L’Ukraine candidate à l’Union européenne, ça veut dire quoi?
Ce jeudi, les 27 pays de l’Union européenne se sont ralliés à l’avis de la Commission et ont accordé à l’Ukraine et à la Moldavie le statut de candidats à l’adhésion.
Une décision saluée comme un moment “unique et historique” par le président d’Ukraine Volodymyr Zelensky, qui l’a également qualifiée de “plus grand pas vers le renforcement politique de l’Europe”. Notre ex Premier ministre Charles Michel, aujourd’hui président du Conseil européen, a pour sa part qualifié le vote de ce jeudi 23 juin de “moment historique”. Mais dans les faits, et vu la situation de crise dans l’Ukraine en ce moment, qu’est-ce que ça implique pour le pays – ainsi que pour les autres membres de l’Union?
“Pays candidat”, ça veut dire quoi?
Concrètement, tout pays européen peut faire une demande d’adhésion à l’Union s’il respecte ses valeurs démocratiques et s’engage à les promouvoir. Mais avant de devenir membre effectif, il doit remplir les trois critères de Copenhague, c’est à dire la présence d’institutions politiques stables, garantes de la démocratie ainsi que du respect des droits humains, une économie de marché en bonne santé, à même de s’intégrer dans le marché européen et la capacité à mettre en oeuvre les obligations inhérentes au statut de pays membre.
Avant d’être intégré dans l’Union, chaque pays candidat doit suivre un processus en trois étapes: l’examen minutieux de chaque critère afin de déterminer le niveau de préparation du pays, la négociation du positionnement du pays sur certains points qui seraient éventuellement contentieux dans les positions prises par l’Union, puis la phase finale, entre conclusion des négociations, traité d’accès et statut intermédiaire de pays adhérent, avant la confirmation officielle du statut de membre.
Si ces derniers mois ont donné mille et une raisons à l’Ukraine de vouloir candidater, du côté de la Commission, une série d’objectifs définissent les raisons de l’élargissement de l’Union et de son ouverture à d’autres pays désireux de la rejoindre. Soit, notamment, la promotion de la paix et la stabilité dans les régions proches des frontières de l’UE (une excellente raison en soi d’intégrer l’Ukraine), l’amélioration de la qualité de vie de la population grâce à l’intégration et la coopération par-delà les frontières ou encore l’accroissement de la prospérité et des perspectives des entreprises et des citoyens européens.
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Dans combien de temps l’Ukraine sera-t-elle membre?
En règle générale, le processus d’adhésion, bien qu’il ne compte officiellement que trois grandes étapes, est (extrêmement) long. La Turquie est ainsi candidate à l’Union depuis... décembre 1999. Autrement dit, même si Zelensky exhorte depuis plusieurs mois l’UE à intégrer l’Ukraine “sans délai”, notamment pour bénéficier du soutien militaire officiel que cela représenterait, une procédure accélérée n’est pas à l’ordre du jour. En mars dernier, lors du sommet de Versailles, les 27 chefs d’état des pays membres avaient d’ailleurs rappelé qu’aucune “procédure d’adhésion rapide” n’existe.
En moyenne, si on étudie les délais d’adhésion des pays ayant rejoint nos rangs ces trente dernières années, il s’écoule entre dix et douze ans entre le statut de candidat et celui de pays membre. Le 17 juin dernier, lorsque la Commission a rendu son avis favorable à l’adhésion de l’Ukraine, sa présidente, Ursula von der Leyen, a toutefois souligné que cela se ferait “à condition que le pays procède à un certain nombre de réformes importantes”. Rome ne s’est pas faite en un jour, les réformes fédérales non plus, et par conséquent, l’adhésion à l’Union encore moins.
D’autant que se pose également la question de ce que ça implique géopolitiquement et militairement parlant pour les pays membres. Lors du sommet de Versailles, Emmanuel Macron avait ainsi fait part de ses hésitations à ouvrir le processus d’adhésion à un pays en guerre. Les pays membres sont en effet liés par une clause de défense mutuelle, qui les enjoint à aider tout autre pays membre “victime d’une agression sur son territoire”. Vu la situation actuelle en Ukraine, les conséquences pourraient donc être coûteuses en vies humaines mais aussi matériellement parlant pour les 27 qui, s’ils ont apporté un soutien logistique jusqu’ici, se sont toutefois gardés d’envoyer des hommes sur place.
Pourquoi la Géorgie doit-elle encore patienter?
Si la Moldavie a elle aussi obtenu le statut de pays candidat en même temps que l’Ukraine, la Géorgie, elle, reste pour le moment sur le banc de touche. Elle avait pourtant déposé sa candidature en même temps que ses cousins des Balkans, mais elle a été épinglée sur certains points cruciaux, à commencer par son respect des droits de l’homme. À l’heure d’écrire ces lignes, l’ancien président du pays, aujourd’hui dans l’opposition, est en effet derrière les barreaux en raison de sa position par rapport au régime actuel.
La Commission a également affirmé attendre “des progrès en matière de libertés des médias, des réformes judiciaires et électorales” ainsi que la fin de la “polarisation politique” et de la “mainmise de certains oligarques sur des pans entiers de l’économie” avant d’accorder à la Géorgie le statut de candidat. Une décision qui a suscité la déception des nombreux géorgiens pro-Europe, qui seraient plus de 100.000 à être descendus dans les rues de Tbilissi pour montrer leur volonté d’adhérer à l’UE.
Et la Russie dans tout ça?
À l’heure où nous rédigeons cet article, le Kremlin n’a pas encore réagi officiellement à la décision de l’Union. Volodymyr Zelensky a quant à lui regretté que celle-ci n’entraîne vraisemblablement une intensification des frappes russes pour punir l’Ukraine. Selon Bruno Lété, spécialiste de la sécurité et de la défense au sein du German Marshall Fund, Moscou pourrait en tout cas volontairement compromettre l’intégrité du territoire ukrainien afin de ralentir autant que faire se peut son adhésion.
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Dans un entretien accordé à Al Jazeera, il a souligné que bien que techniquement, l’intégrité du territoire ne soit pas une condition d’adhésion en tant que telle, cela va sans dire qu’un pays doit maîtriser l’ensemble de son territoire et de ses frontières avant de pouvoir devenir membre. Or, il y a quelques jours de ça, la Russie a annoncé sa décision d’accorder la nationalité russe aux citoyens des zones d’Ukraine qu’elle occupe.
Alors que cela fera bientôt dix ans depuis qu’un nouveau pays, la Croatie en l’occurence, a rejoint l’UE, les candidatures de l’Ukraine et de la Moldavie, potentiellement appelées à être suivies par celles de la Finlande et de la Suède, pourraient redessiner entièrement le paysage de l’Union lorsque les pays deviendraient membres. Avec ses 600.000 kilomètres carrés de superficie, l’Ukraine deviendrait ainsi le plus grand pays de l’Union. Et son meilleur rempart contre les volontés expansionnistes de Vladimir Poutine? Seul le temps le dira, mais face aux efforts menés par le pays ces derniers mois, Emmanuel Macron a d’ores et déjà affirmé que ce statut de candidat, “nous le devions à l’Ukraine”.
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