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ENQUÊTE FÉMINICIDES: d’où vient cette violence ?

Julie Braun
Julie Braun Journaliste

Les hommes sont responsables d’une immense majorité des comportements violents. Mais pourquoi cette violence ? D’où vient-elle ? Et si la solution était «  juste » une éducation moins virile? Pour un mieux-être de tou·te·s, hommes inclus.

Bien sûr, il y a des hommes pacifiques et des femmes violentes. Mais statistiquement, les hommes sont immensément plus violents. Ils sont responsables (chiffres français) de 99 % des viols, de 97 % des agressions sexuelles, de 88 % des meurtres, rapporte l’historienne Lucile Peytavin dans son livre Le coût de la virilité.

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Coûteux pour la société

La chercheuse a chiffré le coût de la violence masculine en tenant compte de ce que la société investit dans les coûts de justice, de police, de santé, mais aussi de ce que la société supporte par la souffrance des victimes (soins de santé, perte de productivité…) et de la destruction de biens. Cela représente près de 100 milliards d’euros. Si les hommes se comportaient comme des femmes, commettaient aussi peu de délits et de crimes qu’elles, la France économiserait environ un quart de son budget!

Les hommes sont responsables de 97 % des agressions sexuelles et de 88 % des meurtres, mais la majorité des victimes de violence sont des femmes.

Pas dû à la testostérone

Lucile Peytavin précise que la violence masculine n’est pas liée à la biologie. On a longtemps cru que la testostérone, plus présente chez le garçon, était en cause, car celle-ci induit un retard de maturation cérébrale (et donc de moins bonnes: capacités d’inhibition du comportement et compréhension de ses émotions). Mais elle rapporte que de nombreuses études montrent que dans l’enfance, les garçons se montrent plus émotifs que les filles: ils pleurent plus et réagissent plus mal en cas de frustration. Mais leur émotionnalité est réprimée. De plus, de hauts niveaux de testostérone peuvent être liés tant à des comportements agressifs qu’à des comportements altruistes. La testostérone n’est donc pas source de violence!

Éducation virile

La coupable serait l’éducation des garçons. On leur apprend très tôt qu’ils doivent faire preuve de virilité pour être « de vrais hommes »… C’est-à-dire pas des femmes! Traditionnellement, alors qu’on pousse les filles à être sages, on accepte qu’un garçon soit plus turbulent. Si une fille est confrontée à un problème, on lui conseille d’en parler à sa maîtresse, alors qu’on dit au garçon de ne pas se laisser faire. Les garçons sont encouragés à jouer avec des épées et des fusils, des ballons (en prenant toute la place dans les cours de récréation). On les pousse à ne pas pleurer, à ne pas avoir peur… À taire leurs émotions.À force, cette virilité se traduit par des comportements dominants, du rejet, de la violence et parfois un non-respect des règles de la société. Ce qui pénalise la société, les femmes… et les hommes.

Éduquer les garçons comme les filles n’a pas moins de valeur, au contraire, c’est une éducation humaniste.

Pour Lucile Peytavin, la solution à la violence virile est d’éduquer les garçons comme les filles. Il faut leur permettre de jouer avec des poupées, pour apprendre à prendre soin des autres; les pousser à respecter les règles; les encourager à écouter et exprimer leurs sentiments. Une éducation qui n’a pas moins de valeur que l’éducation viriliste, au contraire: elle est plus humaniste. Un premier pas possible, en attendant l’évolution des mentalités, serait d’instaurer dans les écoles des cours d’empathie, pour reconnaître et verbaliser ses émotions, pour apprendre à parler plutôt qu’à frapper.

Difficile pour les hommes….

L’ode de la virilité cause énormément de mal aux hommes également. D’après l’historienne, à 14 ans, les garçons ont déjà 70 % de risques de plus que les filles de mourir dans un accident. 78 % des morts sur la route sont des hommes. Et les hommes ont 2 à 3 fois plus de risques de mourir avant 65 ans, d’une mort liée à un comportement à risque.L’Association américaine de psychologie estime, elle, que se conformer à certains aspects de la masculinité traditionnelle peut détériorer la santé mentale des hommes. Et comme ils sont moins autorisés à exprimer leurs faiblesses et à appeler à l’aide, ils tairaient leur mal-être et se réfugieraient plus facilement dans l’alcool ou la drogue, ou afficheraient des problèmes de comportement.

.... Et pour les femmes

Mais la majorité des victimes de violence sont des femmes. Un problème qui a longtemps été ­invisibilisé parce que les plaintes ­policières ne sont pas genrées. Cela devrait bientôt changer. En octobre 2022, le gouvernement fédéral a adopté un projet de loi pour doter la Belgique d’outils permettant de collecter des données statistiques sur ses crimes, mais aussi d’améliorer les droits et la protection des victimes, et de former la police et les magistrats à cette thématique. Ce projet de loi défini 3 formes de violence qui peuvent précéder un féminicide (le meurtre d’une femme parce qu’elle est une femme): la violence sexuelle, la violence psychologique et le contrôle coercitif. Comme il n’y a pas encore de décompte officiel des féminicides, le blog Stop Féminicide s’en charge, sur base d’articles parus dans la presse. En Belgique, début mai 2023, il en recensait 11.

Un premier pas possible, en attendant l’évolution des mentalités, serait d’instaurer dans les écoles des cours d’empathie, pour reconnaître et verbaliser ses émotions.

L’exemple de la violence dans le couple

En Belgique, on estime qu’une femme meurt tous les 7 à 10 jours sous les coups de son (ex)-compagnon, toutes catégories socio-professionnelles confondues. Et une femme sur 4 est victime de violence physique et/ou sexuelle au sein du couple, d’après l’enquête de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union Européenne (2014). Comment en vient-on à vouloir détruire la personne qu’on a choisie pour partager sa vie?

Déni et fausses excuses

Le journaliste français Mathieu ­Palain s’est intéressé durant plusieurs années à la violence conjugale. Dans son essai Nos pères, nos frères, nos amis – dans la tête des hommes violents, il raconte son enquête. Au début, quand il se rend dans des groupes de paroles pour hommes violents (dont la participation est dans la plupart des cas imposée par un juge suite à une condamnation), il pense naïvement entendre « Je frappe ma femme », comme on entend « Je suis alcoolique » en début de réunion des Alcooliques anonymes. Mais ce n’est pas le cas. La plupart des hommes sont dans le déni. Ils minimisent leurs coups et leur responsabilité. « C’était juste deux gifles », « Elle m’a poussé à bout. » Certains se victimisent même, affirment que leurs ex se liguent contre eux, que leur compagne les provoque pour être frappée et pouvoir les envoyer en justice. Le journaliste pense aussi trouver les causes de cette violence, mais ce qu’il entend ne tient pas debout: « parce qu’elle ne m’a pas fait à manger », « parce qu’elle refusait de coucher avec moi », « parce qu’on avait des problèmes d’argent »… Il réalise alors que la raison réelle de leur passage à l’acte est déconnectée de la situation. Ce qui est insupportable pour ces hommes, c’est juste que leur femme leur résiste.

Dominer l’autre

L’homme violent exerce sur sa femme une emprise, une domination. Toutes les classes sociales partagent la même violence. Elle peut être physique (coups de poings, coups de couteau, brûlures de cigarettes, etc.), psychologique, verbale, sexuelle, économique… Et s’accompagner de menaces de mort ou de suicide, parfois avec passage à l’acte.Il y a une différence entre une dispute (par exemple, pour savoir qui fera la vaisselle) et de la violence. Le problème n’est plus la vaisselle, dans le deuxième cas, mais le soi. On veut juste avoir raison, que l’autre abdique. Et tant pis si l’autre est effrayé, brisé, soumis. Le respect de l’autre et l’égalité disparaissent.

Mathieu Palain en vient lui aussi à réaliser que l’éducation viriliste est coupable. De nombreux condamnés sont dans la nostalgie du couple de leur parent, quand l’homme était le chef de famille, que la femme servait en silence. Ainsi, il rapporte les propos de Morcine, un homme violent qu‘il a rencontré dans un groupe de parole:

« Depuis qu’elles ont le droit de vote, le droit de porter des minijupes, on n’a plus aucun droit nous les hommes. ‘Non, je ne couche pas ce soir.’ Ah, c’est toi qui choisis quand tu veux? (…) Toute la journée, je bosse (…) et je rentre le soir, y a rien de prêt? Ou c’est à la dernière minute, on me prépare une omelette? Je me suis marié pour qu’on me fasse des omelettes? »

Un autre point commun fréquent aux coupables de violence conjugale est la jalousie, qui est valorisée dans notre société, surtout pour les hommes. Elle est considérée à tort comme une preuve d’amour. Le scénario de la femme qui quitte son compagnon et se fait tuer par celui-ci (parfois plusieurs mois après son départ) est d’ailleurs fréquent dans les cas de meurtres par un (ex)-compagnon. Le conjoint violent vit son départ comme une perte d’emprise, une dépossession. Bien qu’il formule souvent « Je ne peux pas vivre sans elle », il serait plus juste de dire: « Je ne veux pas qu’elle vive sans moi. »

Écoute violences conjugales: “Il n’est pas question d’opposer hommes et femmes, mais de leur apprendre à fonctionner ensemble sur un autre mode que celui de la domination/soumission.”

Des blessures derrière la violence

Au fil de son enquête, Mathieu Palain remarque que la plupart du temps, les hommes violents ont eux-mêmes grandi dans un climat violent, dont ils ont gardé d’importantes blessures psychologiques. Ainsi, Franck lui a confié:

Je croyais qu’une femme, ça se tapait tout le temps. J’étais habitué. Parce que mon père, il tapait ma mère tous les matins, tous les midis, tous les soirs. (…) Et il frappait les gosses aussi. Et il frappait bien. 

On ressent chez de nombreux hommes violents une grande souffrance. Ils aimeraient être aimés et ne pas se considérer comme un monstre. Car les hommes violents ne sont pas des monstres, mais des hommes comme tout le monde. D’ailleurs, pour Mathieu Palain, la France compte environ un million d’hommes qui frappent leur compagne (en partant des 200.000 plaintes pour violence, et sachant qu’on estime que 80 % des femmes victimes ne portent pas plainte). Un million! Ce ne sont donc pas de rares monstres, mais des hommes comme les autres. Des hommes qu’il faut accompagner, soigner, pour qu’ils ne récidivent pas. Liliane Daligand, Docteure en Médecine et Docteure en Droit, Psychiatre, est l’auteure du Que Sais-je? sur la violence conjugale. Elle a suivi plus de 700 hommes violents et confirmé à Mathieu Palain qu’elle croit les hommes violents capables de changer.

Soigner les coupables

En Belgique, l’asbl Praxis (à Liège, Bruxelles et La Louvière) accompagne les personnes violentes. On peut lire sur son site internet: « Les ruptures brutales avec l’environnement familial, le sentiment d’abandon, les placements précoces en institutions, le sentiment de dévalorisation, l’absence de reconnaissance etc. sont des vécus fréquemment entendus.

La plupart du temps, les hommes violents ont eux-mêmes grandi dans un climat violent, dont ils ont gardé d’importantes blessures psychologiques.

C’est comme si cette expérience de vie créait chez la personne une impossibilité de faire confiance, de donner, de se lier. En même temps cette expérience de vie crée un énorme besoin de reconnaissance, d’amour. La peur de l’abandon et le besoin de contrôler (l’autre, l’environnement) sont les failles où s’installe la violence. » L’asbl précise toutefois que si ces facteurs peuvent expliquer la violence conjugale, ils ne la justifient pas.

Elle invite les responsables de violence à entamer un travail de responsabilisation, en groupe (un cycle complet compte 42 heures). Les personnes peuvent y participer volontairement et la Justice peut aussi l’imposer dans le cadre d’une médiation pénale ou d’une probation. Pour l’asbl, la présence de personnes qui ont en commun la violence conjugale facilite les échanges à propos de celle-ci, permettant de prendre du recul par rapport aux croyances, aux idées qui justifient le recours à la violence.Les groupes de paroles ne font pas toujours des miracles, mais ils permettent à certains hommes d’ouvrir les yeux sur leurs croyances et leur responsabilité. Ainsi, l’un des participants à un groupe de paroles, Kader, confie à Mathieu Palain à propos de celui-ci: « Ça devrait être imposé. Pour les gens comme nous, qui ont la violence. L’autre te livre ses idées, tu réfléchis, et ton cerveau il s’ouvre, tu vois? » Avant, il estimait que la femme était inférieure. « Donc j’imposais, j’obligeais, mais on ne se marie pas, on ne se met pas en couple pour imposer à l’autre sa vision des choses. Si j’avais accepté ça plus tôt, j’aurais évité la prison, les groupes de parole, etc., j’aurais été quelqu’un d’ouvert. »

Écoute violences conjugales: 0800 30 0 30

Le numéro d’Écoute Violences Conjugales, gratuit, anonyme, et toujours accessible. Ce numéro n’est pas un numéro d’urgence, mais un numéro d’écoute et de conseils que vous pouvez appeler si vous êtes confronté·e à la violence conjugale, si vous en êtes témoin, mais aussi si vous en êtes auteur.rice ou craignez de l’être.

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