. Est-ce pour le plaisir? Pour la décharge dopaminergique? Pour la performance? Pour dépenser des calories? Les parents et les proches ont leur rôle à jouer dans l’accompagnement de leur enfant. Le psy et le médecin traitant doivent rester dans la situation comme ‘filet de sécurité’ pour s’assurer que la personne garde l’équilibre établi et ne rechute pas. L’entraîneur ou le coach (s’il y en a un) doit aussi faire attention à ce qu’il renvoie par rapport à l’image corporelle et au poids. »
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