Fanny Gilles vient de Hautrage, dans le Hainaut, elle a de longues boucles châtain, des yeux qui pétillent quand elle sourit... Et elle est obèse. Plutôt que de céder à l’humiliation inhérente à la grossophobie ambiante, elle le revendique. Parce qu’ainsi qu’elle le rappelle, “faire du 34 ou du 56 n’a que peu d’importance: nous sommes tous des êtres humains, magnifiques”.
Et son corps magnifique, Fanny l’affiche: dans un post intitulé “Mon coming out: je suis OBESE”, la jeune femme accompagne son ressenti d’une photo d’elle en pied, en bikini. Main sur la taille, sourire aux lèvres, Fanny a l’allure conquérante de celle qui a décidé de balancer un coup de pied jouissif dans les préjugés. “Comme vous pouvez le voir, mon corps ne correspond pas vraiment aux standards de beauté actuels: je pèse 101 kg pour 1.64m, j’ai des gros nénés (soumis à la gravité), des grosses cuisses, des grosses fesses, un gros ventre. Ça change des magazines, hein ?”, interroge la jeune fille, faisant un clin d’oeil à “Dikkenek” et à la scène du cinéma au passage.
La société m’a toujours fait comprendre que mon corps n’était pas un corps normal, ni un corps beau, ni même un corps désirable”.
Une croyance inculquée dès son plus jeune âge: dès 8 ans, sa maman, inquiète du poids de sa fille, l’emmène voir une diététicienne. “Elle-même a été en surpoids/obésité toute sa vie et elle ne voulait pas que je subisse la même souffrance, le même mal-être, la même discrimination” raconte Fanny. Qui, même pas encore sortie de l’enfance, entre alors dans une spirale de restrictions alimentaires suivies de périodes de compulsion, les régimes entrepris se comptant par dizaines.
Au cours de toutes ces années, j’ai sûrement perdu autant de kilos que je n’en pèse actuellement, et j’en ai repris le double. Je SAIS ce qu’est une alimentation équilibrée, je sais ce qu’il faut faire pour perdre du poids, je connais les aliments qui sont à éviter et ceux qui sont bons pour mon corps. Mais savoir tout ça ne suffit pas, faut pas croire que les personnes obèses sont des personnes ignorantes des règles d’une vie « saine ».
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L’ennemie venue de l’intérieur
C’est pour démonter ce préjugé tenace, et bien d’autres encore, que Fanny a décidé d’afficher ses courbes sur Facebook. “En confinement, on a pas mal de temps pour faire face à soi-même, explique-t-elle. J’ai pris ce temps pour réflechir à la problématique de l’image de mon corps, notamment en regardant les chaînes YouTube d’Eliane C. et de Cinfy Gagnol, qui m’ont aidée à construire ma réflexion, et comme j’y pensais vraiment beaucoup, j’ai décidé de poser par écrit mon histoire, pour faire le point avec moi-même”.
L’idée m’est venue de le publier pour que mon entourage puisse comprendre ma vision des choses , et puisse donc adapter son comportement, en arrêtant de me proposer de faire régime, comme si je n’avais jamais essayé. Je voulais que les gens comprennent que ne pas perdre de poids n’est pas un manque de volonté”.
Car si tant la télévision que les réseaux sociaux sans oublier ses proches ou même de parfaits inconnus lui ont renvoyé sans cesse que son corps n’était pas désirable, Fanny affirme leur pardonner aujourd’hui. ” Je choisis de croire que vous étiez simplement ignorants, trop jeunes, pas assez éclairés que pour comprendre que vous véhiculiez les idées d’une société discriminatoire”. D’autant que sa critique la plus virulente n’était pas extérieure, mais bien au plus profond d’elle-même.
Moi-même, je me suis brimée, rabaissée, privée, tout ça parce que je voulais vraiment, ressembler à toutes ces filles plus minces que moi. J’avais moi-même intériorisé toutes ces injonctions qui ne sont, en réalité, qu’une construction sociale. Je me suis donc infligée tous ces régimes qui n’ont rien fait d’autre que me rendre malheureuse, me restreindre, et qui ont nourri la pitoyable image que j’avais de moi-même”.
Jusqu’à la réalisation que c’est la culture des régimes qui a créé chez elle des troubles du comportement alimentaire, “qui sont eux-mêmes à la source de mes prises de poids”. Une réalisation qui trouvé un écho de taille sur Facebook: vu par plus de 7.000 personnes depuis sa publication le 20 avril, le post de Fanny a suscité pas moins de 2.000 commentaires et 1.400 partages.
Une promesse
Un engouement auquel la jeune fille confie ne pas s’être attendue du tout. “J’étais déjà surprise que tant de personnes de mon entourage réagissent et viennent m’en parler mais quand j’ai vu que de plus en plus de personnes inconnues commentaient, j’ai été très étonnée”. Et d’ajouter que “ces réactions sont tellement encourageantes, bienveillante que je ne regrette en rien mon geste et je suis ravie de voir que tant de personnes s’identifient à mon histoire, d’une façon ou d’une autre, et de voir que ça les aident à voir les choses d’une façon différente et à essayer d’accepter leur corps”. Mission accomplie pour Fanny, qui confiait dans son post initial qu’un de ses espoirs était “que ce message pourra faire comprendre ma vision des choses à mon entourage, et peut-être même qu’il permettra à d’autres personnes de se décomplexer, de se revaloriser, d’arrêter de se brimer”. Et pour elle?
Ce post est une promesse à moi-même que ma vie ne me sera plus dictée par tout ça, et une promesse d’essayer — et c’est un réel travail — de m’accepter telle que je suis. Je ne me laisserai plus entendre dire comment je suis censée être, ce que je suis censée manger, ce que je suis censée faire, ne pas faire, porter, ne pas porter, montrer, ne pas montrer”.
“Aujourd’hui je comprends que perdre du poids n’est pas forcément quelque-chose à rechercher, et que toutes mes croyances, nos croyances concernant l’alimentation sont biaisées par cette injonction au corps parfait” poursuit Fanny. Qui termine son coup de gueule libérateur par un message aux allures de promesse envers elle-même “même si je ne peux pas dire que je m’aime telle que je suis à l’heure actuelle, j’entame un processus d’acceptation de mon corps, et j’avoue être assez fière d’avoir le courage de m’exposer de cette manière”.
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