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douleur chronique
© Getty Images

À COEUR OUVERT: ““Je vis avec des douleurs chroniques depuis 8 ans””

Justine Rossius
Justine Rossius Journaliste

La douleur est invisible et complexe à mesurer mais comment l’affronter lorsqu’elle devient quotidienne et impacte votre qualité de vie? C’est la réalité de Margot, 33 ans, qui lutte depuis des années contre des souffrances insupportables, conséquence d’un SDRC (Syndrome douloureux régional complexe)

« Je suis mariée et heureuse avec mon époux Maxime ainsi que la plus fière des mamans de 3 garçons entre 2 et 11 ans. Dès le début de ma carrière, j’ai travaillé en tant qu’aide-soignante dans un centre de soins résidentiels, au sein d’un service accueillant des personnes atteintes de démence. Ce n’était pas un métier facile mais pour lequel j’étais faite et que j’exerçais avec tout mon cœur et mon âme. Au boulot, je ne restais pas en place et même à la maison, j’étais très active et ne me tournais jamais les pouces. Le mercredi j’avais choisi volontairement d’être en congé afin de passer du temps avec mes enfants. On allait nager et passer du temps au terrain de jeux, on faisait des crêpes ou on se baladait en forêt. J’étais prête à tout pour voir apparaître un grand sourire sur leur visage (et sur le mien).

J’étais une maman active et spontanée, capable de tout affronter. Du moins jusqu’à l’hiver 2014, où j’ai glissé sur les pierres lisses de notre terrasse et fait une terrible chute.

Avec pour conséquence une fracture ouverte du bras gauche, qui m’a forcée à subir une intervention chirurgicale. Cette première opération s’est déroulée sans heurts, même si la récupération s’annonçait longue. Mais, lors d’une des opérations ultérieures, tout a mal tourné et une sorte de cavité s’est formée entre mon bras et mon poignet, m’amenant d’autant plus de douleurs et de temps passé loin de chez moi. Tous les avis étaient formel: il n’y avait d’autre option que de poser une prothèse de poignet. Et j’étais d’accord.

Au début, cette décision a semblé payante. Pour la première fois depuis longtemps, toute douleur a disparu et je me sentais presque redevenue la Margot que j’étais avant l’accident. Malheureusement, ce bonheur fut de courte durée, car à peine un mois plus tard, je me suis retrouvée avec la main et les ongles bleus. À ce moment-là pourtant, aucune sonnette d’alarme ne s’est déclenchée dans mon esprit. J’étais persuadée que cette décoloration était due au fait de porter un plâtre depuis si longtemps. Jusqu’à la  consultation suivante. L’expression de ma chirurgienne en découvrant ma main en disait long. ‘Ce n’est vraiment pas bon’ a-t-elle déclaré.

Impossible de réussir si on n’essaye pas

Avant d’en être diagnostiquée, je n’avais jamais entendu parlé du SDRC, le Syndrome douloureux régional complexe. Mon médecin m’a expliqué que cette dysfonction nerveuse peut survenir dans un ou 2 membres, souvent suite à une intervention chirurgicale, un accident vasculaire cérébral ou une blessure, comme un coup ou une fracture. Mais elle demeurait positive, car dans 80 % des cas, celles et ceux confrontés à un SDRC voient la douleur disparaître d’elle-même ou grâce à de la physiothérapie intensive, associée à un mode de vie sain. Je n’ai pas paniqué, il y avait de l’espoir. Pourquoi aurais-je fait partie des 20 % malchanceux? Quels étaient les risques que ce soit le cas?

Mais peu de temps après, j’ai commencé à ressentir une douleur insupportable, intenable, présente 24h/24, 7 jours/7… J’ai fait tout ce qu’on m’a conseillé, espérant qu’il y ait une amélioration à terme, mais ce n’était pas le cas.

Une scintigraphie osseuse a finalement révélé que je souffrais d’un SDRC de type 2, ce qui signifie que des lésions nerveuses sont également présentes. Le SDRC se manifeste différemment chez chaque personne. Il s’agit d’une pathologie très complexe, pouvant revêtir des milliers de formes et de visages. Une transpiration anormale, un bras virant au rouge-bleu et semblant glacé, une perte de force, une hypersensibilité, même aux contacts les plus doux, sont quelques-uns de mes symptômes. Mon bras gauche est un terrain miné, que personne ne peut toucher. La douleur que je ressens est difficile à décrire par des mots. Elle me tourmente constamment. Si je devais donner un score à cette souffrance permanente, je lui mettrais probablement un 8 ou un 9. Et elle irradie jusqu’à mon coude et mon épaule. Vu que je ne peux utiliser que mon bras droit, celui-ci est sur-employé et donc accablé également, tout comme mon cou et ma tête. Ces dernières années ont été principalement dominées par toutes sortes de visites à l’hôpital. J’ai enchaîné les spécialistes et dépensé des milliers d’euros en thérapies alternatives, en espérant qu’elles seraient ma bouée de sauvetage. Je me disais que si je n’essayais pas, je n’aurais aucune chance que ça marche. Entre-temps, 8 années se sont écoulées, rythmées par la douleur et la maladie, qui prend toujours plus le contrôle de ma vie.

Arrêter de chercher l’impossible

J’ai pourtant continué à y croire. Après tout, c’est l’espoir qui nous maintient en vie. Mais fin 2022, un professeur de l’UZ Gent a soudain réduit toute chance a néant. Son message était très clair: arrêtez de chercher une aiguille dans une botte de foin, cette aiguille n’existe pas. Ses propos m’ont fait l’effet d’une gifle. Apprendre que j’avais épuisé toutes les possibilités de traitement était la dernière chose que j’étais prête à entendre.

Pour l’instant, je traverse une sorte de processus de deuil. Ma qualité de vie n’est plus et ne sera plus ce qu’elle était. C’est le SDRC qui est aux commandes de mon existence désormais. J’ai dû quitter ce travail que j’aimais tant. La première année, j’étais en maladie, placée sur la mutuelle, mais maintenant je suis considérée comme invalide. Bosser n’étant plus une option pour moi, Maxime et moi devons nous en sortir avec 1000 euros de moins par mois. Lorsque vous êtes habitué à un certain niveau de vie, trouver un nouvel équilibre demande du temps.  Et c’est loin d’être le seul fait qui a changé dans mon quotidien. Toute mon existence a été bouleversée. Cela peut paraître fou, mais j’ai caché mes souffrances à mon entourage pendant des années. Je ne voulais pas attirer l’attention sur moi, mais juste être une maman comme les autres et non pas une victime de douleurs chroniques.

Pourtant, le masque que je portais est tombé ces derniers mois. D’une certaine manière, ça a été un soulagement, car je n’ai plus besoin de prétendre aller bien. À mesure que je devenais de plus en plus dépendante des autres, il est devenu toujours plus difficile de faire semblant.

Mais c’est tout sauf facile et agréable de devoir demander à mes proches de s’occuper de moi. Ma maman, par exemple, assume beaucoup de tâches à ma place. Non seulement elle veille sur nos enfants et prépare les repas, pour que Maxime n’ait pas à cuisiner au quotidien, mais en plus elle se charge de mon hygiène, car je ne sais plus me laver moi-même.

Lorsque nous partons en famille, comme pour nos vacances à Center Parcs, il faut toujours que quelqu’un nous accompagne, car je ne suis pas physiquement capable de suivre le rythme de nos enfants. J’apprécie pourtant énormément ces moments, car j’y vois ma famille s’amuser, sans se tracasser de quoi que ce soit. Mais quand ensuite j’observe des mamans et des papas en train de jouer avec leurs enfants pendant que je dois rester assise sur une chaise, je me remets à broyer du noir.

Impuissance et tristesse

La dernière chose que je souhaite c’est susciter de la pitié, mais je n’ai presque plus de vie sociale. J’attends de mes amis qu’ils comprennent si je dois annuler un rendez-vous à la dernière minute et qu’ils soient là dans les bons comme dans les mauvais moments, mais malheureusement ce n’est pas toujours le cas. C’est dommage d’avoir perdu de précieuses amitiés à cause de ma maladie tout comme je trouve triste qu’il y ait encore tant de préjugés liés aux douleurs chroniques. Récemment, l’un de mes fils a posté une vidéo sur les réseaux où on nous voyait, il y a 2 ans, passer la journée dans un parc d’attractions. Et de nombreuses réactions ont été tout sauf agréables.

J’ai le sentiment de devoir me justifier lorsque je sors. ‘Tu as de la chance, tu es à la maison pour tes enfants’ est aussi une phrase que j’entends très souvent. Je ne vais pas le nier, mais je préfèrerais de loin contribuer à la société. Et pouvoir me donner à fond pour mon job, ma maison, mes hobbys et ma vie de famille. Je ne souhaiterais rien de plus qu’avoir des contacts avec des gens ‘normaux’, mais je doute qu’ils souhaitent en avoir avec moi.

La douleur physique et toutes les limitations qui en découlent ne sont pourtant qu’une facette de l’histoire. Psychologiquement, ce n’est pas non plus évident. ‘Accepte tes émotions’, me disent des gens bien intentionnés, mais ce n’est pas aussi facile qu’il y paraît, surtout quand une maladie détermine le cours de votre existence. Abandonner ne fait pas partie de mon vocabulaire, mais il y a toutes les raisons de perdre courage. J’essaye de rester aussi positive que possible. Même dans mes pires jours, alors que j’arrive à peine à sortir du lit, je garde à l’esprit que demain sera différent et meilleur. Mais je mentirais si j’affirmais que je ne suis pas déprimée. Je ne me qualifierais pas de dépressive, mais je me sens si impuissante et débordée par mes émotions.

Je me heurte constamment aux limites de mon corps, ce qui, à seulement 33 ans, est très dur mais aussi très frustrant. Et alors que mon esprit lui, est si jeune.

Non seulement je suis presque sans cesse confinée entre 4 murs mais aussi coincée dans mon propre corps. J’ai heureusement un très bon psychologue, à qui je peux me confier et qui m’a appris à fixer mes limites. Avant, j’étais douce et tendre et je me contentais de rentrer dans ma coquille, mais j’ai du acquérir une certaine dureté.

Une lueur d’espoir

Heureusement, j’ai un partenaire sur qui je peux compter sans réserve. Nous avions déjà traversé de nombreuses difficultés ensemble, comme lorsque l’entrepreneur qui s’occupait de notre maison avait disparu en nous volant 60.000 euros. Nous avions gagné notre procès au tribunal, mais l’homme ayant fait faillite, cet argent s’est retrouvé perdu pour toujours. Et  notre amour survit aussi à cette bataille-ci, même si nous passons par de nombreux hauts et bas. Je suis tellement reconnaissante à Maxime pour tout ce qu’il fait. Et si les rôles étaient inversés, je sais que je ferais sans aucun doute pareil pour lui.

Le plus difficile, c’est la culpabilité que je ressens envers nos enfants. Je veux que nos fils puissent garder leur innocence le plus longtemps possible, et être insouciants avant que le monde ne les rattrape. Et heureusement grâce à mes fantastiques beaux-parents et ma famille, nous y parvenons le plus souvent. Ils leur permettent de découvrir des activités auxquelles je ne pense pas spontanément, comme aller au restaurant. Pour mes enfants, ma situation est la chose la plus normale qui soit. Ils ont été élevés avec ma maladie et ne connaissent rien d’autre, mais ça ne change rien au fait que je ne suis pas la maman que j’aimerais être et je voudrais tant que tout puisse se passer différemment. Mes petits loups font tout ce qu’ils peuvent pour m’aider. Si j’ai du mal à me lever du canapé, ils foncent pour me soutenir.

Et récemment, mon aîné m’a même offert le contenu de sa tirelire, car il souhaitait contribuer à la collecte lancée par mon frère Marius. Je suis soignée dans un centre spécialement dédié à la douleur et un spécialiste m’a expliqué qu’il existe un neuro-stimulateur qui pourrait m’apporter un certain soulagement. Ce n’est pas un remède miracle, mais les impulsions produites par cet appareil pourraient rendre la douleur moins intense et donc plus supportable. Malheureusement, les bonnes nouvelles s’accompagnent de mauvaises, puisque le prix d’un tel dispositif est très élevé et il y a quelques années, le remboursement pour les patients dans ma situation, a été supprimé. ll est toujours valable pour les membres inférieurs mais plus pour les supérieurs. Même si je ne comprends pas pourquoi les jambes compteraient plus que les bras. Cela me fait mal, car ce neuro-stimulateur représente une lueur d’espoir pour moi. Et il nous est impossible de débourser une telle somme. J’espère que le remboursement sera reconsidéré ou qu’ils pourront faire une exception, mais une telle décision ne dépend pas de moi.

Maintenant que la douleur est ma réalité quotidienne depuis des années, j’ose à peine espérer la voir disparaître un jour. Bien sûr, c’est mon souhait le plus cher, mais je ne veux pas souffrir d’autant plus d’avoir nourri de faux espoirs.

Je dois me protéger d’une nouvelle déception, après en avoir vécu tellement. La souffrance fait désormais partie de ma vie, mais ce n’est pas pour autant que je m’y habitue. J’ai déjà envisagé une amputation, mais il est possible que cela ne supprime par le SDRC, voir que je souffre encore plus.  Et je veux absolument l’éviter. J’espère qu’en partageant mon histoire, je pourrai mettre en lumière le SDRC et ce que signifie vivre avec des douleurs chroniques. Non seulement pour moi, mais aussi pour mes compagnons menant un combat similaire et souvent confrontés à aux malentendus et au jugement. Qu’ils soient enfin compris et entendus. »

Texte: Marijke Clabots et Barbara Wesoly.

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