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Gisèle Pélicot
© CHRISTOPHE SIMON/AFP via Getty Images

FAUT QU’ON PARLE: du courage de Gisèle Pélicot qui veut que le monde assiste au procès de ses agresseurs

Ana Michelot
Ana Michelot Journaliste

Le 2 septembre s’est ouvert l’un des procès les plus marquants du 21e siècle, dans le Vaucluse, en France. Celui de « l’affaire Mazan », ou plutôt de Dominique Pélicot et de 50 autres hommes accusés d’avoir violé Gisèle Pélicot alors qu’elle était victime de soumission chimique. Un procès qui devait se dérouler à huis clos, mais que Gisèle Pélicot a voulu public, pour que la honte change de camp.

En 2020, Dominique Pélicot, âgé de 67 ans à l’époque, est arrêté dans un supermarché de Carpentras après avoir filmé sous la jupe de plusieurs clientes du magasin. Durant l’enquête préliminaire pour « captation d’image impudique », la police saisit son matériel informatique et découvre l’invraisemblable. Dominique Pélicot a créé un salon de discussion sur le site, désormais fermé, Coco.gg. Ce dernier est intitulé « À son insu », et il y propose à des inconnus de violer sa femme, Gisèle Pélicot, pendant que celle-ci est inconsciente, car droguée par son mari avec de fortes doses de médicaments. Des viols qui se sont déroulés de 2011 à 2020 et qui ont été filmés par Dominique Pélicot. Au total, 3.800 photos et vidéos d’abus ont été retrouvées par les enquêteurs. 

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« Les policiers m’ont sauvé la vie en investiguant l’ordinateur de Dominique Pélicot »

A déclaré, ce jeudi, Gisèle Pélicot, lors du procès. Après des années d’errance médicale pour essayer de comprendre pourquoi elle souffrait de trous de mémoire, de fatigue extrême et d’amnésie au quotidien, Gisèle Pélicot comprend désormais qu’elle a été victime de soumission chimique. L’homme avec qui elle est mariée depuis 1973 lui a administré du Temesta au quotidien sans qu’elle le sache. Des doses d’anxiolytique qui ont provoqué des symptômes tels que Gisèle Pélicot n’osait plus conduire ou voyager. Sur les échanges retrouvés en ligne, Dominique Pélicot affirme administrer jusqu’à dix comprimés en une seule fois à son épouse. Selon un expert en toxicologie interrogé par les enquêteurs, une telle dose peut entraîner un sommeil profond, mais peut aussi tuer la personne qui l’ingère.

92 viols pendant dix ans

Cet état léthargique profond permettait à Dominique Pélicot de faire venir des hommes chez eux, afin que ces derniers puissent violer son épouse pendant qu’il filmait les abus. Au total, durant dix ans, Gisèle Pélicot a subi 92 viols, selon l’enquête de la police. Certains hommes se sont rendus à plusieurs reprises au domicile du couple. Ces derniers seront jugés pour « viols aggravés ». Mais une part d’ombre subsiste dans ce procès. Parmi les 72 hommes recensés par les enquêteurs, seuls 51 ont été identifiés et seront jugés au procès. Les autres sont libres. 

Des hommes insérés dans la société loin de l’image du monstre psychopathe

Parmi les accusés du procès, on retrouve des hommes âgés de 26 à 74 ans qui ont, pour la majeure partie, un casier judiciaire vierge et sont totalement intégrés dans la société. L’un est ouvrier, l’autre pompier, tandis que d’autres sont militaire, journaliste ou entrepreneur. Beaucoup affirment, par le biais de leur avocat, ne pas avoir su que Gisèle Pélicot était inconsciente, et ce, malgré l’état de la femme, et malgré le fait que le salon de discussion s’appelait « À son insu », mais aussi que Dominique Pélicot affichait clairement ses pratiques lors des échanges.

Les enquêteurs ont aussi relevé de nombreuses règles imposées par ce dernier aux hommes qui se rendaient chez lui. Des règles à suivre pour ne pas réveiller Gisèle Pélicot, comme le fait de ne pas porter de parfum ou de ne pas avoir d’odeur de tabac sur soi, ou encore de tout arrêter si celle-ci venait à bouger. Selon la police, après les explications de Dominique Pélicot en amont sur le site Coco, sept hommes sur dix acceptaient de se rendre à son domicile pour violer son épouse, tandis que trois sur dix refusaient. Parmi ceux qui ont refusé, aucun n’a jamais contacté les services de police. Autant de paramètres qui poussent à croire que ce procès n’est pas celui de l’affaire Mazan, mais de notre société, de l’humanité en général. 

« Gisèle Pélicot estime que ce n’est pas à elle d’avoir honte, qu’elle n’a pas de raison de se cacher »

Voilà les mots de l’avocat de Gisèle Pélicot, au sujet de la décision de sa cliente de rendre ce procès public. Adieu le huis clos, Gisèle Pélicot a décidé de montrer au monde l’horreur que lui ont fait subir ces hommes, de montrer le visage de ces messieurs-tout-le-monde qui sont en fait des violeurs. À 72 ans, cette femme, qui a vu cinquante ans de sa vie basculer, se reconstruit peu à peu et a tenu à ce que ce procès ne se tienne pas à huis clos pour que « la honte change de camp ». C’est à ces hommes de vouloir se cacher, pas à elle.

Ce courage, dont fait preuve Gisèle Pélicot, est sans faille. Devant les insinuations des avocats de la défense qui s’interrogent sur un potentiel libertinage du couple ou sur la crédibilité de la victime, qui ne s’est rendu compte de rien pendant tant d’années, elle reste debout. Même lorsque ses enfants indignés quittent la salle d’audience, Gisèle Pélicot reste seule, la tête haute devant ses agresseurs. Ce jeudi, elle a pu répondre à ces allégations à la barre de la cour criminelle. Elle réplique : « Je suis inerte, dans mon lit, et on est en train de me violer. Ce sont des scènes de barbarie. Qu’on ne me parle pas de scènes de sexe, ce sont des scènes de viols, je n’ai jamais pratiqué le triolisme ni l’échangisme, je tiens à le dire. » Elle a aussi tenu à préciser devant les jurés que c’est sa vie entière qui a été remise en question après ce jour de 2020 : « Mon monde s’écroule, pour moi tout s’effondre, tout ce que j’ai construit en 50 ans. » 

Un combat contre la soumission chimique

Si le procès ne commence qu’en ce mois de septembre 2024 pour se terminer mi-décembre, l’affaire avait déjà fait beaucoup de bruit dans les médias. En effet, Caroline Darian, la fille de Gisèle et Dominique Pélicot, a écrit un livre sur cette affaire afin de sensibiliser le public à la soumission chimique. Dans « Et j’ai cessé de t’appeler papa », elle raconte l’horreur de découvrir le véritable visage de son père et ce qu’il a fait à sa mère pendant toutes ces années. Caroline Darian découvre également que des clichés d’elle dénudée en train de dormir sont présents dans l’ordinateur de son père. Elle confie auprès de Psychologies Magazine : « Je suis la fille de l’un des plus grands prédateurs sexuels ». Malgré la douleur et le traumatisme, Caroline Darian a choisi de se battre pour que plus jamais il n’arrive à une femme ce que sa mère a subi. Elle a créé l’association « M’endors pas » afin d’informer sur la soumission chimique et de permettre de mieux les repérer. Depuis le 2 septembre, Caroline Darian se tient aux côtés de sa mère Gisèle Pélicot à chaque audience de ce procès hors normes. 

La force d’une survivante

Face aux défenses des accusés qui assurent ne pas avoir su et affirment avoir cru participer « aux fantasmes d’un couple ». Gisèle Pélicot répond avec détermination à la barre ce jeudi : « Quand on voit cette femme, droguée, maltraitée, une morte sur un lit, bien sûr, le corps n’est pas froid, il est chaud, mais je suis comme morte. Ces hommes me souillent, profitent de moi. Pas un seul ne se dit qu’il se passe quelque chose. » Des paroles qui résonnent longtemps dans le tribunal. On salue la force de cette survivante. Et on attend, comme elle, que « la justice soit exemplaire ».

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