FAUT QU’ON PARLE: puis-je encore avoir des rides?
Dans un monde plein d’acide hyaluronique, de botox et de retouches émerge une question: “Puis-je encore avoir des rides?” Notre journaliste est partie en quête d’une relation saine avec le fait de prendre de l’âge, où les rides sont le symbole d’expériences et d’authenticité.
Le mois passé, il y a eu une grande nouvelle pour la jeune quadra que je suis: le magazine Vogue annonçait qu’il allait mettre quatre femmes quinquagénaires en cover. Les hashtags défilaient sur Twitter : #antiagism, #ageisnothingbutanumber. Jusqu’à ce que la couverture paraisse et que l’on y découvre quatre femmes beaucoup trop retouchées. Aucun corps ordinaire ne vieillira comme celui de ces super modèles. Et ça, je veux bien l’admettre. Mais que seule Cindy Crawford arbore quelques pattes d’oie, je refuse de le croire. C’était LA chance de montrer que des femmes plus âgées pouvaient être belles. Mais si même des déesses comme Christy Turlington et Naomi Campbell ne peuvent pas vieillir sans une quantité obscène de retouches Photoshop, quel espoir reste-t-il pour les femmes?
Prenons Charlize Theron. L’actrice est, depuis vingt ans déjà, le visage iconique du parfum J’Adore de Dior, et a aujourd’hui 48 ans. « Mon visage change et j’aime ce visage changé et vieilli. Et pourtant, des gens se demandent: ‘Qu’est-ce qu’elle a fait à son visage?’ Bon sang, j’ai juste vieilli, c’est ce qui arrive à un visage, ça ne veut pas dire que j’ai subi un mauvais lifting », expliquait-elle récemment dans une interview au magazine Allure. Elle y évoquait aussi les doubles standards qui existent pour les hommes et les femmes: « J’ai toujours eu un souci avec l’idée que les hommes vieillissaient comme du bon vin alors que les femmes étaient considérées comme des fleurs fanées. Je veux m’y opposer. »
Moi aussi, Charlize, moi aussi. Mais ce n’est quand même pas si simple. C’est ce que j’ai pu constater cette année, pendant laquelle j’ai fêté mon 40e anniversaire. Félicitations à moi, nous voulons tou·te·s devenir (plus) âgé·e·s mais de préférence de façon aussi peu visible que possible, n’est-ce pas? Et de préférence avec une peau qui paraît jeune le plus longtemps possible. Mieux vaut des boutons que des rides. Et cette idée commence à me hanter.
Chuuut!
Si vous pensez: « Avec quoi elle vient, je suis encore bien trop jeune pour tout ça », vous vous trompez! Le vieillissement commence autour de 20 ans (même si cela ne se remarque pas trop les premières années). Vers 35-40 ans, les changements de peau commencent lentement à se voir. C’est peut-être la plus grande injustice de notre vie de femme, que l’on doive dire adieu à notre peau de bébé, douce et souple, et commencer à nous confronter à des rides profondes, des pattes d’oie, des ridules au front et aux joues.
Même si j’aimerais terriblement ne pas être influencée par les idéaux de beauté féminine de notre société, je le suis. Comment pourrait-il en être autrement? À la télé et dans les films, on ne voit presque jamais de femmes âgées. Sans parler des photos retouchées que l’on voit partout sur les réseaux sociaux et des filtres qui nous lissent la peau, rappel quotidien qu’on ne veut ou ne PEUT pas vieillir. Le visage Instagram à la Bella Hadid, une mâchoire bien dessinée, des yeux de chat, des lèvres pulpeuses, une peau lisse, un nez subtil. Quand on ne lit pas qu’à à peine 30 ans, des dermatologues conseillent de commencer des injections de botox, en prévention.
À la télé et dans les films, on ne voit presque jamais de femmes âgées. Sans parler des photos retouchées que l’on voit partout sur les réseaux sociaux et des filtres qui nous lissent la peau, rappel quotidien qu’on en veut ou ne peut pas vieillir.
Et ce n’est pas que dans les médias, c’est aussi de plus en plus courant dans mon entourage. Et même si le tabou diminue, on en parle encore à voix basse. Pourtant il y a assez d’exemples de filles autour de moi qui, en fin de vingtaine, se font injecter des fillers (produits de comblement, ndlr) en prévention. J’ai des amies qui, après une visite chez le dermatologue, retrouvent d’un coup un visage lisse, et un de mes amis a fait ôter les poches sous ses yeux. Soudain, tout le monde se met au collagène, avec la promesse de cheveux plus volumineux, moins de rides, meilleurs ongles, et on me conseille de ne pas attendre trop longtemps.
Ça me poursuit
C’est bizarre, je n’ai absolument rien contre le fait « d’optimaliser » mon apparence. Je n’imagine pas garder mes cheveux gris et j’aime porter un joli maquillage quand je me rends à une fête. Ma question principale est de savoir quand un choix personnel devient une exigence de la société? À l’heure où l’on peut donner un coup de main à la nature, une peau jeune, lisse est accessible à tou·te·s, c’est bien, non? Alors pourquoi pas moi? J’ai le sentiment qu’il s’agit d’un choix décisif de ne pas y passer, alors qu’en réalité, je n’y ai pas vraiment réfléchi. Vais-je donc être la seule à choisir de vieillir naturellement? Ok, j’exagère, la plupart de mes amies ne sont pas encore passées au botox, mais quand même. Maintenant que les produits de comblement des canaux lacrymaux, le botox contre les rides du lion et les produits de comblement des coins de la bouche ne se comptent plus sur les doigts d’une main autour de moi, et qu’ils sont tous accompagnés du message: « Commence à temps » (merde, je suis déjà en retard!), j’ai l’impression que ça me poursuit.
Et honnêtement, je n’ai pas encore à me plaindre. Mon visage n’est pas encore très marqué par les rides. Je ne fume pas, j’essaie de me protéger du soleil, je nettoie et soigne religieusement ma peau avec de bons produits depuis des années et, comme je le dis toujours, il faut choisir entre le visage et le corps. Je suis légèrement plus ronde, y compris au niveau du visage, de sorte que l’affaissement ou la perte de volume n’est pas trop grave pour l’instant. Pour moi, c’est aussi la meilleure excuse, ou le meilleur remède, contre les régimes draconiens: le résultat se verrait inévitablement sur mon visage. Je reçois encore régulièrement des réactions choquées: « Non, tu n’as pas déjà 40 ans, quand même? » (J’avoue: j’ai eu beaucoup de mal à accepter d’avoir 40 ans cette année et j’ai donc lâché mon âge régulièrement, juste pour entendre ce commentaire.)
Mais cela n’enlève rien au fait qu’il m’arrive aussi d’être choquée. Par exemple quand je vois une photo d’il y a dix ans, ou une de maintenant, avec ces petites lignes dans le bas de ma joue ou autour de ma bouche, qui sont tout de même un peu plus creusées que ce que je voudrais. Ces coins de ma bouche qui sont déjà presque en permanence baissés. Et mes paupières qui commencent aussi à s’affaisser un peu. Au début seulement après une mauvaise nuit ou une crise de rhume des foins, désormais presque toujours.
Déjà sur le déclin?
C’est si simple, pourtant. Et tellement de gens y ont recours. D’après une étude récente menée aux Pays-Bas, un jeune adulte sur douze a déjà consulté un médecin esthétique. Ce chiffre a doublé en dix ans. 85 % sont des femmes. Les interventions esthétiques se sont généralisées. On les place au même niveau que se rendre chez un coiffeur de luxe ou s’offrir une manucure, alors qu’il s’agit d’actes médicaux qui peuvent mal tourner. Au début de l’été, un sondage a montré qu’il était plus rapide d’obtenir un rendez-vous chez le dermatologue pour un traitement de beauté tel que le botox que pour l’examen d’une tache suspecte! Cela s’explique sûrement en partie par le fait que ces traitements rapportent plus, mais cela reste révélateur de la direction dans laquelle nous nous dirigeons. En ligne, j’ai lu des articles sur la façon dont on peut utiliser des produits de comblement pour « paraître naturellement mieux, plus fraîche, sans que personne ne remarque qu’on est passée sous l’aiguille ». Sommes-nous désormais tous contre les régimes, mais pour les produits de comblement?
Ai-je vraiment dépassé la fleur de l’âge? Alors que j’ai l’impression que la vie ne fait que commencer. Nous vivons dans un monde qui idolâtre la jeunesse, un monde phobique de l’âge.
Notre vie est-elle terminée lorsque nous ne répondons plus aux critères de beauté, que nous ne traversons plus la vie en douceur et sans rides? Gwyneth Paltrow, 50 ans, qui est sans doute la plus digne représentante de la beauté intemporelle, en a témoigné dans son podcast Goop. « À 40 ans, je pensais que ma vie était finie. Si j’ai décroché des rôles d’actrice, c’est en partie parce que j’étais considérée comme une femme séduisante. Et si ce n’était plus le cas? Si je n’étais plus considérée comme sexuellement attirante? » L’actrice raconte qu’elle a paniqué et s’est rendue chez le médecin pour des injections de botox.
Je la comprends. Ai-je vraiment dépassé la fleur de l’âge? Alors que j’ai l’impression que la vie ne fait que commencer. Nous vivons dans un monde qui idolâtre la jeunesse, un monde phobique de l’âge. Et oui, comme l’a dit Charlize Theron, notre culture regarde les femmes vieillissantes différemment. Un homme vieillissant est séduisant, une femme vieillissante doit avant tout « lutter contre la décrépitude ». Elle doit être « belle pour son âge ». Plus une femme vieillit, moins elle a de valeur sociale, semble-t-il. Presque invisible au regard ou à l’appréciation des hommes.
Facile à rayer de la carte
Mon plus grand problème avec le botox est peut-être le suivant: où est-ce que cela s’arrête? Le botox empêche les muscles de bouger. Cet effet est temporaire. Une fois que vous avez commencé à l’utiliser – « C’est si facile, et tout le monde me complimente en me disant que j’ai l’air plus fraîche » –, quand vous arrêtez-vous? Quand est-ce que c’est assez et qu’on peut se laisser vieillir? Je pense vraiment qu’il est facile de se laisser entraîner dans cette voie. Sans parler des complications possibles, comme l’injection accidentelle de produits de comblement dans un vaisseau sanguin entraînant la gangrène d’une lèvre, ou l’apparition de rides supplémentaires dans d’autres parties du visage lorsque (parce que de petits muscles prennent le relais des muscles faciaux temporairement paralysés). J’ai fait des recherches à ce sujet sur Google.
Pour reprendre les sages paroles de la poétesse Maya Angelou: « Pourquoi diable laisseriez-vous quelqu’un vous planter une aiguille dans le visage juste pour vous débarrasser d’une ride? Nous devons nous estimer non pas pour notre apparence ou pour les choses que nous possédons, mais pour les femmes que nous sommes. » Jusqu’à quel point est-ce que je veux m’accrocher à un idéal de beauté inaccessible, trop jeune? Jusqu’où suis-je prête à aller? Et est-ce que cela me rendra heureuse à long terme? Ou vaut-il mieux accepter ces rides sur mon visage, qui symbolisent toutes les années que j’ai vécues, mes nombreuses expériences et mes rires, la sagesse que j’ai accumulée, comme les anneaux de croissance d’un arbre. Ou, comme le dit Gwyneth Paltrow à l’aube de ses 50 ans, accepter tranquillement ma peau plus souple, mes rides et mes cheveux gris: « Un ensemble d’irrégularités qui font de moi ce que je suis, comme les pages cornées d’un livre. » Joliment dit.
Si je traverse la vie en souriant, en étant heureuse et en fronçant moins les sourcils, c’est aussi un moyen d’avoir moins de rides, non?
Pour être honnête: l’idée de passer à la quarantaine a été plus difficile que mes 40 ans eux-mêmes. Mes amis les plus chers ont organisé une fête surprise, je me suis sentie aimée et je rayonnais sur les photos. C’est un peu cliché, je sais, mais ça reste l‘essentiel. Si je traverse la vie en souriant, en étant heureuse et en fronçant moins les sourcils, c’est aussi un moyen d’avoir moins de rides, non?
Quant à savoir si je prendrai plaisir à me regarder dans le miroir chaque matin en me levant ou à me voir en photo pendant les dix prochaines années... je ne peux pas le promettre. Mais je promets de m’efforcer de ne pas tomber dans le piège des messages que nous recevons sur le fait de vieillir en tant que femmes... D’être aussi authentique que possible, sans lifting ni botox. Je ne veux pas avoir l’air d’avoir 30 ans à 50 ans. Je l’écris avec beaucoup d’assurance maintenant, mais cela ne veut pas dire que je ne vais pas utiliser des crèmes, m’hydrater et bien dormir, en espérant « ne pas avoir l’air d’avoir 40 ans », pendant longtemps. Je continuerai également à me teindre les cheveux et à me maquiller quand je veux briller en soirée. Une femme n’a pas besoin de dévoiler tous ses secrets de beauté! (En plus, je ne vous ai pas dit, mais lors de mon dernier frottis chez le gynécologue, on m’a dit que mes ovaires semblaient encore en bon état. Encore de quoi me remonter le moral).
J’ai lu quelque part qu’en vieillissant, les femmes deviennent peut-être moins visibles, mais que cela signifie aussi qu’elles sont moins gênées par le regard des autres et par les idéaux de beauté dont elles ont peut-être souffert pendant des années. C’est ce que je souhaite. Vieillir est un privilège. Cela signifie que je suis toujours là, que je peux encore me réinventer, avec ou sans rides. En tant que femme plus sage, plus sauvage, plus forte dans la vie et qui ne se laisse pas influencer par l’apparence qu’elle devrait afficher.
Texte: Kaatje De Coninck et Julie Braun
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