Fonctionnaire le jour, drag queen la nuit, Edna est un personnage mémorable et unique au sein de la scène drag belge. Immergée dans ce monde depuis plus de dix ans, elle s’est forgée une expérience remarquable qui lui a permis de participer à la toute première saison de Drag Race Belgique. On a eu la chance de la rencontrer et voici ce qu’elle nous a confié…
Quand as-tu aperçu pour la première fois une drag queen ?
“C’était dans un journal télévisé, le reportage portait sur une gay pride et étant adolescent, j’avais trouvé ça assez vulgaire et caricatural, je me cherchais et je découvrais à peine mon orientation sexuelle. J’avais également regardé le film “Madame Doubtfire” ou encore aperçu le personnage de “Madame Gertrude” dans l’émission “Bon Week-end”. Ce sont les premiers souvenirs qui me viennent quand je pense simplement à un homme qui s’habille en femme.”
Comment a débuté ton parcours dans le drag ?
“Je n’étais absolument pas prédestiné à devenir une drag queen. Lorsque j’ai emménagé à Bruxelles à l’âge de 21 ans pour mon master en gestion de l’environnement, j’ai trouvé un job étudiant en tant que barman dans le célèbre bar “Chez Maman”, lieu incontournable de la culture drag belge. À l’époque, on n’utilisait pas le terme drag queen mais plutôt celui de “travelotte”, c’était une manière de se réapproprier l’insulte, le mot drag queen originaire des USA n’est arrivé que récemment. Lors d’une soirée durant laquelle les travelottes échangeaient leurs rôles avec les serveurs, Mademoiselle Boop m’a maquillée et je me suis essayé à l’art, néanmoins j’ai détesté, je n’aimais pas mon maquillage et je n’étais pas très à l’aise car je voyais beaucoup trop Gautier, mon identité masculine. Par après, j’ai découvert l’émission américaine Ru Paul Drag Race et j’ai compris que ce que je voyais dans ce bar n’était qu’une partie infime du spectre de l’art drag. J’adore le théâtre et jouer la comédie me manquait, alors l’année suivante, j’ai participé une nouvelle fois à cette soirée, je me suis moi-même maquillée et depuis, je n’ai jamais arrêté.”
Qui est Edna ?
“Au départ, mon nom de scène vient d’Edna Krapabelle, un personnage des Simpsons car j’adorais sa personnalité sarcastique, déprimée et très drôle à la fois. Mais, il est également issu du terme “Electronic DNA” (ADN éléctronique) car je voulais à mes débuts expérimenter le cosplay, ce que je n’ai finalement jamais réalisé. Edna est un personnage alternatif, un rôle que j’ai construit au fil des années. Elle n’est pas Gauthier mais est plutôt une projection extravagante et exubérante de lui. J’adore le second degré, l’humour et la comédie, j’essaie pour l’instant de travailler un aspect plus dramatique et triste de mon art pour développer mes compétences en interprétation et proposer une autre palette d’émotions.”
Peux-tu décrire ton style de drag ?
“Je pratique le drag depuis plus de dix ans donc mon esthétique a beaucoup évolué. Avant, j’étais très sexy, mais désormais je n’ai plus vingt ans, je préfère arborer un style plus classe et glamour. Mon drag en général est élégant et bourgeois. En ce moment, je suis très inspirée par les films et séries de space opera tels que “Dune” ou encore “Star Wars”, j’ai d’ailleurs tenu à développer ces esthétiques dans certains looks que je portais dans Drag Race Belgique.”
Qui peut s’essayer au drag ?
“Le drag est un courant artistique et politique, c’est de l’art donc tout le monde peut le faire ! Il regroupe des dizaines d’aspects différents allant de la comédie, au mannequinat et même au chant. On interprète et on s’approprie le genre à sa manière, c’est un jeu auquel n’importe qui peut avoir accès et je l’encourage. Au départ, le drag était une expression artistique des milieux LBTQIA+ rejetés et discriminés. Si une personne hétérosexuelle souhaite s’essayer au drag, certains parleront d’appropriation culturelle. Je peux le comprendre mais selon moi, tout le monde peut le faire à condition d’être au courant de l’histoire et de la signification de cet art.”
En pratiquant le drag, je perturbe les codes et me bats contre un monde cisgenre et hétéronormé. C’est un art très émancipateur car je participe à un univers où la question du genre est mise de côté. Quand je vois une drag queen, je ne vois pas un genre mais tout simplement un.e artiste.
Etais-tu un.e enfant heureux.se ? De quoi rêvais-tu ?
“Gautier était un enfant assez heureux, néanmoins, à l’adolescence, je n’étais pas la personne la plus joyeuse car je ne me sentais pas totalement accepté dans mon groupe, surtout quand j’ai découvert mon homosexualité vers mes 13 ans. Je pense que je l’aurais mieux vécu maintenant grâce à toutes les séries et émissions mettant enfin en lumière les personnes LGBTQIA+. J’aspirais au départ à devenir égyptologue, sociologue ou même anthropologue. J’adore la masturbation intellectuelle, j’aime me creuser la tête sur les questions sociales, étudier les normes et les codes propres à chaque société.”
Tu étais la première à arriver dans l’atelier de l’émission, comment t’es-tu sentie ?
“C’était terriblement stressant ! Lorsque je fais mon entrée, on m’entend bafouiller légèrement. J’étais tellement impressionnée par les lumières et les caméras, c’était fou. En attendant que les queens arrivent une par une, j’ai pris un malin plaisir à être spectatrice, les juger et dire ce que tout le monde pense tout bas derrière sa télévision (avec amour, toujours).”
Je me rappelle avoir été émue de réaliser que le petit Gautier (de 23 ans) qui regardait Drag race à la télé est maintenant dans l’émission et c’est lui qui inspire une nouvelle génération désormais.
Comment t’es-tu organisée pour les looks de Drag Race ?
“Dans la vie, on doit jouer de notre capital. Il en existe trois types selon moi : le capital économique, donc les moyens financiers, le capital culturel, qui représente toutes les références et la culture qu’on a développées tout au long de notre vie et le capital social, c’est-à-dire les contacts. Certaines queens n’avait aucun moyen financier mais elles ont joué de leur capital culturel et social pour parvenir à présenter de sublimes tenues dans l’émission, d’autres ont confectionné elles-mêmes leurs vêtements. Personnellement, j’avais la chance d’avoir acquis au cours de mon existence un capital économique et culturel, néanmoins, je n’avais pas beaucoup de relations. J’ai alors contacté des étudiants de La Cambre, des artistes et je me suis débrouillée comme je pouvais car les tenues, les perruques, le maquillage, les chaussures et même les photographes représentent un énorme budget. Participer à Drag Race est unique dans une vie, j’espère être satisfaite dans l’avenir de mon investissement.”
As-tu reçu des manifestations de haine suite à ta participation à l’émission ?
“Non, je n’ai reçu aucun message méchant directement. Au contraire, on m’a envoyé énormément d’amour et particulièrement lors de mon élimination. Sur les réseaux sociaux de Drag Race Belgique, j’ai vu des commentaires haineux mais ça ne m’atteint pas.”
Comment as-tu vécu ton élimination ?
“Je l’ai assez mal vécu mon départ, j’avais l’impression que mon travail et ma personne n’avaient pas réellement de valeur. J’ai énormément performé par la suite. Chaque week-end, Edna faisait le show dans tous les événements possibles, je me suis épuisée car je voulais prouver au public et surtout à moi-même que j’avais du talent. Je respecte la décision du jury mais je ne l’ai pas totalement comprise. Mes looks, ce jour-là, étaient travaillés et malgré quelques défauts, je pense qu’ils étaient à la hauteur tout de même. Je craignais énormément la diffusion de l’épisode, je ne voulais pas me sentir honteuse, finalement, ça s’est plutôt bien passé et la vague d’amour que j’ai reçu m’a beaucoup soulagée.”
Tu es la « mother » d’Athéna, peux-tu expliquer ce que cela représente ?
“Le concept de mother est assez américain, je ne suis pas réellement sa maman. On a un lien particulier, donc on aime dire que je suis sa mother mais je ne l’ai pas chaperonnée non plus. Je pense que c’est Mademoiselle Boop et moi qui lui avons donné l’envie de faire du drag car elle venait souvent au cabaret « Chez Maman ». La première fois qu’elle a testé le drag, c’est moi qui l’ai maquillée, elle rayonnait et j’ai senti que c’était fait pour elle. Son patronyme “Sorgelikis” vient d’ailleurs de mon propre nom de scène “Sorgelsen” car elle se revendique de ma dynastie. On est plusieurs à lui avoir appris les rudiments du métier, on est une communauté qui s’entraide et on se tire vers le haut. Avant, Athena était inspirée par moi, aujourd’hui, c’est plutôt elle qui m’inspire.”
Peux-tu expliquer ce que sont les ateliers “Unique en son Genre” ?
“C’est une initiative reprise maintenant par la Maison Arc-en-Ciel de Liège qui consiste à conter des livres aux enfants. Les conteur.euse.s peuvent être des drag queens, des drag kings…L’idée est de sortir les personnages du monde de la nuit et des cabarets pour initier des rencontres avec les enfants tout en les sensibilisant aux thèmatiques sociétales telles que le genre, le drag, la grossophobie, l’écologie… À travers ses lectures, on tente d’amener une autre normalité, un garçon qui veut s’habiller en princesse pour le carnaval ou deux princesses qui s’aiment, c’est possible ! C’est un projet fantastique et cela se passe toujours bien avec les petit.e.s. Ils intègrent très vite ce qu’on tente de transmettre et j’ai l’impression à mon échelle de contribuer à un monde meilleur.”
As-tu déjà subi des agressions en raison de ton orientation sexuelle et ton art ?
“En rue, on m’a déjà insulté.e de pédé. Il y a peu également, je me suis rendue à une lecture pour enfants à la demande du “C’est Central” dans une bibliotèque à La Louvière et un groupe de manifestants s’y est opposé. Une dizaine de personnes ont tenté d’intimider les parents qui déposaient leur enfant, ils distribuaient des tracts sur lesquels étaient écrits des propos blessants et haineux envers la communauté LGBTQIA+. J’ai essayé de discuter avec eux car ils ne me font absolument pas peur. Je voulais dialoguer en les invitant à une lecture pour qu’ils observent de leurs propres yeux les valeurs que je tente d’inculquer aux plus petit.e.s. Ils ont toutes et tous refusé de venir et ont préféré insister sur leur fascicule de désinformation homophobe. J’ai par la suite porté plainte pour homophobie et intimidation. On a de plus en plus de demande pour le projet “Unique en son Genre”, mais, parallèlement à cause de cette visibilité, beaucoup plus de détracteurs.”
Tu es au coeur d’un processus d’adoption, comment ça se passe pour le moment ?
“J’ai commencé avec mon compagnon un parcours d’adoption il y a maintenant plus de trois ans, ça se passe bien mais ce n’est pas un projet pressant. Je veux construire une famille mais surtout prendre le temps pour que cela se passe de la meilleure des manières. On va bientôt envoyer notre dossier à la Colombie pour pouvoir adopter notre enfant là-bas. Quand je serais papa, ma vie sera chamboulée et j’aurais sans doute moins de temps à consacrer à ma vie professionnelle que ce soit pour le drag ou pour mon emploi de fonctionnaire. J’ai hâte, ça va être un vrai bouleversement !”
Que peut-on te souhaiter pour la suite ?
“J’aimerais beaucoup faire de la télé comme chroniqueuse ou avoir ma propre émission télé ou radio. J’aime plaisanter (et embêter surtout) la production de Drag race Belgique en leur demandant de devenir la présentatrice de la saison 2. Sinon, vous pouvez me souhaiter beaucoup de succès avec le nouveau podcast “Amour Drag et Courrier” en préparation avec la RTBF.”
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