À COEUR OUVERT: ““J’ai subi une mastectomie préventive””
Nele est porteuse d’un gène héréditaire augmentant les risques de développer un cancer du sein. C’est pourquoi elle a décidé de subir une mastectomie préventive suivi d’une reconstruction. Un parcours de vie sur lequel elle se confie avec sincérité et résilience.
“Qu’est-ce que tu vas faire pour tes seins?” Cette question, mes sœurs me l’ont posée à de nombreuses reprises ces dernières années. À chaque fois, je me fendais d’un sourire et leur présentais diverses options: je pourrais replier mon bonnet D affaissé dans un soutien-gorge rembourré, draper ma poitrine autour de mon cou comme une écharpe ou juste poser mes seins sur la housse de la poussette durant les promenades. Une réponse un peu exagérée et sur le ton de l’humour, mais qui ne correspondait jamais vraiment à ce dont elles voulaient parler.
Il y a une dizaine d’années, après un test génétique, mes deux sœurs et moi avons appris que nous étions toutes les trois porteuses d’un gène héréditaire augmentant considérablement le risque de cancer du sein. Nous ne pouvions éluder le problème, sachant qu’aujourd’hui une femme sur sept est touchée par ce cancer et qu’en raison de la génétique, nous risquions toutes les trois d’être cette femme-là.
Mes sœurs ont directement pris la décision de recourir à une mastectomie préventive et à une reconstruction. Moi pas. Même si, à ce moment-là, je ne pouvais pas vraiment expliquer pourquoi je ne les suivais pas. Est-ce que je refusais l’idée tout simplement? Ou est-ce que je ne me sentais pas – encore – prête? Est-ce que j’attendais que le diagnostic tombe pour agir?
Et puis, lorsqu’on m’a reposé cette question, l’été dernier, j’ai finalement compris. Je n’avais pas accepté à l’époque, car je n’avais pas encore d’enfant. Cela peut sembler dur mais je me rassurais en me disant que je serais la seule à en souffrir si je devais développer un cancer du sein. Mais entre-temps, je suis devenue maman, tout comme mes sœurs, qui, elles, l’étaient déjà à ce moment-là. En tant que mère, je ne peux même pas espérer une demi-heure de tranquillité si j’ai un rhume, et encore moins rester sans travail durant une longue période à cause d’une maladie grave. Ou pire. Mon cœur se brise en pensant à tou·te·s ceux·celles qui doivent vivre cela.
Chaque jour, je prends mes responsabilités et mes décisions en fonction de mon rôle de maman. Et je sens aujourd’hui que je dois faire pareil pour ma santé. Peut-être même d’autant plus. Si je peux nous épargner un peu de douleur, je le ferai. Après une discussion courte et claire avec mon compagnon, toujours compréhensif et soutenant, ma décision est prise. Et je peux enfin donner à mes sœurs une réponse différente: “Je vais réaliser une ablation mammaire bilatérale suivie d’une reconstruction.”
Cette décision et le processus qui l’accompagne m’appartiennent. C’est pourquoi tout le monde ne fait pas le même choix que le mien. Et ce n’est pas forcément nécessaire. De mon côté, je pose cet acte, car j’en suis arrivée à un point de ma vie où je refuse de prendre tout risque inutile. Les calculs de probabilité sont rarement en ma faveur, donc à chaque étape, je serai reconnaissante si le constat peut rester le même: celui d’être en bonne santé et en mesure de décider de ce qui arrive à mon corps. Cela rendrait la situation bien plus facile.
Pas d’adieux
Je me tiens, poitrine nue, devant le chirurgien qui va m’opérer, alors qu’il examine mes seins d’un air dubitatif et les palpe légèrement. “On va aussi un peu remonter tout ça non?”, conclut-il. J’acquiesce, même pas vexée. Compte tenu de l’état de mes seins, un lifting mammaire ne serait pas un luxe. J’opte pour une reconstruction avec mes propres tissus, dite reconstruction par lambeau ou DIEP, consistant à utiliser les tissus de l’abdomen pour reconstruire les seins. Un processus qui prendra neuf heures. Les mamelons seront reconstruits plus tard, eux aussi étant retirés. Et on m’explique que j’aurai des seins plus petits car il n’y a pas énormément de graisse abdominale disponible. Cela ne me pose pas de souci, bien au contraire. Je sais déjà par les femmes qui m’ont précédé pour ce type d’opération, que l’on va m’ouvrir de la hanche gauche à la hanche droite, me laissant une imposante cicatrice. Je me dis que c’est dommage, mais rien de plus. Et puis, alors que la date d’opération est fixée et que le chirurgien me dit au revoir et “à bientôt”, un sentiment d’effroi s’empare soudain de moi. Maintenant, cela devient réel. Je vais le faire, même si je ne sais pas réellement ce que ça impliquera. Ni physiquement, ni mentalement. Et c’est ce dernier point qui me fait particulièrement peur.
Quelques jours avant l’opération, je fixe mon reflet dans le miroir plus longuement que d’habitude. Je regarde mes seins et me demande si je devrais faire quelque chose avec eux ou pour eux, maintenant. Dois-je trouver un moyen pour me rappeler d’eux une fois qu’ils auront disparu? Je les observe à travers l’objectif de mon smartphone, mais n’ose pas prendre de photos. Ce n’est qu’une fois habillée que j’en réalise une. Mais cela fait trop posé, c’est un peu gênant. Et ça ne change rien pour mes seins. Et ne compte ni comme souvenir, ni comme adieu.
Je sais que d’autres femmes dans ma situation réservent une séance avec un photographe professionnel ou réalisent un moulage du haut de leur corps. Mais personnellement, je n’ai rien fait de tel pour mes grossesses, qui pourtant ont changé mon corps de manière irréversible. Les plus beaux souvenirs de ces neufs mois demeurent uniquement dans ma tête. Il ne m’appartient donc pas maintenant, consciemment, de créer des souvenirs de cette poitrine. Cela peut fonctionner pour d’autres et j’applaudis alors la démarche, mais dans mon cas, cela semblerait trop forcé. Je ne le sens pas.
Mais alors, comment? En parcourant les photos sur mon smartphone, j’en cherche qui auraient été prises accidentellement mais correspondraient à ce dont j’ai besoin: une image de celle que j’étais avant ou de celle que je suis. Le corps en constante évolution, tout comme moi. Je finis par trouver un cliché de ma fille aînée encore bébé, alors qu’elle venait de téter. Elle me regarde attentivement, posant la tête sur mon sein, avec confiance. Et on peut dire qu’elle avait toute la place pour, avec le bonnet F que j’arborais alors. Le sentiment que je ressentais alors m’envahit à nouveau. La gratitude. C’est avec cette image et cette émotion intense que je désire me souvenir de mes seins.
Alors que la date d’opération est fixée et que le chirurgien me dit au revoir et “à bientôt”, un sentiment d’effroi s’empare soudain de moi. Maintenant, cela devient réel.
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Ne pleure pas, réjouis-toi en pensant à l’avenir
Le matin de l’opération, je prends une douche en conscience et me lave les cheveux, car je sais que je serai bloquée dans un lit d’hôpital durant les jours à venir, à la merci du lavage à la main et du shampooing sec. Je dois me dépêcher car sinon nous arriverons en retard à la clinique. Mais j’hésite quand vient le moment d’enfiler mon pull au dessus de mon soutien-gorge. Et si je prenais rapidement une photo? Pas forcément pour ma poitrine mais pour mes grains de beauté, car un morceau de la peau de mon ventre va disparaître et le reste se trouvera un peu étiré pour combler l’espace. Et ces grains de beauté vont forcément descendre de quelques centimètres. Je veux pouvoir les redécouvrir à leur vraie place plus tard. J’essaye de ne pas trop prêter attention à mes seins. Ils sont de toute façon déjà partis. Je garde même mon soutien-gorge devant l’objectif. Je ne veux pas pleurer sur ce qui est fait, mais regarder vers l’avant, avec impatience. La tête et la poitrine haute.
À l’hôpital, je fais l’erreur classique de porter ma blouse avec les boutons à l’avant plutôt que dans le dos. Avant que les infirmières me le fassent discrètement remarquer, j’ai laissé mon compagnon prendre rapidement quelques photos. Je plaisante, les seins cachés dans mes mains, peut-être un peu plus à l’aise qu’en temps normal grâce à un calmant. Je suis impatiente que cela commence. Je suis prête désormais.
Je suis emmenée dans mon lit à travers les couloirs, jusqu’à la salle d’opération. J’y reçois plusieurs injections et intraveineuses et je demande ensuite au chirurgien s’il va manger son sandwich au-dessus de ma poitrine durant les neufs heures que va durer l’opération. Mais j’apprends qu’il prendra une petite pause-déjeuner en dehors de la salle.
Se réveiller suite à l’anesthésie est difficile et je panique. En sanglotant j’appelle mes enfants, tout comme les petits demandent après leur maman. Je m’inquiète pour eux et j’ai besoin d’être rassurée par les infirmières. Je leur demande aussi de me gratter le nez, car je suis incapable de bouger les bras. Après être restée immobile pendant de si longues heures, mes muscles sont apparement devenus raides et cette sensation est pire que la douleur dans mon ventre ou mes seins. Je ne souffre d’ailleurs pas, grâce à une dose bienvenue d’antidouleurs.
Je dois passer la nuit aux soins intensifs, où les infirmières viendront toutes les heures vérifier si la circulation sanguine dans mes seins est bonne. Sans celle-ci, les tissus déplacés mourraient et c’est tout sauf souhaitable après tellement d’efforts. Je ne réalise pas vraiment ce qui se passe et je ne vois pas encore ma poitrine ou mon ventre. Je survis à la nuit et, au matin, je suis ramenée dans ma chambre où mon compagnon m’attend. Planant à cause des médicaments, je lui fais signe que tout va bien et me rendors pendant un moment.
Se réveiller suite à l’anesthésie est difficile et je panique. En sanglotant j’appelle mes enfants, tout comme les petits demandent après leur maman.
Voir le beau dans la douleur
Plus tard, me voilà assise sur une chaise percée au milieu de ma chambre, avec mon amoureux près de moi. Il m’encourage alors que mon corps et ma tête ont apparemment oublié comment uriner, après le port d’une sonde vésicale. En vain. Je le laisse finalement me conduire aux toilettes, ayant enfilé mes bas de contention et revêtue d’une blouse d’hôpital ouverte dans le dos. Je marche courbée, car la peau du haut de mon corps me semble trop serrée et j’ai peur que la cicatrice abdominale courant de ma hanche gauche à la droite ne se rouvre et que mes nouveaux seins ne tombent au sol. Je suis effrayée à l’idée de perdre connaissance, de vomir ou de perdre le contrôle de moi-même. Et tout ce que je craignais se produit. Lors d’une deuxième tentative mon partenaire s’agenouille à nouveau devant moi pour m’aider comme si tout cela n’était pas compliqué pour lui. Il m’encourage encore. Cinq minutes plus tard, j’arrive enfin à uriner et il me regarde avec fierté. Parfois, il y a de la beauté, même dans la douleur et la souffrance. Je suis assise là, à pleurer sur ces toilettes et je ne me suis jamais sentie aussi impuissante et puissante tout à la fois. Sans défense et pourtant résiliente. C’est fait, c’est arrivé et je le réalise enfin. Et je prends aussi conscience que la dépendance actuelle me sera difficile à vivre.
Ce n’est que lorsqu’on vient changer mes pansements et me laver que j’aperçois mes seins. Ma première pensée? Ils ont l’air bien! Même mieux que lorsque j’avais 18 ans! Il n’y a plus de tétons mais ça sera arrangé plus tard. Je suis satisfaite, je pense. Mais ensuite mon ventre. Je demande à l’infirmière de prendre une photo de la plaie, car je ne peux pas la voir. Et en l’observant, j’ai l’impression que ce n’est pas moi que je regarde, mais quelqu’un qui aurait été coupé en deux par Chucky, avec une scie émoussée. La blessure est énorme et d’une certaine manière étrangement fascinante.
J’envoie directement des SMS à des amies en leur demandant si je peux leur transférer des photos de ma cicatrice. La partager est pour moi une manière de me familiariser avec elle et de réaliser qu’il s’agit bien de mon ventre. Que c’est vraiment moi. Que l’opération a eu lieu et que la période de guérison doit commencer. Après quelques jours, faire face à ces plaies est difficile, alors que je m’étais jusque-là arrangée pour les ignorer grâce aux pansements. La majorité du temps, j’ai encore trop de mal à regarder mon ventre recousu d’une extrémité à l’autre. Je reste dans le déni, plus facile que la phase d’acceptation. Ce que je ne vois pas n’existe pas. Mais ensuite, réaliser fait d’autant plus mal.
Beaucoup d’angoisse
Cinq jours après l’intervention, je peux rentrer chez moi. J’attends ce moment avec impatience, même si je le redoute également. Deux petits bouts y auront besoin de moi et ne comprendront s’en doute pas pourquoi je suis incapable de faire quoi que ce soit. Un lit a été placé dans le salon pour que je puisse y dormir, car je ne saurais pas encore monter les escaliers toute seule et qu’il me faut me reposer toute la nuit si possible, sans risquer d’être réveillée par l’un des enfants. J’ai peur de la fatigue, de la dépendance, d’être frustrée de vouloir faire beaucoup sans pouvoir me débrouiller par moi-même. J’ai des crises de panique et je n’arrive pas à m’apaiser. Je me rappelle des paroles de ma gynécologue, qui m’expliquait que l’opération serait difficile psychologiquement. À l’époque, je pensais qu’elle évoquait la disparition de mes seins et le fait que cela pourrait signifier pour moi l’impression de perdre ma féminité, mais ce n’était pas ça, je le réalise maintenant. Cette souffrance est différente pour chacune, mais pour moi, elle prend la forme de l’angoisse qui m’étreint. L’angoisse vis-à-vis de mes enfants, de mon compagnon et des soucis qu’ils peuvent avoir. Ce n’est qu’en dernier lieu que je m’inquiète pour moi. J’entends de toute part qu’il me faut me reposer mais personne ne m’explique comment faire avec deux bambins à la maison. Je préfèrerais rester au lit durant des jours, mais dès que je me réveille d’une sieste je culpabilise et tente de reprendre une vie normale. Ce qui ne fonctionne évidemment pas.
J’entends de toute part qu’il me faut me reposer mais personne ne m’explique comment faire avec deux bambins à la maison.
Durant les premières semaines après l’intervention, mon corps se rebelle à plusieurs reprises. Je veux en faire trop, arriver à trop et je suis frustrée quand ça ne marche pas. J’ai l’impression d’être plus fatiguée que jamais, et quand il s’avère que j’ai une carence en fer, je comprends qu’il y a aussi une cause médicale derrière ce sentiment. Cela me rassure un peu. Il ne s’agissait pas de mon état d’esprit, mais de celui de mon corps. Même si je sais que je dois tenter de rester positive et je pense aux petits smileys qu’une infirmière de l’hôpital avait dessiné sur mes bandages. Et ça va mieux. Petit à petit.
Soutien et reconnaissance
D’après la photo prise le matin de mon opération, je constate que mes grains de beauté sont désormais à côté de mon nombril au lieu d’être au-dessus de lui. Cela fait maintenant deux mois que l’intervention a eu lieu et tout se passe bien. Je n’ai aucune douleur, seulement une sensation d’engourdissement du ventre et des seins qui est parfois très désagréable. Mais elle devrait passer avec du temps et de la patience. Suivront aussi, dans un mois, une reconstruction des tétons et une liposuccion des cuisses. Ce sera un avantage parmi tous ces inconvénients et la graisse prélevée sera réinjectée dans les seins. Ensuite l’aréole pourra être tatouée et toutes les procédures médicales seront ainsi achevées. C’est un long parcours, rempli de hauts et de bas. Ce que j’en retiens pour le moment est d’avoir vécu tellement de belles choses durant cette expérience. J’ai pu raconter mon histoire dans les médias et j’ai reçu de nombreux messages d’autres femmes malades ou dans le même cas que moi. J’ai pu me confier et j’ai pu écouter. J’ai pu donner du soutien et de la bienveillance à d’autres, sans qu’ils·elles réalisent qu’ils·elles m’en offraient aussi en retour. Et tout cela, grâce à une paire de seins.
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