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burn out social
© Getty Images

À CŒUR OUVERT: ““J’ai fait burn out social””

La rédaction

Votre cœur s’accélère au moment de recevoir un énième vocal d’une amie à écouter, vous avez de plus en plus envie d’annuler vos mondanités pour rester vautrée dans votre canapé? Vous êtes peut-être en burn out social, comme notre journaliste.

Depuis toujours, j’ai mis un point d’honneur à entretenir mes amitiés, et sans paraître présomptueuse, les efforts payent: j’ai une trentaine d’années, plus d’amies que mes doigts (de pied compris) ne peuvent le compter et un agenda à faire pâlir une ministre. Pour vous donner une idée, mon prochain week-end libre sera au mois d’août. Et je peux comptabiliser jusqu’à 8 ou 9 activités sociales par semaine. Ajoutez à ça des vocaux — que dis-je des podcasts — de copines à écouter quotidiennement, des coups de téléphone, des invitations pour des ciné/resto/vacances en tout genres. Ne vous méprenez pas: j’adore ça! Ça a même longtemps été — et on touche peut-être déjà à un point du problème — une fierté, une manière pour moi de me sentir à ma place, et valorisée. Quoi de plus flatteur finalement que d’être la première personne qu’une amie pense à appeler en cas de coup dur ou d’envie de festoyer?

Fatigue émotionnelle

Mais cela fait quelques mois que je ressens un trop-plein et une fatigue qui n’a rien de physique. C’est là-haut que ça se passe: il m’arrive de plus en plus qu’une angoisse incontrôlable monte en moi lorsque mon téléphone voit apparaître un nouveau message, un nouveau ‘voice’ à écouter, ou encore une nouvelle sollicitation de rendez-vous à caser dans mon agenda aussi chargé qu’un métro parisien à l’heure de pointe. Bizarre, non? Pas tant que ça: même si  l’organisation mondiale de la santé ne reconnaît le syndrome du burn out que dans un cadre professionnel, de nombreuses personnes se sentent épuisées à force de s’investir dans leurs relations sociales, ainsi que l’exprime Catherine De Geynst, psychologue et psychothérapeute: «Il est très rare qu’une sensation de surmenage ne trouve sa source uniquement dans le social. Quand une personne est épuisée, l’épuisement est souvent plus profond et mélange des aspects professionnels et personnels plus globaux. Et l’âge joue aussi un rôle: en grandissant, nous accumulons de plus en plus de responsabilités: on nous demande d’être une bonne mère, d’avoir un super job, d’avoir plein d’amis, de faire du sport… La notion de surcharge devient importante. Et les réseaux sociaux ne nous facilitent pas le droit à la déconnexion.» Si j’y réfléchis, c’est assez juste: à côté de ces sollicitations personnelles, force est de constater que j’ai un travail très prenant, des passions que j’essaye d’entretenir à côté, un amoureux et un adorable chien (c’est du travail aussi!). Il se pourrait donc que cette sensation de surmenage ne soit pas uniquement sociale. Reste que pour le moment, c’est là-dessus que se cristallise ma fragilité…

Il se peut que cette sensation de surmenage ne soit pas uniquement sociale, mais pour le moment, c’est là-dessus que se cristallise ma fragilité.

Une vie à faire semblant

Mais pourquoi cette sensation désagréable s’est-elle mise à grandir en moi du jour au lendemain? «Lorsqu’il y a burn out, il y a généralement la remise en cause d’un fonctionnement qui, auparavant, faisait ses preuves, mais aujourd’hui n’apporte plus les mêmes bénéfices, n’est plus aussi efficace, que ce soit en termes de mécanisme de défense, de rapport aux autres…», exprime Catherine De Geynst. «Une personne qui a toujours semblé extravertie peut, en fait, avoir passé sa vie à compenser son introversion. Idem pour celles qui ont toujours rendu service aux autres, sans penser à elles-mêmes, dans un but de correspondre à ce qu’elles perçoivent comme étant des attentes de l’autre.» Selon la spécialiste, nous développons tous et toutes des croyances liées aux attentes que nous percevons de la part de nos parents ou de notre entourage en grandissant et ce, même si elles n’ont jamais été verbalisées clairement. On peut par exemple, avoir adopté dès notre enfance le rôle d’une oreille attentive pour une maman en difficulté, ou celui d’une mini-maman vis-à-vis de nos sœurs cadettes. À l’âge adulte, on continue alors à perpétuer ce rôle, imaginant ne pouvoir être aimé·e qu’en agissant de cette manière. Jusqu’à l’implosion… «À un moment donné, ces personnes ont tellement développé un phénomène de compensation toute leur vie, qu’elles se retrouvent vidées de toute leur énergie, sans comprendre nécessairement pourquoi»,  explique la spécialiste.

Introspection, bonjour!

J’ai donc essayé de comprendre la source de ce tout nouveau mal-être. Si je parviens à m’analyser sans filtre, je dois bien avouer qu’une petite voix me susurre toujours que ne pas être là pour mes proches en permanence revient à risquer de, au mieux les décevoir et au pire de les perdre. Comme si ma valeur résidait dans… ma disponibilité! Et c’est tout ça le problème: les personnes qui souffrent de burn out social perçoivent en général leur valeur en tant qu’individu de manière biaisée. Marie Schmitz, psychothérapeute: «C’est tout un travail de thérapie de comprendre que notre valeur ne réside pas uniquement dans certaines de nos qualités. La peur d’être rejetée est humaine: si, plus jeune, vous vous êtes rendu compte qu’en étant là pour les autres, vous preniez de la valeur à leurs yeux, qu’en faisant la fête, on vous adorait ou qu’en rendant des services, on vous aimait, vous avez enregistré ce mécanisme pour toutes vos relations.» Et à Catherine De Geynst de compléter: «Les personnes qui ont peur du conflit vont aussi être plus sujettes à cet épuisement social: elles n’oseront pas exprimer leurs émotions ni leurs ressentis, en considérant que les émotions négatives pourraient amener à un rejet. Cela peut venir d’un contexte familial où le conflit était associé à de la violence, de la disqualification ou du silence. Dans ce cas-là, le désaccord n’est jamais synonyme de construction, alors que le conflit est nécessaire dans n’importe quelle relation.»

Les personnes qui ont peur du conflit vont aussi être plus sujettes à cet épuisement social: elles n’oseront pas exprimer leurs émotions ni leurs ressentis.

Une trop grande disponibilité

Alors oui, répondre présent à toute heure du jour et de la nuit, ne jamais dire non à rien, ou se plier en quatre pour les autres, c’est prendre le risque de s’épuiser. Physiquement et mentalement. Mais ce n’est pas tout, ainsi que l’explique Marie Schmitz, psychothérapeute: «Ce mécanisme de disponibilité quasi permanente comporte des risques: celui de devenir objet. Lorsqu’on répond à tous les desiderata de l’autre et que l’on ne fixe pas ses limites, l’autre en question peut finir par ne plus nous considérer comme un être humain, avec des émotions et des limites donc, mais comme un objet. Un objet sur lequel se déverser. Le risque, c’est que si on ne se rend un jour plus disponible, notre interlocuteur risque de ne pas comprendre que vous ne remplissiez plus cette fonction et exprimer de la colère.» Ah, les limites, vastes sujets! C’est bien mon incapacité à en poser qui me met dans des situations désagréables. D’autant plus que poser ses limites s’associe parfois, et même souvent à un deuil. Marie Schmitz: «Il y a un risque que des amitiés ne fonctionnent plus une fois les limites posées. Mais de l’autre côté, poser ses limites permet de comprendre et de constater que certaines amitiés ne sont pas basées sur la disponibilité, par exemple. Cela permet alors de valoriser la personne dans ses autres compétences et traits de sa personnalité. En d’autres termes, mettre des limites permet de faire un tri assez sain et parfois même de valoriser l’image de soi.»

Questionner son désir

Mais heureusement, ainsi que l’indique Catherine De Geynst, «Toute crise est positive. Les mécanismes qui fonctionnaient avant ne sont plus efficaces et trop énergivores, c’est donc une opportunité de remanier sa manière d’être au monde et aux autres, pour un mieux-être.» Mais comment m’y prendre dès lors pour sortir de cette phase de surmenage? «C’est là que la reconnexion à soi intervient», explique Catherine De Geynst. «Parvenir à détecter les signes de fatigue mentale est déjà un début (et le corps se manifeste en général pour nous y aider). S’arrêter et se demander comment je me sens après ce dîner, par exemple, quelle activité m’a nourrie cette semaine? Qu’est-ce qui, au contraire, m’a pris de l’énergie? Apprendre à s’écouter est à la base de toute guérison.» La psychologue recommande aussi d’apprendre à se connaître pour sonder ses envies véritables: «Il est possible que vous ayez l’impression d’avoir envie de faire telle ou telle activité, mais que cette envie soit motivée par la peur d’être seule, ou encore, la peur de manquer quelque chose (le fomo). Vous avez peut-être l’impression que vous devez en être, sinon vous n’existez pas. Mais s’il s’agissait d’un désir véritable, il y a moins de chance que l’exécuter vous mette par terre.»

Sortir de la culpabilité

Et à Catherine De Geynst de continuer: «Enfin, s’écouter revient à ne pas vous forcer si vous n’avez pas envie de vous rendre quelque part, par exemple. Il convient de progressivement laisser parler cette petite voix qui vous dit que vous avez besoin de repos, car si vous ne l’écoutez pas, votre corps risque de faire le choix pour vous. C’est difficile de dire non, mais c’est aussi indispensable.» Sur base de ces conseils, et d’autres, de ma propre thérapeute, j’ai entrepris depuis quelques semaines quelques démarches pour aller mieux. J’ai expliqué à quelques amies proches ma situation. Je dis parfois: «Je suis fatiguée, je te répondrai plus tard.» C’est encore parfois difficile, mais je parviens petit à petit à ne pas répondre à certains messages avant le lendemain, voire le surlendemain. Au niveau de mon agenda, j’essaye de ne plus rien proposer par moi-même et de refuser quelques invitations, avec, comme curseur, l’écoute de mon corps. Il m’est encore difficile de ne pas ressentir une grande culpabilité en refusant une invitation, et de ne pas m’imaginer être la pire des amies. Je sens qu’il me faudra un certain temps avant de changer complètement ces habitudes que j’ai développées depuis des années. Mais je ressens que c’est désormais primordial si je veux me respecter et, par effet ricochet, si je veux avoir de l’énergie à donner à ceux qui comptent vraiment.

Les signaux qui doivent alerter

  • Vous êtes dans l’anticipation et redoutez, à l’avance, de devoir répondre à des messages, vous rendre à un rendez-vous avec des ami·e·s ou encore recevoir des invitations.
  • Vous avez l’impression que vous n’avez plus de contrôle sur votre emploi du temps et que ce sont les autres qui gèrent votre temps.
  • Vous devenez irritable et commencez à avoir des réactions disproportionnées.
  • Vous sentez qu’il n’y a pas de réciprocité: vous êtes tout le temps disponible pour les autres, mais les autres en question ne sont pas disponibles quand vous rencontrez une difficulté.
  • Vous vous forcez à faire des activités avec des ami·e·s pour la simple et bonne raison que vous avez peur de mettre fin à une amitié. Vous le faites pour faire plaisir à l’autre et pour soulager votre propre crainte. Cela devient comme un job non rémunéré.

Comprendre son fonctionnement social

Les conseils de Marie Schmitz, psychothérapeute, pour entreprendre un travail sur son fonctionnement social

• Observez la situation et posez-vous les bonnes questions. Qu’attendez-vous de vos amitiés? Qu’auriez-vous besoin de retrouver comme sensation? Qu’est-ce qui vous oppresse dans la situation: est-ce de recevoir des messages tous les jours? De rogner dans votre temps personnel pour voir des amis? Est-ce que je me retrouve dans mes amitiés? L’égalité parfaite n’existe pas, mais vous avez sans doute besoin de réciprocité. Essayez de cerner les moments où vous êtes sous tension.

• Une fois que vous avez pu cerner ce qui vous mettait en difficulté, prenez le temps de réfléchir à ce qui vous ferait du bien, autrement dit, à vos besoins. Ne pas répondre tout de suite aux messages? Qu’est-ce qui vous bloque, dès lors, à le faire? Quelle est la crainte qui se cache derrière?

• Une fois que vous aurez nommé vos besoins, vous pourrez petit à petit poser vos limites pour y accéder, en sachant qu’inévitablement, cette mise en place de limite pourra s’accompagner de deuils comme de bonnes surprises. Il faut être prêt à ça.»

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