La déferlante de témoignages de jeunes mamans m’a ôté l’envie de procréer
Si décrire les affres de l’accouchement et le quotidien ô combien difficile d’une jeune maman a longtemps été tabou, la parole s’est libérée ces dernières années, au point qu’il semble désormais que chaque jour apporte son lot de témoignages gore sur les réseaux. Libérateur et déculpabilisant pour les jeunes mamans, certainement, mais aussi carrément flippant pour celles qui aimeraient qu’on arrête d’accoucher de tous les détails.
Dont moi, par exemple. Enchantée, je m’appelle Kathleen, et je commence à souffrir d’une forme aigüe de tocophobie. Tocopho-quoi? Il s’agit d’une “peur extrême, irrationnelle et persistante de la grossesse et de l’accouchement”. D’autant plus extrême que je ne suis non seulement pas enceinte, mais pas non plus prête de l’être. En grande partie, aussi, parce que la pléthore de témoignages à ce sujet m’a ôté l’envie de procréer dans un futur proche. Voire même, dans n’importe quel futur où je dois moi-même porter l’enfant et en accoucher.
Et pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi, et je repense avec nostalgie au temps de l’innocence. Ayant eu la chance de grandir non seulement avec un papa médecin mais aussi et surtout avec deux parents qui ne nous ont jamais “parlé bébé”, j’ai su assez vite que les bébés ne naissaient pas dans les choux, et que des cigognes ne les déposaient pas non plus devant la porte. Quand j’ai eu l’âge de passer des dessins animés aux films et aux séries télé, la vision de femmes se tordant de douleur en salle d’accouchement m’a amenée logiquement à demander à ma mère si ça avait fait aussi mal que ça pour moi et mon frère. Tentative de m’épargner les détails gore, ou sincérité d’une Ardennaise peu douillette? Elle m’a toujours affirmé que oui, bien sûr, accoucher faisait mal, mais que le bonheur ressenti à la découverte du bébé faisait tout oublier. Et vu qu’en plus, un des deux bébés magiques qui avait effacé toute sa douleur, c’était moi, j’étais plus que ravie d’y croire. Mais ça, c’était avant.
Bienveillance étouffante
La première fois que ma douce ignorance a été ébranlée, c’était il y a bientôt deux ans. Gwendoline, une journaliste de l’équipe, venait d’accoucher de sa fille, et elle était venue nous la présenter à la rédac’ autour d’un délicieux carrot cake. Entre deux gazouillis extatiques sur la beauté de sa fille, et puis qu’est-ce qu’elle est calme la petite, elle nous avait confié que oui, mais que ce n’était pas facile tous les jours quand même, et les autres mamans de la rédaction y étaient chacune allées de leur anecdote, entre évanouissement en salle de travail et nuits blanches à répétition.
Quelques mois plus tard, Gwen’ avait rédigé un article rappelant qu’un bébé, ce n’est pas QUE du bonheur, et j’avais applaudi l’initiative, loin de me douter que j’en arriverais à souhaiter qu’on ne me parle plus jamais, j-a-m-a-i-s de grossesse ni de bébés. Parce que forcément, vu que je suis a) une femme b) en couple depuis des années et c) bientôt trentenaire, on m’en parle tout le temps. Ben oui, nous les femmes, on ne rêve que d’être mamans, non? Non. Il y en a certaines, aussi, qui préfèrent d’abord se concentrer sur leur carrière, faire le plein de voyages, et construire une vie sociale épanouissante avant de penser à se reproduire. J’ai la chance de partager ma vie avec quelqu’un qui pense pareil, et la question des bébés n’est pas vraiment abordée à la maison: on en aura un jour, peut-être, mais surtout pas tout de suite. Ce qui n’empêche pas le sujet d’être régulièrement mis sur le tapis par des potes “bienveillants” qui semblent décidés à nous convaincre que si, vraiment, faut faire des enfants là maintenant, c’est super. Super douloureux, fatigant, et chronophage, oui, si l’on en croit leurs témoignages.
Bercés trop près du mur
Je suis incollable sur la (douloureuse) cicatrisation d’une épisiotomie, les fuites urinaires post-accouchement n’ont aucun secret pour moi et je pourrais vous décrire dans les moindres détails l’agonie de l’allaitement quand des canaux lactifères sont bouchés. Pourtant, je n’ai pas de bébé, et je ne me documente pas sur le sujet, mais je n’en ai pas besoin: tous ces détails me sont communiqués de force, tant par les médias que par mes proches. Il suffit que je scrolle distraitement sur l’un ou l’autre magazine pour être confrontée à des articles montrant la “réalité” du quotidien des jeunes mamans, photos à l’appui.
Pareil sur les réseaux, où vergetures, ventres distendus et intérieurs chaotiques garnis d’un bébé hurlant et de sa maman échevelée n’ont de cesse de s’incruster sur mon feed. Sans compter les potes ou même les vagues connaissances qui me racontent avec force détails l’enfer d’accoucher sans péridurale. Bien que je ne doute pas que ces témoignages aient un effet cathartique, et permettent aux jeunes mères de se sentir moins seules dans leur galère, j’aurais personnellement préféré ne rien savoir. “Ignorance is bliss” comme le disent les anglo-saxons, et je donnerais n’importe quoi pour retourner à ma béatitude ignorante. À moins d’avoir été bercé trop près du mur, il me semble impossible d’ignorer que oui, l’accouchement est douloureux, et que non, être jeune maman n’est certainement pas un “congé” maternité. Est-ce bien nécessaire pour autant d’accoucher des moindres détails?
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Douce ignorance
Si j’avais su à quel point le chemin serait compliqué, peut-être que je n’aurais pas osé poursuivre une carrière de journaliste. Et pourtant, j’en rêvais depuis que j’étais enfant, et je savais qu’il y avait beaucoup d’appelés et peu d’élus dans le métier. Mais j’ignorais qu’il me faudrait près d’un an entre mon diplôme et mes premiers articles publiés (et non rémunérés en prime), tout comme je ne savais pas que je gagnerais 800 euros bruts les premiers mois et que j’allais devoir sacrifier un nombre incalculable de week-ends et de soirées avant d’en arriver où j’en suis aujourd’hui. J’adore mon métier, et j’ai une chance inouïe d’avoir réalisé mon rêve, ce qui fait que chaque sacrifice en a valu la peine. Mais si on m’avait dit au départ à quel point ce serait ardu d’en arriver jusque là, peut-être que je me serais dégonflée. La maternité, c’est pareil. Ce n’est pas que je n’ai rien dans le ventre, mais je ne suis pas masochiste non plus, et quand j’entends mes potes me parler du manque de sommeil chronique, du coût exorbitant d’un enfant et de l’impact sur le physique (coucou prolapsus génital, hémorroïdes et al) je me demande pourquoi je pourrais bien m’imposer ça. “Mais parce que c’est merveilleux d’avoir un enfant, ça change la vie”, me répondent en coeur tous les parents de la planète, mes potes en tête. Peut-être, mais ma vie, je l’aime bien exactement comme elle est maintenant. Juste avec un peu moins de photos de montées de lait et de récits de césariennes ratées, s’il vous plaît. On ne vous a jamais appris que ce n’était pas poli de parler de vagins à table?
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