FAUT QU’ON PARLE: de l’après Cécile Djunga et du racisme ordinaire ambiant
“Trop noire pour passer à l’écran”, “pas assez visible”. Hier soir, Cécile Djunga, présentatrice de la météo à la RTBF a posté une longue vidéo dans laquelle elle explique avoir été victime, une fois de plus, de propos racistes.
Après son passage à la télévision pour présenter la météo, Cécile Djunga a été informée d’un appel téléphonique d’une dame. Celle-ci s’est plainte de la couleur de peau de la jeune femme, prétextant qu’elle ne passait pas bien à la télévision. Outrée, Cécile Djunga s’est filmée à vif avec son téléphone afin de dénoncer cette situation et toutes les autres dont elle est victime depuis qu’elle est exposée publiquement à la télévision. Elle a partagé la vidéo sur ses réseaux.
Coup de Gueule 💔😪✊🏾 #STOPRACISME
Posted by Cécile Djunga on Wednesday, September 5, 2018
Ça fait un an que je fais ce métier maintenant et j’en ai marre de recevoir des messages racistes, insultants. Donc, ça commence à me mettre en colère et ça me touche parce que je suis un être humain. Ce n’est plus drôle en fait. Recevoir ‘sale négresse rentre dans ton pays’, ce n’est pas drôle”.
Au lendemain de cette publication, il faut qu’on parle
Le racisme peut revêtir différents aspects. Il peut être conscient, dirigé, passager, violent, organisé. Et dans tous ces cas, il est souvent incontrôlable, à moins d’un cadre légal visant à le punir. Mais sa forme la plus dangereuse, c’est le racisme inconscient. C’est sans doute ce à quoi Cécile Djunga a été confrontée hier soir lorsqu’une dame l’a appelée pour lui signifier qu’elle était trop noire pour qu’on la perçoive à l’écran.
Nous vivons dans une société en passe de faire des efforts pour intégrer “les minorités” à l’écran. C’est un triste constat mais il est réel. Aujourd’hui encore, il existe des quotas visant à une visibilité de la diversité* dans les médias. Ils ont été le fruit d’un long combat d’organismes privés, d’associations, avant d’être repris par l’État pour les inclure aux cahiers des charges des chaînes privées et publiques. Ce qui est représentatif d’une réalité triste à mourir: ce n’est pas encore normal de voir les différences représentées à l’écran. Si l’intention est louable, elle n’est toutefois pas automatique. Pour pousser l’idée à son paroxysme, c’est comme si on devait se féliciter d’employer une personne noire pour montrer la “diversité”, bien au-delà de la plus-value de ses compétences. Triste à mourir, on vous le dit.
*Joli mot utilisé pour montrer l’intégration de chacun dans une société multiculturelle.
Il faut pourtant faire face à l’évidence, cette même “diversité” est encore sous-représentée à la télévision. Elle est même souvent maladroite. Nous regardons une télévision, qui, il y a encore quelques années, embauchait des personnes noires pour présenter des émissions destinées aux minorités, pour rester dans le ton vous voyez. L’intégration peut paraître bien hypocrite vue comme ça. Il reste pourtant très difficile de dénoncer cette réalité. Comme le dit très justement Catherine Humblot dans un article de Migrations Société: “comment dénoncer si on ne peut pas quantifier? Et comment quantifier ce qu’on ne peut nommer?”.
Malgré tout, restons positifs, les efforts sont réels et heureusement. Mais ils sont insuffisants. La preuve que le travail est encore long: des épisodes comme celui vécu par une présentatrice de la météo noire arrivent encore. Cette dame, qu’on imagine regarder la météo en peignoir dans son canapé, s’est sentie investie d’une mission. Quand elle dit à Cécile Djunga qu’il fallait “que quelqu’un lui dise”, elle s’estime porteuse d’un message largement partagé par d’autres. Elle, héroïne de son salon, a osé prendre la parole et dire tout haut ce que “tout le monde” pense tout bas.
La pensée de cette dame n’est-elle pas le résultat de dizaines d’années de télévision blanche?
A-t-elle été déstabilisée par un visage qu’elle n’a pas l’habitude de côtoyer? L’apparence de Cécile Djunga (qui a une diction parfaite, précisons-le) a-t-elle eu un réel impact sur sa compréhension de la météo? Bien sûr que non. Mais pour nous, cet épisode anecdotique est la conséquence directe d’un manque d’éducation par l’image, d’un racisme inconscient bien trop ancré dans notre société.
Il est à l’image des blagues potaches que l’on dit “juste pour rire” sans en mesurer réellement l’impact. Pourtant, il est toujours bon de rappeler que le racisme est préjudiciable. Et bien au-delà des risques légaux encourus, il est aussi épuisant pour les personnes qui en sont victimes tous les jours.
Aujourd’hui, plus que jamais, il est nécessaire d’éduquer, de bousculer, de questionner. Et surtout de dénoncer haut et fort, comme l’a fait Cécile. Parce que notre silence peut être aussi dangereux que le bruit des intolérants et des ignorants.
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