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© Jessica Hilltout

À COEUR OUVERT: ““Après avoir perdu mon bébé, enceinte de 8 mois, on m’a diagnostiqué un cancer du sein””

Des épreuves, Virginie en a traversées. Un an après avoir perdu son bébé à 8 mois de grossesse, on lui diagnostique un cancer du sein très agressif. Sans filtre, elle nous raconte la maternité, le deuil et la maladie. Son histoire, comme une ode à la résilience, invite aussi à embrasser sa vulnérabilité.

«J’ai rencontré Jean-Louis, mon homme, grâce à ma sœur. C’était un ami de son mari. Avant qu’on ne se voit pour la première fois, il avait déjà logé chez moi. J’étais partie marcher au Portugal, mon appartement était vide. Il habitait à Londres, il était de passage en Belgique et cherchait un endroit où loger. Je me suis demandé quelle première impression il avait dû avoir de moi car j’avais laissé un plat de spaghettis pourris au frigo. Un an plus tard, ma sœur nous conviait tous les 2 à des vacances entre amis. Quand je l’ai aperçu, quelque chose s’est immédiatement passé entre nous. J’étais un peu timide au début et puis, finalement, on est sortis ensemble. J’avais 27 ans. Il a déménagé à Bruxelles. On s’est découverts au quotidien. Il y a eu des moments de doute, mais on a continué à avancer, main dans la main. Depuis toujours, je rêvais de trouver l’homme de ma vie, pas de me marier, ni même d’avoir des enfants. Jean-Louis m’a fait changer d’avis.

La première grossesse

Du moins, à propos des enfants. C’est quelqu’un de créatif, de patient, un amoureux de la vie. Je savais que la maternité me bousculerait, mais qu’il serait là. Avant de lancer le projet bébé, nous en avons beaucoup discuté. Je me souviens que je le réveillais parfois la nuit pour lui demander ce que cela signifiait réellement pour lui d’être père. Jusqu’à ce que je sente ce désir d’enfant naître chez chacun d’entre nous. Je suis tombée enceinte et cette première grossesse a été un rêve. Je travaillais beaucoup. J’ai voyagé en Inde, au Vietnam, en Sicile, à Malte. L’accouchement a été costaud, par contre. Je voulais absolument accoucher à la maison avec une sage-femme. Mais mes contractions étaient inefficaces et j’ai dû être emmenée à l’hôpital où on m’a posé une péridurale. Céleste est née. Elle a posé ses grands yeux noirs sur moi et j’étais bouleversée. Je me suis demandé ce que j’allais faire de ce petit être. Autour de moi, j’avais l’impression que toutes les femmes étaient mères naturellement, Jean-Louis était à fond dans sa paternité tandis que moi, j’ai été troublée par l’arrivée de cette petite fille qui demandait que je sois là pour elle 24 heures sur 24. L’amour était là, mais j’avais parfois l’impression qu’on me vidait de l’intérieur. Pourtant, j’ai ressenti le besoin immédiat de retomber enceinte.

Le post-partum compliqué

J’ai eu la chance de vivre une deuxième grossesse très facile. J’étais peut-être un peu plus fatiguée, car déjà maman d’une petite fille, mais j’avais changé job, j’étais plus disponible et j’ai été beaucoup aidée. Je voulais un deuxième accouchement physiologique. J’étais à l’hôpital, accompagnée par ma sage-femme et une kiné, qui m’a massée. Je suis restée 9 heures dans le bain. Peu avant la poussée, j’ai pris peur, je me suis mise à vomir. On m’a finalement posé une péridurale et, tant mieux, car j’ai donné naissance à un bébé de 4,6 kilos. Jean-Louis était très impliqué. C’est lui qui a sorti le bébé. Il était tout beau, très tactile. J’ai tout de suite senti qu’il aurait une personnalité très différente de celle de Céleste. Heureusement que Félicien était un petit garçon aussi souriant, car ce post-partum a été plus compliqué. Céleste avait contracté le rotavirus, qu’elle nous a transmis à tous. Jean-Louis était très malade, à tel point qu’on a demandé à ma mère de venir dormir chez nous pour nous aider.

Une nuit, il est tombé dans les pommes. J’ai cru qu’il était mort. Et je me suis mise à le détester. Car je l’aimais tellement fort. J’ai compris que s’il partait, je ne m’en remettrais jamais.

Peu de temps après, la mère de Jean-Louis est décédée des suites d’un cancer. Et lui, déboussolé, il a fait un grave accident de moto qui lui a valu d’avoir les 2 bras dans le plâtre pendant des mois. De mon côté, j’avais de plus en plus mal à la jambe gauche, mais j’attribuais cela au manque de sport, aux mauvaises positions que je prenais avec bébé. J’ai tout de même été consulter et on m’a trouvé une tumeur bénigne. J’ai eu peur de perdre l’usage de ma jambe, de rester paralysée. J’ai été opérée, j’ai dû réapprendre à marcher, la douleur neurologique était atroce. J’avais l’impression de mourir, d’être un buisson ardent. J’ai dû rester alitée 6 semaines avec 2 enfants en bas âge.

La fausse couche

Ce post-partum ayant été très sportif, l’envie de retomber enceinte une troisième fois n’est arrivée que plus tard. Jean-Louis rêvait d’une famille nombreuse. Il voulait au moins 4 enfants car il avait souffert d’être enfant unique. Moi aussi, j’avais envie de fonder notre tribu. Et 2 ans après la naissance de Félicien, je suis donc retombée enceinte. Le début de grossesse se passait bien. Nous sommes partis en vacances en Italie avec ma sœur et ses enfants alors que j’étais enceinte de 4 mois. Un jour, je vais aux toilettes et je vois du sang. J’appelle mon gynécologue qui me dit de foncer à l’hôpital le plus proche parce qu’il pense que je fais une fausse couche tardive. Je me retrouve dans une clinique, au milieu de nulle part, où l’on ne parle pas ma langue et où l’on me confirme que j’ai perdu mon bébé et qu’il va falloir me faire un curetage. J’étais sous le choc, traumatisée. Je crois que ma sœur n’a pas réalisé à quel point.

Quand on a eu 2 premières grossesses faciles, on n’imagine pas que les choses puissent se compliquer, qu’avoir des enfants en bonne santé, cela reste un miracle.

Autour de moi, j’ai eu le sentiment que perdre un enfant à 4 mois de grossesse, c’était anecdotique, que tout le monde s’en fichait un peu. La fausse couche est une épreuve importante pour une femme qu’on a trop tendance à banaliser. J’ai dû gérer ce qui venait de se passer. Je restais sur ce désir de grossesse inassouvi, mais je n’ai pas voulu retomber enceinte tout de suite. Je me suis dit que, finalement, on n’aurait peut-être pas de troisième enfant.

Le choc

Jusqu’à ce qu’on se décide de remettre le projet bébé en route. Quand je suis tombée enceinte d’Eloïse, je n’avais pas aucune appréhension. Je venais de faire une fausse couche. Je me suis dit que la foudre n’allait pas tomber 2 fois au même endroit. Jusqu’à l’échographie du deuxième trimestre, quand le gynécologue nous a annoncé que notre bébé n’avait qu’un seul rein. Ce qui a réveillé des choses chez moi car mon amoureux d’enfance avait, lui aussi, des problèmes de rein. Il avait dû subir une greffe, être traité en dialyse… J’en ai parlé à la femme de mon cousin, qui est gynécologue, le soir de Noël. Je lui ai dit que j’étais inquiète, mais que les médecins étaient rassurants. Elle m’a tout de même invitée à vérifier que ce rein manquant ne soit pas dû à une anomalie génétique. Jusqu’ici, les tests n’avaient rien révélé de tel mais, sur ses conseils, nous avons tout de même décidé de réaliser une amniocentèse (un examen médical au cours duquel on prélève une partie du liquide amniotique dans le ventre de la mère pour exclure tout risque d’anomalie génétique ou chromosomique, ndlr). L’hôpital m’a appelé quelques semaines plus tard pour me dire que les résultats étaient rassurants, bien qu’incomplets. Le lendemain matin, on m’envoyait un message pour me dire de me rendre à l’hôpital le plus vite possible. Pour m’annoncer que ma fille souffrait d’une maladie chromosomique rarissime. J’ai écrit à des laboratoires en Chine et en Inde, où il est possible de faire des tests ADN plus poussés. On a enchaîné les examens pour déterminer si cet enfant était viable ou non. Les médecins n’étaient jamais d’accord lors des échographies. Certains affirmaient qu’il lui manquait des vertèbres, d’autres les voyaient. On m’a finalement fait passer un scanner qui a révélé qu’Eloïse n’avait pas d’anus.

La décision

Les médecins nous ont convoqués et se sont prononcés en faveur de l’IMG (interruption médicale de grossesse, ndlr) que nous étions en droit de refuser. Ils nous ont expliqué que la vie d’Eloïse ne serait que souffrance. Je ne voulais pas y croire. Je voulais l’aimer, l’aider, j’espérais que, peut-être, elle ne souffrirait pas tant que ça. Puis, je me suis rappelée la douleur que j’avais ressentie, après la naissance de Félicien à cause de ma tumeur, je ne voulais pas de ça pour ma fille. Nous avons donc finalement accepté l’IMG. Je me souviens, le jour avant l’opération, j’étais assise dans le salon avec mes enfants qui dessinaient pour Eloïse. Mon père était là. Et moi, j’ai réalisé que j’avais rendez-vous avec la mort de ma fille. Ce qui peut faire basculer une mère dans la folie.

J’étais à 8 mois de grossesse. Je sentais mon enfant bouger dans mon ventre qui était énorme. Je suis arrivée à l’hôpital et on m’a installée sur un brancard

On m’a injecté un produit pour éteindre son cœur et puis on m’a donné des médicaments pour déclencher le travail. Mon col ne se dilatait pas et j’ai eu des contractions pendant 2 jours. J’ai finalement eu une césarienne sous anesthésie générale. J’étais obsédée par le fait qu’il y ait eu une erreur médicale, qu’on découvre à la naissance qu’elle avait, en fait, un anus. Quand j’étais en salle de réveil, Jean-Louis s’est occupé d’elle avec les médecins, ils l’ont habillée. Quand j’ai ouvert les yeux, il m’a confirmé qu’elle n’avait pas d’anus. On me l’a mise dans les bras et je me suis mise à pousser des cris d’animaux. Sa peau était un peu abîmée car elle était restée dans mon ventre, sans vie, depuis 2 jours. Il y avait un peu de sang. Mais elle était tellement jolie. Ce qui m’a beaucoup perturbée, c’est que j’avais l’impression d’avoir un bébé ‘normal’, dans les bras. On ne distinguait aucun signe de sa maladie. Elle était parfaite. Et puis, ils l’ont provisoirement mise dans une boîte en carton. J’étais dévastée.

L’au revoir

Je suis restée à la maternité pendant 3 jours, au même étage que ces mamans qui réconfortaient leurs bébés vivants qui criaient à pleins poumons dans leurs bras. Mes seins, prêts à exploser de lait, me ramenaient à la douleur. Le croque-mort est devenu mon meilleur ami, il m’amenait Eloïse pour que je puisse la bercer, prendre des photos. Il l’embaumait, il disait d’elle qu’elle était la plus jolie des princesses. Jusqu’au jour où je n’ai plus senti sa présence et me suis sentie prête à la laisser partir. J’ai dû rentrer chez moi, sans mon bébé. Mon fils a insisté pour qu’on l’enterre alors que je pensais plutôt l’incinérer. Il voulait qu’elle ait sa tombe, pour qu’on puisse s’y recueillir, qu’on organise une messe, où l’on chante avec nos proches. Pendant la messe, j’ai hurlé de douleur, comme si j’étais possédée.

Le deuil

Je ne souhaite à personne de vivre ça. Même s’il y a eu des moments de grâce, des mots qui m’ont apaisée, des personnes qui m’ont accompagnée. Chacun de nous a fait son deuil à son rythme. Pour moi, cette épreuve a été un  tsunami émotionnel. Les émotions étaient tellement dures que je me mettais en mode ‘survie’. Tu avances, parce que tu n’as pas le choix. Tu essayes de ramener de la vie dans ton foyer parce que tu as 2 autres enfants. Je suis retournée travailler après mon congé de maternité. Il était sans doute trop tôt.  Je ne me suis pas sentie comprise. J’ai senti que c’était la fin de quelque chose et j’ai entrepris des études de psychologie (Virginie pratique aujourd’hui le Walk & Talk, des séances de thérapie réalisées en marchant dans la nature plutôt qu’en cabinet, ndlr). Animer des groupes de parole sur le deuil m’a aussi beaucoup aidée.

Le diagnostic

Un an après le décès d’Eloïse, je me suis rendue à l’hôpital pour une échographie de contrôle. Quelque chose clochait. J’ai appelé Jean-Louis et je lui ai dit: ‘J’en suis sûre, j’ai un cancer du sein’. On m’a confirmé le diagnostic assez rapidement: la tumeur était très agressive et il fallait commencer la chimiothérapie tout de suite. Quand je l’ai annoncé à mes enfants – ce que je n’ai pas réussi à faire tout de suite -, mon fils m’a demandé si j’allais mourir. Je lui ai dit que j’allais tout faire, et les médecins aussi, pour vivre.

Quand j’ai commencé à perdre mes cheveux, il s’est fait harceler par des camarades de son âge, qui lui disaient que sa mère était moche.

Alors, ma fille m’a interdit de venir la chercher à l’école pour éviter de subir les mêmes moqueries. J’ai décidé de me concentrer sur ma guérison. J’ai acheté une paire de baskets et je me suis mise à marcher tous les jours. Parce que la vie, c’est le mouvement. Je me suis sentie propulsée, régénérée par la terre. Et, c’est à ce moment-là que j’ai appris à connaître Jessica Hilltout, qui est photographe, et qui m’a proposé d’immortaliser mon combat contre la maladie (lire ci-contre, ndlr). Dans son regard, je me sentais sexy et je ne portais jamais ma perruque.

La guérison

Après la chimiothérapie, j’ai dû me faire opérer 2 fois mais j’ai pu garder ma poitrine. J’ai des cicatrices, oui. Mais je les considère comme les tatouages de mes expériences de vie. Ces épreuves qui m’ont appris à être une guerrière, mais surtout à m’accepter dans ma vulnérabilité. Aujourd’hui, je suis en rémission. J’ai peur de la récidive. Je me dis que je vis avec la mort sur mon épaule. Cela fait aussi 5 ans qu’on a posé mon bébé décédé dans mes bras et mon corps se souvient encore. Je la pleure toujours, parler d’elle me rend encore très émotive. Quant à l’envie d’un jour à nouveau enfanter, j’ai fait une croix dessus. J’ai tiré un trait sur ma tribu après la naissance d’Eloïse. Ma tête et mon corps savent que je n’aurai plus d’enfant. Je suis en ménopause à cause de l’hormonothérapie. Mon cœur, lui, doit encore s’y résoudre. Car, la maternité me remplit. Même si être mère est un métier que j’apprends encore chaque jour, que je dois parfois encore trouver ma juste place, mes enfants et Jean-Louis emplissent ma vie de joie.»

Infos: virginiesamyn.com

Une exposition pour honorer la souffrance

Pendant un an, la photographe Jessica Hilltout a suivi Virginie Samyn alors qu’elle se battait contre un cancer du sein afin d’immortaliser son courage et sa vitalité dans des moments sombres, qu’ensemble, elles ont su rendre lumineux. Dans la galerie d’Esther Verhaeghe, à Ixelles, seront exposés jusqu’au 28 mars prochain, 12 clichés poignants et les mots qui les ont inspirés. «J’ai toujours été fascinée par la force humaine face à des situations difficiles, nous confie Jessica. La société met en avant les succès, les bonheurs, mais je pense qu’il faut aussi honorer la souffrance, la fragilité. Le but de mes photos est de susciter de l’émotion qui amène au partage afin de vous prouver que vous n’êtes pas seuls.» Parce que la douleur fait partie intégrante de la vie et qu’elle nous rend profondément humain·e·s, Jessica réalise aussi des séances photos pour les particuliers qui souhaitent ne jamais oublier les écueils de leur existence.

A Tapestry of Shared Journeys , exposition de Jessica Hilltout et Virginie Samyn. Jusqu’au 28/3 au sein de la galerie d’Esther Verhaeghe – Art concepts (Avenue Guillaume Macau 3, 1050 Bruxelles). Ouvert les vendredis & samedis de 14h30 à 18h ou sur rendez-vous (0487/39.40.29)  Infos: estherverhaeghe.com et jessicahilltout.com

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