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Tanaland
© TikTok @legranjt.fr/@polskababinks/@bruit.off

FAUT QU’ON PARLE: Tanaland, ce pays imaginaire réservé aux femmes

Sarah Moran Garcia
Sarah Moran Garcia Journaliste web

TikTok a vu émerger Tanaland, une tendance sous forme de pays imaginaire créé par des femmes, uniquement pour des femmes. Il s’agit d’un doigt d’honneur humoristique rempli de clichés au sexisme et à la misogynie qui pourrit Internet. Et ça fait du bien.

Un petit tour en Tanaland, ça vous dit? Avant toute chose, remontons le fil des événements pour comprendre l’origine de ce monde fictif. Il y a quelque temps, une nouvelle insulte adressée aux femmes a pris son essor sur Internet, “tana”. Si l’émergence du terme sur les réseaux sociaux comme TikTok est récente, son origine serait plus ancienne. Certains évoquent les nombreuses occurrences du mot dans le titre “Qué Pasa Amigo”, de Niska (en feat avec La B et Trafiquinté), sorti en 2014. D’autres parlent d’un terme d’argot né dans les banlieues parisiennes. Dans les deux cas, il serait dérivé du mot italien “puttana” (ou “putana”, en espagnol).

Si l’origine du terme est floue, sa signification, elle, est plutôt claire. S’il fallait le traduire dans un vocabulaire châtié, on dirait qu’il s’agit d’une description faite des “femmes de peu de vertus” (avec de très gros guillemets). Autrement dit, des tchoins, des putes, des salopes. Tu te maquilles? T’es une tana. Tu mets des vêtements qui laissent voir un peu trop de peau au goût des hommes? T’es une tana. T’aimes publier des photos et des vidéos de toi sur les réseaux sociaux? T’es une tana. T’aborde n’importe quel sujet en ligne? T’es une tana. En fait, t’es une femme et tu fais des trucs qui te plaisent, t’es une tana. Parce que la tana a toujours un vagin entre les jambes.

Contourner les règles de TikTok

Pourquoi une insulte supplémentaire adressée aux femmes, alors qu’il y en existait déjà beaucoup trop? Selon Anaïs Loubère, fondatrice de l’agence de social média Digital Pipelette, interrogée par L’Humanité, TikTok a été contraint par plusieurs gouvernements de renforcer sa politique de modération, notamment pour réduire le cyberharcèlement. Des termes comme “pute” ont ainsi été interdits sur la plateforme. Si un·e utilisateur·rice l’emploie, il/elle risque le bannissement. “Tana”, lui, qui signifie somme toute la même chose, n’est pas encore interdit. Dès lors, aucun risque de voir son compte être supprimé si on l’emploie. Astucieux de la part des internautes, n’est-ce pas? (Non, pas du tout.)

@polskababinks

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Le terme étant devenu de plus en plus populaire dans les sphères misogynes du tout-Internet, les personnes lassées de ce slut-shaming auquel elles font face ont réagi en créant leur propre pays, Tanaland. Tanaland, c’est un lieu où les femmes sont affranchies du regard des hommes, où elles font ce qu’elles veulent, comme elles le veulent, quand elles le veulent. Elles s’habillent comme ça leur chante, mettent du maquillage si ça leur plaît, dansent parce qu’elles aiment ça. Un monde sans homme, un monde libéré du sexisme beaucoup trop présent sur les réseaux sociaux (comme dans la vraie vie). Puisque s’évertuer à débattre avec des gens qui n’y entendront que tchi ne sert à rien, autant tout simplement faire comme si elles n’existaient pas.

Drapeau, hymne, gouvernement

Et le délire va loin. Les habitantes de Tanaland ont carrément imaginé une capitale, Tana City, un drapeau rose et blanc, un hymne, un journal télévisé, une devise nationale (“Liberté, Égalité, Tanacité”) et un gouvernement composé exclusivement de femmes, évidemment. Tanaland, qui est peuplé de quelque 18 millions d’âmes, c’est aussi un condensé de tout ce qui existe de plus cliché concernant la femme. Si l’on regardait le moodboard des fondatrices de ce pays imaginaire, il serait rose. Absolument rose. Les rues seraient roses, les maisons seraient roses, les vêtements seraient roses, les animaux et les arbres, eux aussi, seraient peut-être roses. Un stéréotype poussé à l’extrême qui prête résolument à sourire, et une autodérision de la gent féminine qui fait du bien à voir. Autant que le pied de nez – pour ne pas dire doigt d’honneur – aux misogynes.

Sur TikTok, les utilisatrices rivalisent d’imagination pour mettre en scène Tanaland. Certaines se filment en train de faire leurs valises pour cette safe place imaginaire, ou de créer des looks pour déambuler dans les rues du pays. D’autres immortalisent le moment où elles attendent à l’aéroport direction cette nation 100 % féminine. Il y a aussi celles qui se mettent en scène sur une île paradisiaque perdue quelque part dans ce doux pays de rêve. De faux documentaires à l’image de formats bien connus des réseaux sociaux ont aussi émergé, à l’instar de ce reportage Bruit (inspiré de Brut) sur l’ouverture de Tanaland. En outre, des influenceuses très populaires telles que Paola Locatelli, Too Much Lucille ou encore Polska se sont revendiquées de ce mouvement.

@bruit.off

Documentaire sur tanaland le pays reservé aux filles #tanaland #tana #polska

♬ Minimal for news / news suspense(1169746) – Hiraoka Kotaro
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Puis les hommes finissent par s’en mêler

En revanche, quand des influenceurs comme AD Laurent – qui, on ne se mouillera pas trop en le disant, propose du contenu parfois très masculiniste et misogyne – encensent l’idée, on commence à se poser des questions. Après, tout est bon pour récupérer un peu de vues en surfant sur un buzz. La preuve s’il en fallait, lorsque l’on cherche “Tanaland” sur TikTok, sa vidéo, postée fin septembre, est parmi les premières suggestions de la plateforme, et aussi l’une des plus vues, sinon la première, sur le sujet. À l’heure d’écrire ces lignes, elle cumule plus de trois millions de vues.

Puis, en réponse au pied de nez féministe, des personnes dépositaires d’un pénis (mécontents ou à l’humour douteux?) ont créé Charoland. Cet autre pays fictif est le paradis des charo(gnard)s, ces hommes qui courent après les femmes. Pas aussi populaire sur TikTok que Tanaland (heureusement, hein), Charoland est un pays où les femmes vivent en bikini et sont… à la disposition des habitants masculins (?). D’aucuns diront que c’est déjà le monde dans lequel on vit actuellement.

Le sujet peut prêter à sourire, mais il nous rappelle que les femmes sont les premières victimes de violences sur Internet. Selon une enquête datant de décembre 2022, menée par Ipsos pour le compte de l’association Féministes contre le cyberharcèlement, 84 % des personnes qui font face à des cyberviolences sur les réseaux sociaux sont des femmes.

@niemesia

Tanaland etc #tanaland #charoland #homme #femme #relation

♬ son original – La meuf là ✨
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