Le problème du hijab de sport de Decathlon? L’hypocrisie envers les musulmanes
Jamais un petit bout de tissu n’aura autant fait parler de lui. En annonçant la mise en vente d’un hijab de sport, Décathlon a fait la Une de tous les médias français et suscité une polémique nationale. Jusqu’à annoncer renoncer finalement à le commercialiser. Victoire pour la liberté des femmes? Que du contraire.
Tout a commencé quand Decathlon a annoncé sa décision de commercialiser un hijab de sport, comme d’autres grands équipementiers de sport avant lui. Cela fait des années déjà que Nike en propose une version adaptée aux athlètes qui ne veulent pas se découvrir la tête, et il semblait logique que la chaîne de magasins françaises surfe sur la tendance en proposant un produit à prix plus accessible. Une décision qui n’a pas plu à tout le monde, à commencer par la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, qui a fait part de ses regrets dans la matinale de RTL.
Je ne pense pas que ça soit interdit par la loi, cependant c’est une vision de la femme que je ne partage pas évidemment. Si on souhaite l’égalité femmes-hommes, ce n’est pas pour que les femmes cachent leur visage. Je trouve que ça ne correspond pas bien aux valeurs de notre pays.
Et d’affirmer être “très très très favorable à l’émancipation des femmes, leur liberté et leur égalité face aux hommes, donc tout ce qui peut amener à une différenciation me gêne”. Le coup de grâce? “J’aurais préféré qu’une marque française ne promeuve pas le voile”. Imaginez un peu: la France, pays de la liberté, de l’égalité et de la fraternité “promouvoir le voile”? Impensable pour bon nombre de Français qui sont rapidement montés aux barricades dans la foulée.
“Lèche-babouches”
Sur les réseaux sociaux, les critiques pleuvent, et le compte Twitter de l’équipementier français se retrouve rapidement saturé de messages d’injures. Extrait choisi:
@Decathlon, une vraie entreprise lèche-babouches, 100% halal, comme on l’aime. Bientôt le burkini chez Decat’ ? Je l’attends de pied ferme pour sortir ma femme.
Plus sérieusement, quelle honte de la part de #Decathlon. Où sont passées vos valeurs ?!
Un héros inattendu sort de la mêlée: Yann, le community manager de Decathlon, qui répond avec bon sens et sang-froid à toutes les critiques, à commencer par celle postée ci-dessus. “Nos valeurs ont toujours été tournées vers le fait de rendre le sport plus accessible. En concevant ce produit, nous permettons à certaines femmes de pratiquer leur sport dans de meilleures conditions. Pas sûr que ça vaille le coup d’adopter ce ton peu respectueux” souligne-t-il ainsi.
Ce qui est indigne, c’est de faire de tels amalgames qui ont pour seul effet de véhiculer un message de haine. De notre côté, nous préférons nous concentrer sur le fait de rendre le sport accessible à toutes les femmes, quelles que soient leur religion ou leur culture.
Yann— Decathlon (@Decathlon) February 25, 2019
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Peut-être plus indigne encore? Les discours pseudo libérateurs, qui restent loin des amalgames faciles à coup de “djihadistes”, mais servent quand même une bonne dose de clichés indigestes pour faire passer leur point de vue. C’est un fait, dans l’imaginaire occidental, la femme musulmane est forcément soumise, sous l’emprise de l’autorité des hommes de sa vie. Si elle porte le voile, cela ne peut pas être par conviction personnelle, mais forcément parce qu’on le lui a imposé. Impossible de concevoir que le port du hijab puisse être un choix, et encore moins de comprendre qu’il contribue parfois à une forme de libération des femmes qui, en le portant, sont plus libres de leurs mouvements.
Bonjour,
Le fait est que certaines femmes pratiquent la course à pied en portant un hijab. Celui-ci est souvent non-adapté à la pratique sportive, et peu confortable.
Nous avons donc développé un produit adapté et accessible, à la demande de ces clientes.
Yann— Decathlon (@Decathlon) February 25, 2019
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Parmi les opposantes les plus farouches à ce hijab de course, beaucoup de femmes, justement, qui comparent le voile à une entrave et s’opposent fermement à sa commercialisation, tout en affirmant soutenir la “libération des femmes”. Et tant pis si ce faisant, elles font tout le contraire.
Boycotter la liberté
Ce mardi 26 février en fin de journée, la nouvelle tombe: Decathlon renonce à mettre son hijab de sport sur le marché. Angélique Thibault, responsable du jogging et conceptrice du « Hijab Kalenji », se disait pourtant « mue par la volonté que chaque femme puisse courir dans chaque quartier, dans chaque ville, dans chaque pays, indépendamment de son niveau sportif, de son état de forme, de sa morphologie, de son budget. Et indépendamment de sa culture ». Mais face à l’ampleur de la polémique, Xavier Rivoire, directeur de la communication de l’enseigne sportive, explique que « nous prenons effectivement décision en toute responsabilité en ce mardi soir, de ne pas commercialiser à l’heure qu’il est ce produit en France ». De quoi apaiser Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la France, et Valérie Rabault, la présidente du groupe PS à l’Assemblée nationale, qui avaient tout deux appelé sur Twitter au « boycott » de la marque française? On n’aurait pas cru voir un ex-allié de Marine Le Pen et la gauche se mettre d’accord de si tôt, il suffisait de parler de hijab pour dévoiler leurs similarités de pensée. L’un s’appuie sur une rhétorique aux relents racistes, l’autre affirme agir au nom de la “liberté des femmes”, les deux incarnent à merveille l’hypocrisie occidentale envers les musulmanes.
Ainsi que le dénonce avec justesse l’association féministe Les Effrontées dans un communiqué diffusé en marge du débat, il ne s’agit que d’une “énième polémique qui consiste à dénoncer la possibilité pour les femmes voilées d’avoir une vie normale”.
À croire qu’elles n’auraient plus le droit de faire du sport… tout ça “au nom de leur émancipation”.
“Qu’une critique générale puisse se faire sur les codes vestimentaires genrés, les modes qui oppressent les femmes, leur font honte de leur morphologie, sont inconfortables, véhiculent des stéréotypes sexistes, sont produits et cousus dans des pays comme le Bangladesh afin de faire baisser les coûts de production, dans des conditions de travail et des lieux insalubres qui exploitent et mettent en danger la vie des travailleurs-euses, nous n’y voyons aucun inconvénient” expliquent les membres de l’association.
Raison pour laquelle nous trouvons infiniment louche de ne condamner, parmi les milliers d’articles de mode produits, que le hijab. Ce climat raciste, tenons-nous le pour dit, ne conduit qu’à la discrimination et aux violences à l’encontre des femmes qui portent un voile.
Aux Etats-Unis, patrie de la liberté d’expression, la polémique fait scandale. Ainsi que l’a résumé parfaitement The Washington Post, “une nouvelle fois, la France s’est plongée dans le ridicule en parlant des vêtements que les femmes musulmanes peuvent choisir de porter ou non”. Clamer défendre la liberté des femmes et leur émancipation tout en décidant ce qu’elles ont le droit de porter à leur place? On appelle ça se voiler la face.
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