AFFAIRE PPDA : Hélène Devynck témoigne ““Quand c’est un homme de pouvoir, célèbre, votre consentement est présumé””
Hélène Devynck accuse le présentateur Patrick Poivre d’Arvor de l’avoir violée en 1993, alors qu’elle était journaliste pour TF1. Elle fait partie des dizaines de femmes qui ont porté plainte contre PPDA pour des faits d’agressions sexuelles et de viols. Afin de redonner à chacune une identité et un récit qui lui est propre, Hélène Devynck a écrit un livre baptisé « Impunité ». Nous l’avons rencontré pour discuter de cet ouvrage fort et du courage qu’il faut pour sortir du silence.
Patrick Poivre d’Arvor, présentateur star de TF1 vient d’être mis en examen pour viol par « personne abusant de l’autorité que lui confère sa fonction » suite à la plainte de Florence Porcel qui l’accuse de l’avoir violé en 2009 et également placé sous le statut de “témoin assisté” pour d’autres faits datant de 2004 comme l’ont annoncé ses avocats dans un communiqué le 19 décembre dernier.
Mais cette affaire remonte à plusieurs années déjà. En effet, le cas PPDA voit le jour en 2021 lorsque Florence Porcel, autrice et vulgarisatrice scientifique porte plainte contre le présentateur vedette de TF1, Patrick Poivre d’Arvor. Elle l’accuse de l’avoir violée en 2004 et de lui avoir imposé une fellation cinq ans plus tard. Elle est la première femme à porter plainte contre lui et l’ancien présentateur nie les faits. Il qualifie les accusations d’ « absurdes et mensongères » et apparaît quelques semaines plus tard sur le plateau de l’émission « Quotidien » afin d’affirmer son innocence.
Il déclare : « De ma vie, jamais je n’ai consenti, je n’ai accepté une relation qui ne serait pas consentie, une relation qui serait forcée, que ce soit sentimentale ou sexuelle. Jamais de ma vie. » Il ajoute regretter que « ce comportement où il y avait parfois des petits bisous dans le cou, des petits compliments, du charme ou de la séduction » ne soit « plus accepté par les jeunes générations ».
Aujourd’hui, elle sont une quarantaine de femmes à accuser cet homme adulé par le public français pendant vingt ans d’antenne, d’harcèlement, d’agressions sexuelles et de viols. Hélène Devynck est l’une d’entre elles et quand on lui demande ce qui l’a poussé à parler, elle évoque tout de suite Florence Porcel et cette apparition médiatique de PPDA : « Je n’aurais peut-être jamais parlé si Florence Porcel n’avait pas porté plainte et si derrière cette plainte, il n’y avait pas eu dans les médias français, un boulevard pour la défense et les arguments de Patrick Poivre d’Arvor, qui est venu notamment dans l’émission « Quotidien » comme un enfant de cœur, on lui aurait donné le bon Dieu sans confession. Il était totalement innocent et cette femme qui l’accusait de viol était forcément folle, érotomane et menteuse, et il ne s’était rien passé entre eux…
Moi je savais ce qui m’était arrivé avec cet homme, j’avais travaillé avec lui, je le connaissais et je ne pouvais pas laisser passer sa version de l’histoire, donc j’ai parlé.
Hélène Devynck, journaliste pour le groupe TF1 pendant plus de vingt ans, ayant participé à la création de la chaîne LCI, décide donc de se rendre au commissariat afin de porter plainte contre PPDA, qu’elle accuse de l’avoir violée en 1993, lors d’un dîner à son domicile. « Le major de police m’a dit exactement « vos témoignages sont des preuves », c’est pour ça que je suis venue parler, c’est-à-dire que comme on est très nombreuses, tous nos témoignages sont des preuves vivantes. On ne peut pas avoir toutes inventé la même chose, les mêmes mots, les mêmes gestes, il faudrait vraiment pour croire qu’on ment toutes, croire au surnaturel. On ne peut pas imaginer que des dizaines de femmes qui ne se connaissent pas racontent la même histoire. Dans ce sens-là, ces premiers mots ont été hyper importants. »
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Après son dépôt de plainte, Hélène Devynck témoigne avec ses propres mots dans la presse. Elle découvre alors l’importance de se réapproprier son histoire, ce qui la poussera à écrire « Impunité », un ouvrage sorti en septembre dernier dans lequel elle ne revient pas seulement sur son histoire, mais sur l’histoire de chacune des femmes ayant témoigné dans cette affaire.
C’est fondamental, on est tous tissés du récit de nous-mêmes et quand on est victime de violences sexuelles, on est aussi privé·e de son récit donc finalement l’écrire moi-même c’était me réapproprier mon histoire.
“En faisant ce livre, je voulais redonner à chacune des femmes dont je parle, leur histoire. Ce sont les 20 premières qui ont parlé, il y en a eu beaucoup derrière. C’était aussi leur redonner une fierté parce que dans ce domaine, on se dit toujours qu’on y est pour quelque chose, que peut-être on l’a cherché, qu’on ne s’est pas assez défendu, etc… Donc remettre la responsabilité sur celui qui attaque et pas sur nous, c’était quelque chose de fondamental, mais qui est au-delà de cette affaire.”
Dans toutes les affaires de violences sexuelles pouvoir raconter et pouvoir raconter en étant prise au sérieux et entendue ça reconstruit, un peu.
Hélène Devynck explique recevoir de nombreux témoignages depuis la sortie de son livre, de femmes ayant vécu des faits relevant du même mode opératoire : « Encore aujourd’hui, il y a des femmes qui m’appellent régulièrement et à chaque fois je suis sidérée par la similitude des récits, c’est-à-dire que j’ai l’impression qu’on est toutes des numéros. Et ce livre, c’était justement contre cette idée-là, c’était pour tourner la caméra vers nous et redonner une histoire qui ne soit pas juste réduite à l’agression parce qu’on est singulières, différentes, il fallait redonner à chacune son identité. » On y lit les récits bouleversants de Cécile, Stéphanie, Florence, Emmanuelle, Nora, Clémence et bien d’autres, dont Lisa et Béatrice qui se sont suicidées. Hélène Devynck tenait à leur donner à elles aussi, une place dans le livre, où elle écrit « on se tait et parfois, on se tue ». « Lisa, c’est un de ses amis qui est venu parler aux enquêteurs, je ne le connais pas donc je reprends ce qu’il y a dans le dossier et Béatrice, c’est une amie à elle, Lola, qui est venue me voir et m’a raconté cette histoire. Elle m’a demandé qu’elle soit là, c’est pour ça qu’elle est là dans ces pages », raconte Hélène Devynck.
La difficulté de parler
Si le silence peut parfois détruire de l’intérieur, parler est également très dur puisque l’on se heurte bien souvent à des accusations et des remarques qui comme le dit Hélène Devynck « peuvent venir du cercle proche et font mal ». Elle explique : « Inconsciemment, on sait que l’on va devoir faire face à ce genre de phrases, c’est pour ça qu’on ne veut pas parler au début d’ailleurs, c’est ce qui intimide le plus. Je pense que la société patriarcale est contre le viol.
Tout le monde est contre le viol, mais on est aussi contre celles qui rendent le viol apparent. On ne voudrait pas que le viol existe dans nos environnements, dans nos mondes. On ne voudrait surtout pas qu’ils soient aussi près de nous, que ce soit aussi énorme et donc ça marche avec la stigmatisation des femmes qui parlent.
«Ce sont toujours les mêmes arguments : c’est “elles mentent parce qu’elles ont un intérêt derrière”, et puis la version un tout petit peu plus sophistiquée qui est peut-être la version majoritaire, c’est “elles étaient d’accord et puis après elles ont compris qu’elles n’étaient plus d’accord, alors elles se plaignent”.» Un argument qui est évoqué dans le livre lorsque Hélène Devynck aborde ces fameux rendez-vous que les plaignantes affirment que PPDA donnait aux femmes, au sein de TF1, dans son bureau après le 20 h. Elle écrit : « Si vous avez votre nom sur la liste des personnes qui ont eu un rendez-vous dans ce bureau, votre avancement professionnel sera toujours questionné. » Lorsqu’on lui demande si par contre son consentement, lui, ne sera pas questionné, elle répond : « C’est pire que ça, le consentement est présumé, c’est même dans la loi, c’est-à-dire qu’en France contrairement à la Belgique, c’est un viol quand il y a contrainte, menace, violence ou surprise. Cela veut dire que s’il n’y a pas contrainte, menace, violence ou surprise ou qu’on ne sait pas le montrer, si on ne peut pas le prouver suffisamment, alors on suppose que les deux personnes étaient d’accord. Et quand un homme est célèbre et connu et qu’il a du pouvoir,
On considère qu’il a tellement de pouvoir que forcément elles veulent toutes.
“Quand c’est un homme de pouvoir, très célèbre, votre consentement est présumé. On considère que forcément, vous vouliez le séduire. » Elle poursuit : « C’est la défense d’Emmanuelle Seigner sur son mari Polanski, elle dit “elles voulaient toutes coucher avec lui”, Hulot a fait pareil “je suis trop beau c’est elles qui voulaient”. Ils font tous ça.»
Quand un homme a du pouvoir, son pouvoir et sa sexualité deviennent la même chose et on considère que toutes les femmes sont consentantes et ça, ça s’appelle un permis de violer et c’est sans doute ça qui a aveuglé beaucoup de monde autour de lui.
Un entourage qui a fermé les yeux ou minimisé les actes de PPDA selon Hélène Devynck, qui décrit à travers le témoignage de Cécile dans son livre, des scènes de harcèlement où elle se retrouve seule face au groupe et de minimisation des actions du présentateur : « Cécile, elle raconte du harcèlement avec les deux phrases qu’il posait à toutes les femmes : Est-ce que vous êtes en couple ? Est-ce que vous êtes fidèle ? C’était devenu une blague à TF1. Moi quand je suis arrivée, on m’a dit tu vas voir il va te dire « est-ce que vous êtes en couple ? Est-ce que vous êtes fidèle ? ». Je suis rentrée dans son bureau et c’était ses premiers mots lorsque je l’ai rencontré. Mais on en riait, c’est-à-dire qu’il fallait pas non plus passer pour une petite nature et les supérieurs hiérarchiques, tout le monde en riait ou était totalement indifférent, ce qui permet au harcèlement de prospérer. Lui-même d’ailleurs dans l’enquête, il dit « oui je demandais ça aux femmes parce qu’avant d’entamer une relation avec quelqu’un, il faut s’assurer qu’elle est disponible sexuellement ».
Qu’un supérieur hiérarchique se sente autorisé à s’assurer si une jeune stagiaire ou journaliste qui vient d’arriver est disponible sexuellement me semble poser un énorme problème.
“C’est à l’environnement de réagir, c’est à l’environnement de protéger et de désigner ce qui ne va pas dans l’histoire, de désigner où est le bon comportement et le mauvais comportement. Dans le cas de Patrick Poivre d’Arvor, ça n’est pas arrivé, mais ça arrive dans plein de boîtes, ce n’est pas seulement celle-ci. » Hélène Devynck livre cet ouvrage au nom de toutes celles qui témoignent, des femmes qui étaient de parfaites inconnues et qui sont aujourd’hui un groupe soudé. Au sujet de leur première rencontre, la journaliste écrit dans “Impunité” :
On ne se connaissait pas mais tout de suite on a su qu’on était faites du même bois.
Une phrase forte qui illustre le sentiment unique ressenti à ce moment-là : « La première fois qu’on s’est vu ça a été un moment extraordinaire, c’est même dans le livre, c’est ce moment-là que je voulais faire ressentir. C’est un renversement de tout ce qu’on avait vécu jusque-là, chaque femme qui racontait son histoire renforçait la crédibilité des histoires des autres, alors que ça ne nous était jamais arrivé avant. Moi dès que quelqu’un mettait en doute mes propos, je rentrais dans ma coquille, je me renfermais alors que là, chaque récit rendait le sien plus crédible, plus légitime et puis on pouvait dire aussi le mal que ça nous avait fait, mais aussi rire de nos malheurs parce que c’est un environnement où il n’y a pas de doute, pas d’agression. On se soutient, on se porte mutuellement. »
« Jamais une alerte n’est suffisante »
Mais Hélène Devynck explique avoir également écrit ce livre pour toutes les autres femmes qui seraient dans la même situation que celle qu’elle a décrite au major, lors de son dépôt de plainte. « Cette histoire, je pense qu’elle va au-delà de l’affaire PPDA et en fait PPDA j’en parle très peu dans le livre, ce n’est pas mon sujet. Mon sujet c’est comment il a fait ça pendant des dizaines d’années, on est des dizaines à l’avoir raconté donc il n’y a plus de doutes sur le factuel, mais ce qui ne peut pas ne pas être un problème collectif, c’est qu’il a pu faire ça en toute impunité pendant des dizaines d’années. Il faut s’interroger. Dans le livre, j’essaie de comprendre tous les mécanismes qui font que jamais une alerte n’est suffisante et jamais il n’y a la moindre réprobation pour l’agresseur. » Des mécanismes et un mode opératoire similaires racontés par des dizaines de femmes, qui sont désormais au cœur d’une nouvelle enquête ouverte après plusieurs classements sans suite. En effet, actuellement deux enquêtes sont en cours l’une sur le témoignage de Florence Porcel qui s’est portée partie civile et l’autre sur « l’éventuel caractère sériel des faits rapportés qui permettrait de contourner la prescription », comme le rapporte TV5 Monde. Lorsque l’on demande à Hélène Devynck ce qu’elle attend aujourd’hui de la justice, elle déclare :
Moi je rêve d’un procès aux assises où on pourra entendre sa défense, décider si il y a des circonstances atténuantes, des circonstances aggravantes et où on pourra nous entendre aussi.
De son côté, Patrick Poivre d’Arvor a porté plainte contre seize des femmes ayant témoigné contre lui, pour dénonciation calomnieuse. Hélène Devynck en fait partie. Selon elle, cette plainte fait partie de ce qu’elle nomment « les procédures baillons ». Elle affirme : « Ce sont même des mesures de représailles contre les femmes qui parlent. Je ne pense pas qu’il espère que la justice va le suivre. Je pense qu’il fait ça pour faire peur aux femmes qui voudraient parler aujourd’hui et qui ne vont pas le faire parce qu’elles ont peur d’avoir des ennuis et d’être attaquées. »
En conclusion de notre échange, nous avons interrogé Hélène Devynck sur les premières lignes de son ouvrage où elle parle du sentiment de peur véritable, en racontant une anecdote de vacances, où elle saute d’une falaise. Nous lui avons donc demandé si aujourd’hui elle n’avait plus peur. Voici sa réponse : « J’ai sauté et le saut est définitif, je ne peux pas revenir en arrière. Ce qui compte quand on saute, ce n’est pas tellement la hauteur de la falaise, ça compte, mais c’est surtout la profondeur de l’eau pour amortir la chute. Et là, la profondeur de l’eau c’est l’écho social qu’ont nos témoignages, notre parole. J’ai parié qu’il y en aurait assez pour que tout ne se passe pas trop mal. »
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