Aimer les animaux et manger de la viande, le paradoxe du carnisme
C’est la question qui ronge l’estomac des carnivores : leur régime est-il forcément incompatible avec l’amour des animaux?
Quand le sujet des régimes alimentaires s’immisce dans une conversation (ce qui est relativement fréquent en ces temps de #wellness à outrance) nombreux sont celles et ceux qui répondent être “flexitarien·ne·s”. Ce qui n’est finalement jamais qu’une autre manière de dire... “hypocrite”? Imaginons le cas d’un·e flexitarien·ne qui ne mange certainement pas de la viande à tous les repas, mais souvent au menu du soir, et plutôt du poulet à domicile, mais aussi du porc et du boeuf au resto. Surtout pas de gibier (“Non mais la chasse, c’est tellement cruel“), jamais ô grand jamais de cheval (Vous êtes quoi, un monstre sans coeur?) et pas non plus d’animaux adorables type lapin ou agneau. Sauf que fondamentalement, une vache, c’est quand même vachement choupi aussi, et la mignonnitude d’un petit porcelet tout rose, on en parle?
Non, s’il vous plaît, parce que sinon, ça risque de couper l’appétit. Il faut dire que quand on se revendique comme ardent·e défenseu·r·se de la cause animale, la consommation de viande devient de plus en plus compliquée à digérer. Un tiraillement que connaissent nombre d’amateurs d’animaux dans l’assiette et dans la nature.
Lire aussi: La Casa de Carne, un court-métrage bouleversant sur notre consommation de viande
Aimer les chiens et manger des cochons
Proclamer adorer les animaux et les manger quand même, une hérésie? Peut-être, mais nombreux sont ceux à faire le grand écart entre leurs convictions et leur estomac. Le phénomène est d’ailleurs connu en psychologie sous le nom de “dissonance cognitive”, soit la tension qu’une personne ressent lorsqu’un de ses comportements entre en contradiction avec ses valeurs et ses croyances. Pour trouver un équilibre interne, les individus vont tenter de réduire la dissonance en ajustant les cognitions de façon à rendre cohérents les éléments de leurs univers personnels.
Par exemple, établir une distinction claire entre les animaux domestiques, chéris et forcément impropres à la consommation, et les animaux “bons à manger”, cette distinction étant parfaitement arbitraire et différant grandement selon les cultures, chiens et chats étant des mets très appréciés dans certaines régions du globe. Un paradoxe au coeur du livre du Dr Melanie Joy, “Pourquoi aimer les chiens, manger les cochons et se vêtir de vaches”.
L’explication avancée par cette psychologue sociale et activiste américaine? Le carnisme.
C’est cette idéologie invisible qui nous conditionne à trouver normal, naturel et nécessaire de consommer des produits animaux. On pourrait dire que sa fonction, c’est justement d’occulter la violence et d’étouffer la dissonance cognitive. C’est cette idéologie qui nous empêche de percevoir l’ampleur de la souffrance animale” dénonce-t-elle.
Une souffrance pourtant bien réelle, et fréquemment rendue publique à coups de vidéos chocs qui montrent l’enfer des abattoirs. Des images insoutenables, qui n’auraient pourtant pas l’effet souhaité : selon une enquête réalisée en 2017 par la société VoucherCodesPromo, relayée à l’époque par le site Metro, le militantisme anti-viande agressif à coups de visuels chocs donnerait à certain·e·s l’envie d’en manger encore plus. 26% des 2 363 Britanniques interrogés à l’époque avaient ainsi affirmé que la raison pour laquelle ils ne pourraient pas arrêter de consommer de la viande était parce que “l’attitude de certains végétariens ou végétaliens” les a dissuadés.
Une excuse facile pour réguler sa dissonance cognitive? Certainement, mais pas uniquement, les répondant·e·s ayant ajouté que les vegans sont trop « agressifs » envers eux et « ont tendance à considérer que leur façon de manger est la seule et unique façon ». Mais s’ils avaient raison?
Pour les opposant·e·s au carnisme, cela ne fait pas un pli : c’est uniquement pour des raisons idéologiques que manger de la viande est perçu comme étant normal, naturel et nécessaire, et non comme un acte facultatif. La consommation de viande étant fondamentalement violente, entre maltraitance à l’abattoir et élevages industriels où les animaux sont traités la plupart du temps comme de vulgaires choses, celles et ceux qui en mangent doivent mettre en place de nombreux mécanismes de défense, à commencer par la croyance ancrée que les animaux qu’on mange ne sont pas des êtres pensants.
Sauf que les poules, par exemple, ont des capacités de communication égales à celles de certains primates et sont également capables de compassion, tandis que les porcs sont probablement les animaux de ferme les plus intelligents. Et sont notamment suffisamment rusés pour pouvoir jouer sur l’ordinateur. On en est loin, donc, des bêtes idiotes juste bonnes à agrémenter nos assiettes.
Les fauves n’élèvent pas leurs proies
Si chacun·e fait ses propres choix quant à son régime alimentaire, il est toutefois important de mettre fin à une certaine hypocrisie : un·e carnivore qui se proclame l’ami·e des animaux n’a pas plus de sens qu’un·e raciste qui voudrait être considéré comme tolérant·e ou un misogyne qui clamerait adorer les femmes. Ainsi que le rappelle l’essayiste Marcela Iacub, on peut tenter tant qu’on veut de se rassurer en rappelant que la nature est cruelle, mais “les fauves ne font pas naître et n’élèvent pas les proies dont ils se nourrissent”, contrairement aux humains et à leurs élevages d’animaux dans le seul but de les manger.
Et d’ajouter que nous savons au fond de nous que tuer et manger des animaux est mal. Un argument qui n’empêche pas nombre de gourmand·e·s de les savourer, mais qui devrait tout du moins les empêcher de se proclamer défenseu·r·se des animaux juste parce qu’ils signent des pétitions contre les festivals de viande de chien en Asie.
Lire aussi:
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici