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Pour les migrantes, la prostitution est souvent le prix de la ““liberté””

Kathleen Wuyard

Elles ont quitté leur pays d’origine pour fuir guerre, oppression et danger. À l’arrivée? Une liberté souvent (très) chère payée pour les migrantes, qui sont toujours plus nombreuses à être happées par la prostitution.


Ce 21 juin, la presse irlandaise révélait ainsi que 94% (!) des prostituées du pays sont des migrantes, la majorité d’entre elles ne parlant pas anglais. D’après le Sexual Exploitation Research Programme (SERP) irlandais, la pauvreté, l’absence d’autres options et un statut migratoire précaire sont les trois facteurs principaux qui poussent les migrantes vers la prostitution. Une voie qui est tout sauf un choix.

On ne peut pas dire que c’est un métier pour elles. C’est un mécanisme de survie, mais aussi de l’exploitation et une forme de violence genrée”.


C’est que la plupart d’entre elles sont victimes de traite des êtres humains, contraintes d’aller d’un coin du pays à l’autre en fonction de la demande, maintenues à plusieurs dans des lieux contrôlés par leurs “employeurs”, où elles enchaînent les clients. Une problématique qui ne se limite pas à l’Irlande, loin de là.

“Toutes sont violées par les passeurs”


Chez nous, en 2018 déjà, le Centre fédéral migration Myria dénonçait la traite des Noires, et plus particulièrement des Nigérianes, à Bruxelles. À l’époque, le commissaire Franz Vandelook faisait état à L’Echo de filles de plus en plus jeunes, parfois âgées de 14 ou 15 ans seulement. Et de détailler l’enfer qui les attend avant d’arriver “en vitrine” à Bruxelles.

Toutes sont violées par les passeurs africains et arabes. Celles qui résistent sont abandonnées dans le désert. (...) Une fois débarquées dans des centres d’accueil en Italie, elles sont aisément récupérées par les passeurs européens, qui les envoient vers leur destination finale. Arrivées à Bruxelles, elles travaillent pour 20 euros la passe, parfois 10 ou 5 euros seulement tant la concurrence est féroce”.


Une somme dont elles doivent céder la moitié à celle qui les a fait venir et l’autre à la prostituée qui leur loue sa vitrine lorsqu’elle n’y travaille pas. Autre obstacle sur la route migratoire vers l’Europe? La Libye, où nombreuses sont celles qui se retrouvent prostituées de force sur leur chemin vers la liberté.

La prison de la prostitution


Dans un reportage diffusé il y a quelques jours par nos confrères de RTL, Aïcha, migrante guinéenne ayant voulu laisser une “vie difficile” loin derrière elle et se réinventer un autre avenir, raconte comment, une fois arrivée en Libye, elle a réalisé avoir “quitté un cauchemar pour arriver en enfer”.

Je n’ai même pas vu le pays: dès mon arrivée, on m’a enfermée, j’étais esclave (...) Même mon pire ennemi, je ne peux l’encourager à aller là-bas”.


C’est finalement grâce à un Libyen qui prendra pitié d’elle et lui donnera de quoi s’enfuir en Tunisie qu’Aïcha pourra échapper à ce cauchemar. Mais elles sont nombreuses à être toujours prisonnières de la prostitution forcée sur place. Comme Sarah, une jeune maman camerounaise, captive durant plus d’un an, qui a partagé un témoignage bouleversant à InfoMigrants. Un récit extrêmement dur à lire, où elle raconte être “enfermée dans une chambre avec les enfants. Je suis obligée de coucher avec des amis du monsieur qui viennent lui rendre visite. On nous donne à manger de temps en temps, mais nous avons faim, les enfants ont peur, ils pleurent beaucoup et ont besoin de soins. Je n’ai même pas de couches pour ma fille”.

Des efforts insuffisants


Si elles survivent à la traversée périlleuse de la Méditerranée, les femmes qui quittent leur pays en quête de sécurité et/ou de liberté ne sont malheureusement pas au bout de leurs peines une fois qu’elles posent le pied sur la terre ferme. Cibles de choix pour les prédateurs sexuels, surtout si elles voyagent seules ou accompagnées de mineurs, les migrantes sont (bien trop) nombreuses à être victimes de violences sexuelles lors de leur arrivée, voire pire, à tomber dans la traite des êtres humains. Un piège qui guette toutes les nationalités.

Ainsi, selon les policiers de la zone de police Bruno (Evere, Schaerbeek, Saint-Josse), interrogés par BX1, durant la pandémie, les filles issues d’Amérique latine étaient plus nombreuses que les autres à continuer à proposer des rendez-vous réels. Des annonces qui cachent souvent des situations de traite des êtres humains, car les filles sont obligées de poursuivre leurs activités pour se nourrir. D’après Myra, rien qu’à Bruxelles, le nombre de dossiers concernant l’exploitation sexuelle aurait doublé entre 2018 et 2019.

Si en Belgique, on ne dispose pas (encore?) de chiffres semblables à ceux recueillis en Irlande, d’après la Fédération Wallonie-Bruxelles, on estime toutefois que chez nous, le nombre de personnes qui se prostituent oscillerait entre quinze et vingt mille, dont 80 % seraient des femmes, 15 % des transsexuels et 5% des hommes. Combien de migrantes, et combien de leur plein gré? Les statistiques manquent. En attendant, la Fédération Wallonie-Bruxelles concède que “dans les faits, on constate que les efforts visant à lutter contre toutes les formes de proxénétisme, à soutenir les personnes prostituées dans leurs efforts de réinsertion, et à mettre en place une politique de prévention de la prostitution, portent peu de fruits à l’heure actuelle et que ces activités prospèrent”.

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