En Afrique, c’est la révolution (culturelle) de l’homosexualité féminine
Malgré l’évolution des mentalités, aimer une personne du même sexe reste encore trop souvent un facteur discriminant. Voire même, dans certains pays d’Afrique, un risque d’être mis au ban de la société, ou pire, en prison. Pour briser les tabous, l’homosexualité féminine s’affiche et fait sa révolution culturelle.
Au Festival de Cannes, en mai dernier, un mot était sur toutes les lèvres: Rafiki. Pas le singe du Roi Lion, non, mais bien le film éponyme de Wanuri Kahiu, qui montre l’histoire d’amour interdite entre deux adolescentes kenyanes. Car au Kenya, il ne faut pas seulement craindre la désapprobation des parents et l’incompréhension de certains proches. L’amour homosexuel est jugé par la société, mais aussi par la loi, qui prévoit jusqu’à 14 ans de prison pour ceux qui s’adonnent à ces “relations charnelles contre nature”. Et l’ancien protectorat britannique est loin d’être le seul pays du continent africain à adopter des sanctions aussi drastiques.
Prison et peine de mort
L’Afrique de l’Ouest et de l’Est ont en effet l’honneur funeste d’être parmi les régions du monde où l’homosexualité est la plus sévèrement condamnée. En Somalie du Nord, en Mauritanie, au Soudan et au Nigeria, aimer une personne du même sexe est même passible de la peine de mort. Et si tous ne vont pas jusqu’à faire payer les homosexuels de leur vie, il n’empêche que les chiffres parlent d’eux-même: sur 54 pays d’Afrique, 38 pénalisent encore l’homosexualité. Et si certains tels que le Gabon, la Côté d’Ivoire, le Mali ou le Tchad l’ont dépénalisée, dans les faits, la répression est encore d’actualité dans ces pays.
Amour censuré
C’est d’ailleurs le propos de Rafiki, qui ne se contente pas de montrer une histoire complexe entre deux adolescentes qui découvrent l’amour et ses périls mais bien aussi le poids d’une société extrêmement conservatrice où faire le choix de vivre son homosexualité au grand jour équivaut au mieux à devenir une paria. D’ailleurs, la réalisatrice du film a fait l’objet de menaces dans son pays, où Rafiki a été très mal reçu et où Wanuri Kahiu qu’elle était passible d’une peine de prison pour avoir fait l’apologie de l’homosexualité. La commission kényane de la censure ne s’y était pas trompée, et avait interdit la diffusion du film au motif que “son thème homosexuel et de son but évident de promouvoir le lesbianisme au Kenya, ce qui est illégal et heurte la culture et les valeurs morales du peuple kényan”. Sauf que malgré le poids écrasant des traditions, le peuple kényan, la jeunesse principalement, vit bien dans son époque, et surfe autant sur les réseaux que ses homologues occidentaux. Et face à la pression populaire, Wanuri Kahiu a trouvé le courage de se saisir de la justice kényane pour obtenir une levée de la censure de Rafiki. Dont acte: la justice a ordonné ce vendredi à Nairobi la levée de la censure pour une durée de 7 jours. Aussi tôt dit, aussi tôt diffusé.
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C’est dans un centre commercial au sud-ouest de la ville que le film est passé à l’écran, devant 230 spectateurs serrés dans la salle pleine à craquer, et qui n’auraient raté l’occasion pour rien au monde. Une projection rythmée par les applaudissements exaltés d’une foule qui découvre le bonheur de se voir à l’écran. Venue voir le film avec son amie, Daisy, une Kényane de 24 ans, a confié à Jeune Afrique à quel point la projection et le film étaient importants pour elle.
C’est une véritable victoire. C’est le genre de film qui peut faire évoluer les mentalités, qui peut faire comprendre aux gens que nous avons des droits et que nous sommes des êtres humains
Et il n’y a pas qu’au cinéma que l’homosexualité féminine se raconte en Afrique.
Avant de vivre sur grand écran, Rafiki était d’abord un livre, écrit par l’Ougandaise Monica Arac Nyeko. Pour son premier roman, la Nigériane Chinelo Okparanta a elle aussi choisi de parler de l’amour au féminin, en Ouganda cette fois. “Sous les branches de l’udala” suit le destin d’Ijeoma, qui n’a que onze ans lorsque la guerre opposant le Nigéria au Biafra éclate. Veuve et incapable de prendre soin d’elle, la mère de la fillette l’envoie vivre temporairement au village voisin de Nweni. Hébergée par un professeur de grammaire et son épouse, Ijeoma rencontre Amina, une jeune orpheline. Et les fillettes tombent amoureuses. Tout simplement. Mais au Biafra, dans les années 1970, l’homosexualité est un crime.
Tourner la page
Avec pudeur et délicatesse, mais beaucoup de force aussi, Chinelo Okparanta tisse le portrait doux-amer d’une jeune femme qui découvre ses désirs et les dangers qu’ils comportent, et va d’abord prendre le chemin de la lutte interne et de la haine de soi avant d’atteindre l’acceptation et de tenter de vivre le plus librement possible ses sentiments. Et si ce combat personnel ne manquera pas de résonner auprès des lectrices qui ont dû aussi (faire) accepter leur homosexualité, il s’y ajoute une composante heureusement disparue depuis longtemps dans nos sociétés occidentales: la peur des représailles juridiques. L’amour qui unit Ijeoma à Amina est en effet une “abomination”, et Chinelo Okparanta contraste le poids des traditions avec une langue légère qui se lit d’une traite. C’est là la force de l’auteur: plutôt qu’un pamphlet ou un brûlot, elle dénonce en douceur, et le résultat est d’autant plus percutant que le médium choisi, le roman, permet à ceux et celles qui le lisent de s’identifier à des personnages aux destins bien différents des leurs. Et donc, potentiellement, de contribuer à changer les mentalités. C’est en tout cas l’espoir de Chinelo Okparanta.
En écrivant cette histoire, je voulais protéger mes personnages de la mentalité de jugement qui est prévalente au Nigéria. C’était important pour moi de ne surtout pas renforcer les stéréotypes de rejet et de haine (...) J’espère que le Nigéria va enfin suivre l’exemple d’autre pays et accepter que l’homosexualité est une partie naturelle de la société.
Nul doute que la révolution culturelle mise en place ces dernières années et intensifiée récemment contribuera à ce changement. Et au sein de la jeunesse africaine, le renouveau des mentalités est déjà bien ancré. Venue voir Rafiki à Nairobi, Emily, 19 ans, résume la situation à la perfection: “Je ne comprends pas tout le foin que l’on fait autour de ce film. Est-ce qu’il n’existe pas des problèmes plus importants qu’un film ou que la sexualité des autres?”.
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