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© Senior Lady in a Wheelchair Holding Hands with her Young Caretaker; Shutterstock ID 97605239

FAUT QU’ON PARLE: de l’importance de franchir la barrière qui nous sépare des autres

La rédaction

À quel point pouvons-nous avoir un impact sur les autres? Pourquoi un sourire peut-il changer la journée d’une personne? À force de jouer les inconnus les uns face aux autres, on en oublie parfois notre humanité la plus profonde et notre pouvoir de donner de l’amour. Ce matin, j’en ai fait l’expérience et ai compris pourquoi il n’est jamais vain d’être attentif aux gens qui nous entourent.


Mardi 8h30. J’arrive à la gare de Bruxelles Nord pour prendre mon deuxième train en direction de Malines. C’est toujours la course à ce moment-là. Je dispose d’exactement deux minutes pour changer de voie et sauter dans le suivant. Nous sommes des dizaines à nous laisser porter d’un escalier à l’autre, trimballés par le flot incessant de voyageurs attendus quelque part. Personne ne se regarde, personne ne se parle. Nous sommes tous pressés.

Je monte quatre à quatre la dernière volée de marches. Alors que mon regard a désormais une vue sur le quai, je vois une dame d’une septantaine d’années tituber quelques secondes avant de s’effondrer sur le sol. Mon élan sportif ne me permet pas d’arriver en haut tout de suite et je mets plusieurs longues secondes avant de l’atteindre. Autour de moi, des dizaines de personnes contemplent la scène sans lever le petit doigt.

Aucun n’a bronché. Ni ce groupe de jeunes hypnotisés par la vieille dame recroquevillée sur elle-même, ni les passants en train de finir leur cigarette ou leur premier café du matin. En arrivant à sa hauteur, j’ai largement le temps de les toiser, comme pour leur signifier que leur comportement n’est pas des plus respectables. Mais une fois près d’elle, j’oublie tout ceux qui m’entourent pour me concentrer sur le bien-être de cette femme.

Je m’assure qu’elle n’a rien de cassé ou d’abîmé avant de la remettre debout. Elle y tient absolument: retrouver sa dignité en se tenant sur ses jambes. Lorsque son regard croise le mien, elle fond en larmes. Son visage est livide, terrorisé et ses mains tremblent.

Elle tente alors d’articuler quelques mots, tout doucement: “je fais de la chimio. Je suis très faible et je n’ai pas réfléchi en montant si vite les escaliers. Mes jambes ont lâché, j’en suis désolée”.  Mon coeur se tord devant sa détresse. Je passe son bras sur mon épaule avant de l’aider à aller s’assoir et la rassure en lui disant que je vais rester avec elle.

Une fois reposée sur le banc, elle me remercie chaleureusement et me fait comprendre que ça ira. “Essayez de passer une bonne journée Madame. Tout va bien maintenant” lui dis-je, pleine de bonnes intentions. Ses yeux se gonflent une nouvelle fois d’une peine infinie. “À vrai dire, je vais dire au revoir à ma maman à l’hôpital. Elle va mourir. Elle a 97 ans, c’est normal. Mais c’est ma maman” me répond-elle.

À ces mots, je sens l’émotion m’envahir. Cette petite dame doit se sentir bien seule, le coeur meurtri. Elle va sans doute passer la pire des journées: celle où l’on doit dire adieu à la personne la plus importante du monde à nos yeux. À cet instant précis, je n’hésite pas une seconde et la prends dans mes bras. Je sens ses larmes ruisseler sur ma joue et ses mains me serrer d’une force fragile mais intense.

Elle pose celles-ci sur mon visage et dans ses yeux minuscules épuisés par la vie, je lis de la reconnaissance.

Malgré la peine et la tristesse de ce moment très fort, il n’y a que de l’amour. On ne se connaît pas. On ne se reverra plus. Mais ce mardi matin, on s’est apporté quelque chose de profondément bon.

Dans mon dos, j’entends le sifflet du contrôleur. Mon train s’en va. Et ça n’a aucune importance finalement.

 

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