FAUT QU’ON PARLE: stop au dénigrement de l’élan envers l’Ukraine
Depuis que la Russie a envahi l’Ukraine le 24 février dernier, un formidable élan de soutien a surgi des quatre coins de la planète. Avec, en fond sonore, un dénigrement de ce même élan solidaire pour une variété de raisons qui n’ont pas lieu d’être.
Depuis que Vladimir Poutine a ordonné à ses troupes d’envahir l’Ukraine à la fin février, les nouvelles, qu’elles soient diffusées par les médias, des journalistes indépendants présents sur place ou encore via les réseaux sociaux, montrent une réalité si glaçante qu’elle en devient presqu’impossible à comprendre. Si le continent européen n’avait pas été exempt de conflits depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, les images de la guerre en Ukraine renvoient douloureusement à la mémoire collective de ces quatre ans maudits, entre civils affamés et assoiffés dans des villes sous siège, soignants et journalistes pris pour cibles, hôpitaux bombardés, quartiers entiers réduits à néant, déplacements massifs de réfugiés et menace nucléaire.
Une réalité qui se rapproche parfois tant du film apocalyptique ou de la dystopie qu’il est difficile de l’appréhender dans tout ce qu’elle implique, la réponse collective semblant être une quête désespérée d’apporter toutes formes de soutien possibles aux habitant d’Ukraine, comme pour conjurer le sentiment d’injustice (et d’impuissance) qui nous étreint.
Dons matériels ou financiers, promesses d’héberger des réfugiés, soutien logistique, sanctions diplomatiques et économiques, engagement associatif... L’ampleur de l’élan solidaire, tant au niveau personnel qu’institutionnel, rendrait presque la foi en l’humanité dérobée par la décision inadmissible de Vladimir Poutine d’envahir l’Ukraine voisine. Presque, parce que nul acte de solidarité ne peut effacer la cruauté et le mépris total des traités internationaux (convention de Genève en tête) ainsi que de l’équilibre mondial qui transparaissent derrière le dernier dangereux caprice du locataire du Kremlin. Mais aussi parce qu’en marge de cet élan solidaire s’élèvent un choeur toujours plus bruyant de voix pour le condamner.
La morale de l’histoire
En raison d’une affinité pour la Russie, d’une certaine nostalgie de la gloire déchue de l’URSS ou d’une forme d’idolâtre de Vladimir Poutine? Quand ce sont ces éléments qui sous-tendent la condamnation de la solidarité occidentale envers l’Ukraine, bien que, pour les Occidentaux en question, ces arguments soient difficiles voire impossibles à comprendre -sans parler de les cautionner- il s’agit-là de la prérogative de celles et ceux qui pensent ainsi. Tout comme d’autres ont le droit (et ne se privent pas de l’exercer) de penser que l’afflux d’aide vers l’Ukraine est une honte pour l’Occident ainsi qu’un cruel rappel de tout ce qui pourrait être (et n’est pas) fait pour d’autres peuples/conflits/causes, même si tout de suite, l’élément de vertu moralisatrice et culpabilisante qui y est immanquablement associé laisse un goût amer.
“Parce qu’il n’y a que la vérité qui blesse”? Peut-être. Mais aussi et surtout parce qu’à l’heure où un pays somme toute si proche est mis à feu et à sang pour avoir eu l’audace de vouloir se rapprocher de certaines de nos institutions fondatrices, l’Union européenne et l’OTAN en tête, réduire la solidarité envers l’Ukraine à une manifestation d’autocentrisme touche presque à l’obscène. Et tenter de culpabiliser celles et ceux qui se démènent pour apporter un soutien nécessaire au prétexte qu’en ce moment même le conflit fait rage aussi “en Afghanistan/au Yémen/en Syrie/insérez le nom de votre pays de choix ici” est contre-productif au possible.
Résiste, prouve que tu paniques
Si on voulait nous aussi être culpabilisantes et (dé)moralisatrices, on pourrait comparer cette manière de penser à celle de celles et ceux qui ne manquent pas de demander ce qui est fait “pour nos (sic) SDF” à chaque fois qu’un appel à la solidarité pour des personnes venues d’ailleurs est lancé. Mais on n’aime pas faire aux autres ce qu’on n’aime pas qu’ils nous fassent, donc plutôt que de choisir l’argument de facilité pour démontrer le ridicule du raisonnement, on préfère puiser plutôt dans les théories du changement, où l’approche qui consiste à pointer tout ce qui pourrait être fait à la place de ce qui l’est a été largement étudiée.
Par définition, l’humain est résistant au changement, et il dort en chacun d’entre nous une série de systèmes de sabotage du changement qui ne demandent qu’à être activés quand la situation s’y prête. Parmi lesquels, celui qui consiste donc à réfuter la réponse apportée à un contexte nouveau, au prétexte que toute une série d’autres réponses auraient pu (et dû) être apportées à des contextes préalables. Ainsi, on déplore le soutien apporté à l’Ukraine, au prétexte qu’un soutien similaire devrait être apporté aux habitants d’autres pays, ce à quoi, votre tati un peu raciste sur les bords réplique que “oui mais ‘nos’ SDF” alors, pour se voir répondre que ça ne sert à rien d’aider les SDF si on n’endigue pas d’abord le réchauffement climatique, etc dans une boucle contre-productive sans fin jusqu’à ce que la mort de toute envie de se mobiliser pour une cause qui vous parle s’ensuive.
Envers (et contre) l’Ukraine
Une situation d’autant plus pénible dans la société hyper clivée qu’on habite. Qu’il s’agisse des véritables motivations de Vladimir Poutine, du port du masque ou même de si un vêtement est rayé bleu et noir ou doré et blanc, tout est n’importe quoi est prétexte à une dramatisation du débat, avec un dialogue poussé au manichéisme extrême: tout est blanc, ou noir, et il n’y a plus de zone grise acceptable.
Autrement dit, dans ce contexte mortifère, si vous soutenez publiquement l’Ukraine, cela veut forcément dire qu’il s’agit là de “votre” cause, la seule que vous soutenez et que vous estimez digne de l’être, et que vous vous fichez comme de l’an 40 du sort tragique réservé aux habitants d’Afghanistan, aux demandeurs d’asile, à la population du Yémen et toutes autres causes qui méritent elles aussi notre attention et notre support. Sauf que non, en fait. Et derrière l’armure vertueuse des chevaliers des causes justes, celles et ceux qui encombrent les réseaux de messages fustigeant la solidarité envers l’Ukraine ne font que cliver encore un peu plus un débat qui, s’il verse encore un peu dans l’opposition entre blanc et noir, finira par ressembler à un plateau de dames où on est toutes et tous en échec.
Il y a quelques jours de ça, face aux engagements pris tant au niveau gouvernemental que personnel, le vice-président de la Commission européenne, Margaritis Schinas, a souligné que « vous, les Belges, vous faites preuve d’une solidarité exemplaire ». Si on se concentrait sur ce qu’on peut vraiment accomplir quand on se rappelle que l’union fait la force, plutôt que de se livrer à des débats stériles en ligne, qui sait quel impact positif global on pourrait avoir? La question mérite d’être posée, plutôt que de répondre à la solidarité par une pseudo-morale.
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