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““Je ne veux pas d’enfant””: le combat de Bettina Zourli pour banaliser ce choix

Justine Rossius
Justine Rossius Journaliste


« Tu vas changer d’avis, tu es encore jeune », « c’est égoïste », « qui va s’occuper de toi quand tu seras vieille »… Autant de réflexions lancées à ce·lles·eux qui ne souhaitent pas avoir d’enfants. Avec son compte Instagram @jeneveuxpasdenfant et son essai Childfree, Bettina Zourli est bien décidée à banaliser ce choix.


À 29 ans, Bettina Zourli n’a jamais ressenti de désir d’enfanter. Passionnée de voyage, elle a travaillé longtemps dans le secteur du tourisme, avant d’arrêter pour rester en accord avec ses valeurs écologiques. Elle a alors créé le compte Instagram @JeNeVeuxPasDenfant et publié un court essai sur la question du non désir d’enfant, Childfree.

Quand avez-vous su que vous ne vouliez pas d’enfants?

« Il n’y a pas eu de moment précis, je n’ai pas eu une révélation. Ne pas vouloir d’enfant a toujours fait partie de moi, mais avant, je n’en faisais pas une revendication. Ce sujet est devenu un cheval de bataille après que je me sois mariée, il y a deux ans et demi. J’approchais de la trentaine, j’avais un époux… La suite logique pour la société, c’était que je fasse un enfant. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé l’énorme pression sociétale et c’est de là qu’est parti mon envie de parler de ce sujet à plus grande échelle, notamment via un livre et un compte Instagram ».



Quel a été votre cheminement avant de créer ce compte Instagram ?

« J’ai écrit et publié le livre en mai 2019 et j’ai créé le compte en même temps. Je trouvais le support physique nécessaire pour ceux qui s’intéressent à ce sujet précis, mais le compte Instagram me permet d’en parler au plus grand nombre. La base du compte est lié au désir de ne pas avoir d’enfant, mais je suis aussi une militante féministe et je transmets mon engagement plus général via mes publications. Je veux tisser une toile pour montrer que le sujet de l’injonction à la parentalité est lié à des préoccupations féministes, écologistes, anti-racistes et anti-capitalistes. Ces sujets sont interconnectés. Avec mon compte Instagram, je souhaite partager des réflexions pour créer des débats et des échanges, avec, en latence, toujours ce sujet du désir et du non désir d’enfant. »

La pression de faire des enfants vient souvent de nos propres parents, qui rêvent de devenir grands-parents… Vos propres parents vous ont-ils mis une pression ?

« J’ai eu un mode de vie assez nomade, j’ai vécu dans plein de pays, donc mes parents n’ont jamais été surpris de mon non désir d’enfant. J’avais un ressenti plus global, notamment au niveau professionnel, vis-à-vis de mes collègues, de ne pas être dans la norme. C’est le côté systémique et global de l’injonction à la maternité que j’ai ressenti. Des nouvelles rencontres qui me connaissaient à peine et savaient mieux que moi ce qui était bien pour moi, en me disant que j’allais être malheureuse sans enfant. Pour revenir à la question des grands-parents, disons que cette génération peine à considérer qu’on peut s’épanouir en tant que célibataire, sans mariage et sans enfant. Mais je pense qu’il est trop ambitieux de vouloir leur faire changer de point de vue. Il faut mieux changer nous-même de perspective et considérer qu’on ne doit rien à ses parents. Je sais que c’est un propos qui choque beaucoup.

Mes parents m’ont mises au monde car c’était leur envie à eux et ça ne fait pas de moi quelqu’un de redevable. On ne doit surtout pas un enfant à ses parents.


De plus en plus de personnes justifient leur désir de ne pas avoir d’enfant par des raisons écologiques. En quoi le réchauffement climatique est-il lié à la parentalité ?

« Il faut faire attention de ne pas tomber dans l’excuse de l’écologie pour justifier son désir de ne pas avoir d’enfant. Cela dit, il faut être conscient que l’être humain est la source de problèmes environnementaux qu’on connaît et qu’on va connaître à l’avenir. Notre propension à vouloir être propriétaire de la Terre engendre les catastrophes écologiques, les famines, les mouvements de population. Il faut responsabiliser la parentalité à ce niveau-là, mais il ne faut pas non plus être dans le jugement et dans l’optique que faire un enfant, c’est créer un nouveau pollueur. Moi, je le vois plutôt dans l’autre sens : est-ce que j’ai vraiment envie de mettre au monde un être qui va connaître des choses pas très cool ? On sait que le niveau de vie va se dégrader, que l’accès à l’eau potable va se compliquer… J’ai déjà peur pour moi, alors j’aurai aussi peur pour mon enfant.

Je dis souvent que le plus cadeau que je peux faire à mon enfant, c’est de ne pas le mettre au monde. Mais mon désir de ne pas avoir d’enfant est d’abord personnel avant d’être écologique.


https://www.instagram.com/p/CJD9W-IATeO/

 

N’est-ce pas fataliste de penser comme ça ? 

« Je ne suis pas fataliste car j’essaye de changer les choses. Si j’étais fataliste, je ne prendrais pas la peine d’être végétarienne alors que j’aime la viande, ni d’acheter mes vêtements en seconde main. J’ai envie de croire qu’on peut changer notre mode de vie occidental, mais il y a quand même un risque qu’on n’y parvienne pas donc je n’ai pas envie de mettre un enfant au monde. Je sais que l’être humain a une capacité d’adaptation incroyable mais je pense qu’on a atteint un point de non-retour, notamment au niveau des ressources naturelles. »

Le désir d’enfanter est aussi lié à un besoin de transmettre, de créer, de laisser une trace sur Terre. Il se heurte intimement à tout un pan psychologique et même philosophique de l’être humain…

« En effet, on a tous et toutes un besoin de transmettre. L’être humain a besoin de créer quelque chose qui va avoir un impact sur le monde, de laisser quelque chose. Cela peut être un enfant mais il existe d’autre manière que la parentalité. Edith Vallée, psychologue française qui s’est penchée sur la question, a constaté que les personnes qui se tournaient vers la création artistique ou qui créaient une entreprise ou une association étaient plus enclines à ne pas vouloir d’enfant. Idem pour les doctorants par exemple. Évidemment, les deux aspects ne sont pas incompatibles, mais il semblerait que le désir de création puisse être assouvi autrement que par la parentalité. D’un point de vue personnel, je constate que j’ai besoin de transmettre, de partager, de débattre et d’inclure des gens dans ma réflexion et c’est peut-être ça, ma manière d’assouvir mon besoin fécond de création. Par contre, je ne veux surtout pas dénigrer les personnes qui s’épanouissent dans la maternité, ou dans leur rôle de mère au foyer par exemple. C’est un rôle qu’on a attribué aux femmes depuis la nuit des temps et ça, on le sait tous déjà.

Ce que je veux, c’est créer un discours qui dit que c’est ok de faire des enfants, mais que c’est aussi ok de ne pas en faire. Qu’il n’y a pas de hiérarchies entre ces deux choix. Ils sont tout autant acceptables l’un que l’autre.


Les critiques envers les femmes qui ne veulent pas d’enfant ne viennent-elles pas en majorité des mères ? Comme s’il existait deux clans.

« En fait, les mères prennent parfois pour eux le fait qu’on soutienne le désir de ne pas avoir d’enfant. Il y a tout un travail de pédagogie à faire pour plus de bienveillance entre les mères et les femmes sans enfants. Je refuse de créer des clans. La preuve, c’est que sur mon compte Instagram, je parle également des injonctions faites aux parents. Par exemple, cette question ultra culpabilisante qui revient toujours : ‘il fait ses nuits ?’. Je parle aussi de l’allaitement, de l’accouchement… En tant que femmes, on va subir le même type d’oppressions qu’on soit maman ou pas. Alors autant être solidaires, et se soutenir pour déconstruire ses injonctions. D’ailleurs, je suis beaucoup de mamans sur les réseaux sociaux, car je veux savoir aussi comment elles vivent leur maternité. Je me bats pour un congé de paternité prolongé et obligatoire, car même si cela ne me concerne pas directement, ça concerne les conditions de vie d’autres femmes. Il faut avoir une démarche de convergence : on est toutes dans le même panier. »

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Sur votre compte Instagram, vous dites qu’il est temps de parler de cette thématique par la positive et pas par la négative. Que voulez-vous dire ?

« Quand j’ai commencé à parler de ça il y a deux ans, j’utilisais le terme « non désir d’enfant », comme si c’était quelque chose de négatif. En terme médical, on dit ‘nullipare’ pour parler d’une personne qui n’a jamais accouché. Encore une fois, il y a une dimension négative.

Je pense qu’il faut parler de désir de ne pas être parent et non pas de non désir d’avoir des enfants. Quand une femme veut un enfant, elle le ressent dans ses tripes, c’est une envie viscérale qu’elle a à l’intérieur de soi. Je ressens également la même envie viscérale de ne pas être mère.


Même si on le dit rarement de manière aussi honnête, vouloir des enfants est aussi une manière de ne pas se retrouver seul·e quand on sera plus âg·é, de s’assurer une compagnie et d’avoir moins peur, finalement de sa propre mort…

« Beaucoup de personnes qui souhaitent des enfants m’expliquent qu’ils ont envie de transmettre leur nom de famille, de laisser une trace, de s’ancrer… On m’a souvent aussi demandé qui allait s’occuper de moi quand je serai vieille si je ne veux pas d’enfant. C’est hyper lié à la peur de se retrouver seul et de mourir. Personnellement, je suis très en phase avec moi-même et lucide sur ma fin de vie. Comme tout le monde, j’ai peur de vieillir, d’être malade, dépendante. J’ai peur de mourir et de l’inconnu, mais le fait d’y réfléchir et d’être consciente que ça va arriver m’aide à ne pas angoisser. De toute façon, je suis aussi consciente qu’avoir un enfant ne signifie pas qu’il s’occupera de moi plus tard. Mon mari travaille en maison de repos et le constate tous les jours : même les personnes avec des enfants ne reçoivent pas plus de visites et je pense qu’on tombe encore de plus haut quand on espérait pouvoir compter sur eux. Ne pas avoir peur de se retrouver seul plus tard demande une prise de recul et une résilience. Et aussi de l’organisation : vers 50 ou 60 ans, je sais que je mettrai les choses en place pour assurer mes vieux jours. »

Pensez-vous que les millenials sont plus childfree que les générations précédentes ?

« Il y a un manque cruel de chiffres à ce propos. J’ai cette impression en effet, notamment grâce aux réseaux sociaux qui libèrent la parole et créent des communautés. Le discours écologique plus prégnant dans notre société a certainement un impact, tout comme la précarité financière avec le chômage qui ne cesse d’augmenter. Ce qui joue aussi, c’est que la santé mentale, le bien-être personnel est devenu un sujet à part entière dans notre société.

On sait qu’il est important de penser à soi d’abord, ce qui n’était pas le cas avant. De plus en plus de personnes s’écoutent et apprennent à être en accord avec leurs désirs.


Que répondre à ceux qui considèrent le choix de ne pas faire d’enfant comme égoïste ?

« Je réponds que le fait d’en avoir est aussi égoïste. On fait des enfants pour soi, pour assouvir une envie personnelle, sans demander le consentement du futur enfant. Ne pas vouloir d’enfant, cela n’implique que soi. Alors que ce qui est égoïste a un impact négatif sur autrui. Mon choix n’a pas d’impact négatif sur quelqu’un, d’autant plus que mon conjoint est 100 % d’accord. Le mot égoïste est mal choisi : on écoute simplement ses envies et ça ne regarde que nous. » 

Pourquoi attribue-t-on plus de pression aux femmes qu’aux hommes au sujet de la parentalité ?   

« Depuis toujours, on nous a attribué le rôle de l’éducation des enfants. Mais j’ai aussi des retours d’hommes qui m’expliquent recevoir aussi des réflexions comme ‘Tu vas changer d’avis’, ‘tu n’as pas encore rencontré la bonne personne’… D’un point de vue global, ne pas vouloir d’enfant est mieux toléré chez les hommes, aussi car ils n’ont pas une date de péremption. Par contre, je pense que cette pression pourrait se développer au fur et à mesure qu’ils prennent leur part de responsabilité dans la parentalité, en devenant pères au foyer par exemple. »

Considérez-vous que l’absence d’égalité entre hommes et femmes, et donc, entre père et mère, influence le choix des femmes de décider de ne pas être mère ? D’en avoir peur même ?

« Clairement. L’égalité dans un couple hétérosexuel, qui plus est avec un enfant, n’est pas du tout active. À ce propos, c’est intéressant d’écouter les témoignages de mères qui regrettent d’avoir eu un enfant : ce qui ressort, ce n’est pas qu’elles regrettent leur enfant, mais plutôt le fait qu’elles ont désormais un statut de mère et non plus de femme, avec toute la charge mentale qui va avec. D’un point de vue sociétal, le statut de mère est hyper dévalorisé. C’est aussi la raison pour laquelle je partage beaucoup de réflexions sur l’allongement du congé de paternité, je milite pour qu’il soit de la même longueur que le congé de maternité, et obligatoire. Cette question-là permettrait notamment de gérer la discrimination à l’embauche, car à compétences égales, à la trentaine, on va choisir un homme plutôt qu’une femme pour pouvoir un poste, car la femme risque de partir en congé de maternité.

En Belgique, 80 % des temps partiels sont pris par des femmes, ce qui engendre une précarité financière. Ces éléments peuvent dissuader des femmes de vouloir des enfants. Changer cela permettrait à certaines femmes de vouloir des enfants.


https://www.instagram.com/p/CIOw8OBg5ya/

Vos posts soulèvent aussi la question du regard du corps médical à l’égard des femmes qui ne veulent pas d’enfants…

« Il y a un travail de sensibilisation à faire du côté des médecins. Il y a aujourd’hui une mauvaise gestion des personnes qui ne souhaitent pas d’enfant, notamment en matière de contraception définitive. En Belgique, c’est un flou artistique : aucune loi n’interdit ou n’autorise la contraception définitive comme la ligature des trompes. Beaucoup de médecins refusent. En France, c’est légal et pourtant, des médecins refusent de la pratiquer car ils considèrent qu’on va changer d’avis. Certains mentent carrément en disant que cette opération ne peut pas être faite avant 30 ans. »

Sur les réseaux sociaux, recevez-vous parfois des messages insultants ?

« Bien sûr ! On me dit au moins une fois par semaine que l’instinct maternel se réveille chez toutes les femmes, que c’est universel et que la maternité est la nature des femmes. Que quand on ne veut pas d’enfant, il faut consulter. En général, je leur dis merci et bonne journée. Il y a des personnes avec qui j’ai envie de débattre de manière constructive, mais certaines sont trop fermées d’esprit. »

Comment faire pour que le choix de ne pas avoir d’enfant soit mieux accepté par la société ?

« Comme pour tout, il faut en parler. Ça permet de développer une réflexion chez les gens. Je pense notamment aux personnes qui pensaient vouloir des enfants et qui sont un jour tombées sur un article ou sur mon compte Instagram. Cela peut leur permettre de réaliser qu’il s’agissait d’une construction sociale. Même pour ceux qui doutent, c’est intéressant d’avoir les deux points de vue. De se rendre compte que les deux choix existent. Je réalise qu’il faut aussi sortir de son milieu, essayer d’étendre cette réflexion à d’autres couches de la population. Cette question de prendre soin de soi, de ne pas vouloir d’enfant… C’est une question de luxe, j’en suis consciente. Pouvoir réfléchir à ça est un privilège et je me rends compte qu’il y a encore beaucoup d’efforts à faire pour banaliser le désir de ne pas être parent. »

https://www.instagram.com/p/CH8QFjKAd66/

 

Il y a un an, nous avons interviewé Bettina Zourli en vidéo…


 

Je ne veux pas d'enfant

À 27 ans, Bettina a fait le choix de ne pas avoir d'enfant. Une décision qu'elle explique dans son livre "Childfree: je ne veux pas d'enfant"

Posted by Flair on Wednesday, November 6, 2019


 



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