Il n’y a pas de raisons de se réjouir de la dépénalisation de l’avortement
Pas parce qu’on est soudainement tombées sur la tête et devenues des nazis des ovaires, on vous rassure. Mais simplement parce que la proposition de dépénalisation de l’avortement approuvée mercredi dernier n’est pas tant un pas en avant qu’une manoeuvre habile pour faire croire qu’on bouge tout en restant englués sur place.
“Dépénalisation de l’avortement”, c’est vendeur pourtant, on a envie d’applaudir et de se dire que décidément, on vit dans un pays progressiste où il fait bon d’être une femme. Sauf que concrètement, cette proposition de loi dit quoi? Dans les faits, ce qui change serait donc la sortie de l’IVG du Code Pénal, qui serait inscrit dans le cadre d’une loi particulière, ainsi que l’abandon de la condition de détresse et la reconnaissance nécessaire du délit d’entrave. Et c’est tout.
Un délai de réflexion trop long...
Premier problème: le délai de réflexion de 6 jours est maintenu dans la proposition de loi. Parce qu’apparemment, en 2018, il est encore accepté de penser les femmes comme des créatures frivoles et imprévisibles, capables de décider d’avorter “sur un coup de tête” si elles ne prennent pas quelques jours pour y réfléchir. Outre l’aspect insultant de cette provision de sécurité, ces fameux 6 jours sont problématiques car ils renforcent le discours “pro life” qui veut que les femmes aient tendance à banaliser l’acte et à avorter comme d’autres prendraient la pilule du lendemain dans les pays où l’IVG est légalisé. Une image aussi ridicule que dangereuse, car elle contribue à la honte de celles qui avortent et au jugement de ceux susceptibles de pratiquer les interventions, qui se rendent plus facilement coupables de délit d’entrave. Et ce n’est pas là le seul problème de la proposition de loi.
... et un délai d’IVG trop serré
Le délai légal de maximum douze semaines de grossesse pour pouvoir recourir à un avortement est également maintenu. Ce qui veut dire qu’est maintenue aussi la question du “après, on fait comment?”. Les réponses restent elles aussi les même: si on a les moyens, on part à l’étranger, où les délais sont plus cléments, avoir un avortement express dans des conditions d’autant plus traumatisantes qu’on ne parle parfois pas la langue du pays et qu’on est loin de ses proches et de sa maison. Les autres seront contraintes d’accoucher d’un enfant non désiré, qui sera dans le meilleur des cas adopté par une famille qui a vraiment envie de lui, et dans le pire, livré à des adultes qui ne l’ont pas voulu ou n’ont simplement pas les moyens (financiers, psychologiques ou émotionnels) de lui offrir ce dont il a besoin. Pourquoi douze semaines? La loi ne le précise pas, et cette décision arbitraire semble difficile à comprendre. Un foetus âgé de 12 semaines a déjà une activité cardiaque et cérébrale, mais aussi une forme et un visage humain. Difficile de comprendre, donc, pourquoi avorter est permis à ce moment là, mais pas quelques semaines plus tard.
Contre l’avis des experts
Et c’est bien là le problème principal de cette potentielle nouvelle loi: la possibilité de sanctions pénales allant d’amendes à des peines de prison est maintenue, tant pour les femmes que pour les médecins qui le respecteraient pas les délais et procédures obligés. Alors non, vraiment, il n’y a aucune raison de se réjouir de cette proposition de dépénalisation. D’ailleurs, pour les associations et expertes du terrain qui ont été invités à donner leur avis à la Commission de Justice de la Chambre, et qui ont plaidé pour une réduction du délai de réflexion à 48h maximum et d’un prolongement de celui de l’IVG jusqu’à 18 semaines (ainsi qu’un abandon des sanctions), c’est plutôt la colère qui domine. Parce qu’en 2018, en Belgique, on a beau emballer ça dans de belles propositions de loi, le corps des femmes ne leur appartient toujours pas.
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