FAUT QU’ON PARLE: du système aberrant de ““dynamic pricing”” mis en place pour le concert de Sum 41 en Belgique
Le 23 octobre 2024, le groupe canadien Sum 41 se produira pour la dernière fois en Belgique. Les places, initialement mises en vente le 28 juin au prix de 54 euros, se vendent désormais plus du double. Et il n’est même pas question de revente ou de marché noir. Non, c’est la billetterie Ticketmaster elle-même qui a décidé d’appliquer un système déjà bien en place aux États-Unis, celui du “dynamic pricing”. Les grands perdants, dans cette histoire? Les consommateurs et les fans.
Paris, Stockholm ou encore Madrid, il y a plusieurs semaines, et bientôt Milan, Hambourg et Vienne, sans parler des autres. Depuis le début de sa tournée européenne, le 9 mai dernier, Taylor Swift attire les foules dans ces grandes villes du vieux continent. Des fans venus parfois de très loin, comme des États-Unis. Ces “gig-trippers” n’hésitent pas à faire des milliers de kilomètres pour assister à l’un des shows de leur idole, car le voyage et le prix des billets leur coûte moins cher que si elles et ils avaient payé pour la voir dans leur pays. La raison? Le “dynamic pricing”, ou “tarification dynamique”, dans la langue de Molière.
Lire aussi : Le “gig-tripping” est LA tendance voyage de 2024
Cette pratique consiste à faire fluctuer les prix des billets de concert en fonction de l’offre et de la demande. Plus la demande est importante et les billets rares, plus les prix augmentent. Au pays de l’Oncle Sam, cela est monnaie courante de voir des places standards se vendre des centaines, voire des milliers d’euros. La faute au quasi-monopole du géant Live Nation et de sa billetterie en ligne, Ticketmaster, qui ont décidé de faire ce qu’ils voulaient en matière de prix.
Sum 41, et Beyoncé avant eux
En Europe, et particulièrement en Belgique, nous étions épargnés. Enfin, jusqu’à aujourd’hui... En mai 2023, Sum 41 a annoncé sa dissolution après 28 ans d’existence. Le groupe de Deryck Whibley – l’ex d’Avril Lavigne, pour la petite histoire – avait toutefois prévu de faire plaisir à ses fans avec un neuvième et dernier album, intitulé “Heaven :x: Hell”, ainsi qu’avec une tournée d’adieu. Pour ces ultimes dates, le groupe canadien a prévu de faire escale à l’ING Arena (ancien Palais 12) de Bruxelles, le 23 octobre prochain. L’occasion pour tous les fans belges de voir ou revoir ce groupe de punk/metal culte des années 90 et 2000. Tout du moins, pour celles et ceux prêt·e·s à y mettre le prix.
Lors de l’ouverture de la billetterie, le prix en fosse était affiché à 54 euros par personne. Deux semaines plus tard, le prix de ces tickets – exactement les mêmes – a augmenté de plus de 200 %. À l’heure d’écrire ces lignes, une place en fosse coûte 132 euros. Certes, on n’en est pas encore au stade des États-Unis, avec des tickets à plus de mille euros, mais cette politique de dynamic pricing augure peut-être un chamboulement important dans notre façon de consommer des concerts. Une politique qui donnerait aux géants de l’industrie les pleins pouvoirs, et, pour le public, le seul choix de se plier aux règles ou de tout simplement faire une croix sur les spectacles de leurs artistes préférés. Et devinez qui se cache derrière la vente des billets du concert de Sum 41? On vous le donne en mille: Ticketmaster et Live Nation.
Ce n’est pas la première fois qu’un show donné en Belgique est sujet au dynamic pricing. Le concert de Beyoncé, au stade Roi Baudoin, en mai 2023, avait inauguré le système de tarification fluctuante chez nous. Résultat, ses places de concert se sont arrachées jusqu’à quatre fois leur prix initial. Cela n’a pourtant pas empêché la date d’être sold out en 25 minutes seulement. Une fois encore, c’est la société américaine Ticketmaster qui était chargée de la billetterie.
Les entreprises peuvent déterminer librement les prix tant qu’elles en informent les consommateurs.
Didier Reynders
Le dynamic pricing est-il légal?
On peut légitimement s’offusquer de cette tarification dynamique, mais le géant se défend, rapporte L’Écho. Il explique que ce système permettrait d’éviter la fraude et la revente sur le marché noir, tout en permettant aux artistes de s’en mettre plus dans les poches – au détriment des spectatrices et spectateurs.
Mais est-ce bien légal, tout cela? Le 16 août 2023, les députés européens socialistes démocrates Lara Wolters et René Repasi (S&D) ouvraient le débat avec une question écrite à l’adresse de la Commission européenne. Ils évoquaient, entre autres choses, les conséquences préjudiciables pour les consommateurs, en particulier pour les plus jeunes disposant de moins de moyens. Ils questionnaient, en outre, la légalité du système de dynamic pricing et demandaient à la Commission si elle prévoyait d’interdire cette “technique de vente artificielle”.
En date du 27 septembre 2023, Didier Reynders, commissaire européen à la Justice, leur a répondu que la tarification dynamique n’était pas interdite par les mesures européennes de protection des consommateurs. “Les entreprises peuvent déterminer librement les prix tant qu’elles en informent les consommateurs”, a-t-il souligné, nuançant cependant: “Les pratiques commerciales liées à la tarification dynamique pourraient, dans certaines circonstances, enfreindre la directive sur les pratiques commerciales déloyales 2005/29/CE1, par exemple, si les prix sont augmentés au cours du processus de réservation après que le consommateur a procédé au paiement.”
Il est toutefois bien établi que l’Union européenne interdit l’imposition de prix excessifs par une entreprise dominante.
Il a également indiqué que les abus par les sociétés devaient être analysés “au cas par cas” et qu’il n’existait, à l’heure actuelle, aucun précédent en matière de dynamic pricing. “Il est toutefois bien établi que l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) interdit l’imposition de prix excessifs par une entreprise dominante. L’imposition de mesures correctives sur la base de l’article nécessiterait la constatation d’une infraction et, à ce stade, aucune procédure de la Commission n’a été ouverte à cet égard”, a-t-il encore répondu, précisant qu’elle “continuera à surveiller les pratiques sur les marchés des médias et du divertissement, y compris les modèles de tarification”.
Les États-Unis attaquent Live Nation Entertainment
En mai dernier, le gouvernement américain a attaqué Live Nation et Ticketmaster dans l’espoir de casser leur monopole sur l’industrie du spectacle. Les États-Unis accusent les deux sociétés, fusionnées en 2010 sous l’appellation Live Nation Entertainment, de pratiques anticoncurrentielles.
Les méthodes de Live Nation “lui permettent d’exercer un contrôle monopolistique sur l’industrie du spectacle vivant aux États-Unis”, a affirmé le ministre de la Justice, Merrick Garland, par voie de communiqué. “Le résultat est que les fans paient des frais plus élevés, les artistes ont moins d’opportunités de se produire en concert, les petits promoteurs sont tenus à l’écart et les enceintes ont moins de choix en matière de billetterie.”
Lire aussi:
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici