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© Getty Images

Je jure de dire la vérité, rien que la vérité: notre journaliste a été 100 % honnête pendant 1 mois

Justine Rossius
Justine Rossius Journaliste

Durant un mois, notre journaliste, Anaïs Raes, a joué la carte de l’honnêteté. Avec son amoureux et ses ami·e·s, mais aussi avec son employeur, ses parents et même sa belle-mère. Dire la vérité, est-ce le désastre assuré?

Bientôt 2024, une époque où les possibilités sont infinies et où l’on peut obtenir (presque) tout ce qu’on veut, généralement d’un simple clic de souris. Mais c’est aussi une époque où il faut veiller à ne pas se laisser envahir par des fake news, des deep fakes ou se laisser influencer par des chefs de gouvernement qui semblent n’avoir que faire de la vérité. Sur les réseaux sociaux, les filtres sont tellement partout qu’il devient parfois difficile d’accepter son propre reflet. Sans parler du pishing et des escrocs en ligne qui essaient de nous voler par le biais de faux e-mails.

C’est dans ce contexte que j’ai été chargée de n’être que lumière et vérité. Flair m’a demandé de me montrer honnête à 100 % pendant un mois. Une mission que je suis heureuse de remplir, car elle me permet de donner à un monde où le mensonge et la tricherie sont monnaie courante, une dose d’authenticité et de pureté. Ça ne peut qu’être beau, non?

Le problème est que le mensonge est souvent naturel. Tout le monde le fait et, même environ 9 fois par jour. Selon Glynnis Bogaard, professeure adjointe de Psychologie légale à l’université de Maastricht, c’est littéralement un jeu d’enfant et nous mentons dès le berceau. Nous le faisons d’abord en pleurant pour attirer l’attention, puis pour cacher que nous avons secrètement volé un bonbon dans le placard, et lorsque nous développons nos compétences en communication, nous commençons même à inventer des histoires. Et tou·te·s celles et ceux qui ont un enfant en bas âge le savent: les petits sont créatifs. Mais les enfants peuvent aussi être terriblement honnêtes. Cela s’est vérifié une fois de plus l’été dernier, lorsque ma nièce de 7 ans a demandé sans gêne à mon chéri ‘pourquoi il a des seins’, ce à quoi il a répondu ‘ce sont des muscles’.

La difficulté de dire la vérité

Comme je pense être dans l’ensemble plutôt honnête, cette mission risque d’être un jeu d’enfant. Pour commencer officiellement, je vais prêter serment à 8 heures du matin, le premier jour du mois. À partir de maintenant, je dirai toute la vérité et rien que la vérité pendant 4 semaines.

Le premier test a lieu une heure plus tard, lors de la promenade matinale avec mon amour et notre fille Már. Le café du coin propose un ‘cappuccino feu de camp’. Le barista m’explique avec entrain qu’il s’agit d’un cappuccino avec du miel, des biscuits émiettés, des marshmallows, de la crème fouettée et du sirop de chocolat. Tout ce que mon estomac vide ne tolère pas aussi tôt le matin. « Je vous en prépare un? » me demande-t-il enjoué. Si j‘avais été honnête, j’aurais dû répondre « Non merci », mais je n’ai pas le cœur à ruiner son enthousiasme, et 10 minutes plus tard, je sors avec ce cappuccino fumant entre les mains. « Premier essai », me balance mon chéri.

Même plus tard dans la journée, j’ai du mal à être vraiment honnête. P. vient rendre visite à notre bébé et nous offre un affreux vêtement pour Már. C’est une grenouillère marron doré avec des rayures noires de tigre et de zèbre. Et oui, c’est le geste qui compte, mais essayez de sourire quand on vous surprend avec une telle horreur. Je dis quand même que je suis sûre que le bébé sera magnifique avec et je serre P. dans mes bras en guise de remerciement. Et quand, le soir, une autre amie m’invite à prendre un verre, plutôt que de répondre que je n’ai pas envie, je mets poliment ça sur le compte de ‘trop de travail’.

Petits mensonges

Cela ne fait pas vingt-quatre heures que j’ai commencé, mais j’ai déjà beaucoup de mal à être honnête, surtout si je blesse les autres en le faisant. « C’est tout à fait normal », déclare Annemiek van Kessel. Cette autrice flamande a écrit un livre dans lequel elle aborde le mensonge et la vérité.

 Nous avons, à tort, une image noire et blanche du mensonge. Nous sommes élevé·e·s dans l’idée que c’est interdit, que c’est l’un des 10 commandements de la Bible et nous nous sentons mal lorsque nous mentons. Mais en même temps, il semble tout aussi inapproprié d’être honnête.

Le mensonge sert souvent de ciment social. Pensez à la façon dont nous nous empressons de dire ‘mmmm délicieux’ lorsque quelqu’un nous sert des panais cuits à l’eau. Ou comment on répond diplomatiquement ‘spécial’ lorsque cette tante entre avec une coupe de cheveux courte plutôt expérimentale. L’experte Glynnis Bogaard pense également qu’il n’y a rien de mal aux white lies (mensonges blancs). Selon cette dernière: « Il faut toujours examiner les conséquences d’un mensonge. D’une part, nous voulons être appréciés, mais d’autre part, nous voulons aussi que l’autre personne se sente bien. » Dans son livre, Annemiek résume cela avec les mots du philosophe néerlandais Stine Jensen: « Ceux qui disent toujours la vérité finissent par se sentir seuls, sans amis. Sans l’art du mensonge, aucune société décente n’est possible. »

Dans le podcast The truth about honesty (La vérité sur l’honnêteté), les animateurs énoncent une règle avec laquelle je suis tout à fait d’accord. Ils affirment que si l’on ne peut plus rien changer à la situation, il vaut mieux se taire. Par exemple, 2 minutes avant une présentation, cela n’a plus de sens de donner des commentaires négatifs, mais 2 jours avant, si. Ne soyez donc honnête que lorsque c’est utile.

Quand l’honnêteté fait du bien

Le moment est mal choisi, car cette mission tombe pile au moment où ma belle-mère mexicaine vient passer une semaine chez nous pour nous aider avec Már. Premièrement, je ne peux plus me promener en pyjama toute la journée. Deuxièmement, je veux juste qu’elle m’apprécie et je doute que mon honnêteté temporaire ne vienne tout compromettre. Les premiers jours se passent bien. J’aime sincèrement les pulls tricotés qu’elle fait pour Már et ses tacos al pastor sont délicieux. Jusqu’à ce qu’un matin, elle nous serve des œufs brouillés au cactus. Mon amoureux attend avec amusement ma réaction pendant que je cherche soigneusement mes mots. Je lui dis, désespérée: « C’est un peu moins mon truc ». Elle sourit et me dit que je peux laisser les morceaux verts. Pfiou, ce n’était pas si difficile.

Même lorsque j’ai un client en ligne plus tard dans la semaine, j’ose dire honnêtement que je ne suis pas d’accord avec ses ajustements. Tous ceux qui me connaissent savent que c’est un grand pas pour moi, mais il s’avère que ça n’a pas de conséquences apocalyptiques.

Je me sens responsabilisée et je commence à voir les avantages qu’il y a à dire ce que je pense vraiment. Cela a pour effet de ne pas trop remuer le couteau dans la plaie et donc de réduire la frustration.

Le prochain test ne tarde pas non plus à arriver. Au cours d’un brunch avec un couple d’amis, il s’avère qu’ils étaient sortis avec des amis communs la nuit précédente. ‘Nous pensions que vous étiez trop occupée avec le bébé’, dit F. lorsqu’il voit mon air déçu. Normalement, j’aurais répondu ‘Oh, ce n’est pas grave’, mais là, je laisse entendre gentiment que j’aurais aimé être là. Et le résultat est là: le soir même, je reçois un message me demandant si j’aimerais aller à un événement prochainement.

Faire semblant jusqu’à ce que ça passe

Mais si je dois être honnête, et en plus de l’être envers mon entourage, je dois l’être envers moi-même avant tout. J’étais effectivement très occupée et j’ai négligé mes ami·e·s, mais il m’a fallu du temps pour me l’avouer à moi-même. « L’aveuglement est une forme courante de mensonge », déclare l’écrivain Annemiek van Kessel. Dans son livre, elle se réfère à l’économiste comportemental Dan Ariely. Il est convaincu que nous mentons toutes et tous, mais surtout à nous-mêmes.

« En particulier sur le plan relationnel, l’aveuglement peut s’avérer très gênant », poursuit Annemiek van Kessel. « Après tout, l’amour rend aveugle. Imaginez que vous soyez follement amoureux de quelqu’un, mais que vous ignoriez tous les signaux indiquant que cette personne n’est pas fiable. Mais une bonne dose d’autodérision peut aussi être positive. Par exemple, le biologiste évolutionniste américain Robert Trivers affirme que nous avons tous intérêt à nous estimer plus intelligents, plus beaux et meilleurs que nous ne le sommes objectivement. Si vous y croyez vous-même, vous serez plus ouvert, plus créatif et mieux à même de faire face aux critiques et aux échecs. »

Mensonge par omission

L’honnêteté avec les ami·e·s et les étrangers ne fonctionne que dans une certaine mesure, avec des hauts et des bas. Je suis une personne agréable qui aime être appréciée. Mais quelqu’un qui pense que je suis parfois trop honnête, c’est mon copain. Surtout avec un nouveau-né à la maison, nous sommes assez directs l’un envers l’autre ces jours-ci. Personne n’a le temps d’être poli avec un bébé qui hurle dans les oreilles. Certes, il nous arrive de faire semblant en disant ‘oh, sa couche est encore pleine?’ juste après l’avoir donné à l’autre, mais nous sommes tous les 2 fiers de ne jamais nous mentir. Lorsque j’en parle à Annemiek van Kessel, elle me regarde d’un air dubitatif. « Ne pas dire quelque chose est aussi une forme de mensonge ». Et elle a raison, nous taisons parfois des choses pour garder la paix. Par exemple, mon amoureux ne dit pas qu’il est frustré d’avoir dû aller 2 fois au magasin aujourd’hui parce que j’oubliais toujours de demander quelque chose. Et lorsqu’il voit un énième colis livré dans l’entrée, il préfère détourner le regard. « Ce n’est pas forcément un problème », me rassure Annemiek van Kessel. « Sauf si ça arrive trop souvent. Quand on se connaît à peine, on commence par donner le meilleur de soi-même. Mais si vous laissez de côté d’importantes divergences d’opinion et des besoins pour éviter de vous mettre mal à l’aise, vous sabotez – surtout à long terme – le bonheur de votre relation.

Si vous avez besoin de trop de mensonges pour maintenir la relation, cela en dit long sur celle-ci et vous risquez de devoir rompre. »

Nous n’en ferons pas tout un plat, mais selon la devise ‘choisir ses batailles’, nous ne sommes effectivement pas honnêtes à 100 % l’un envers l’autre. Nous sommes tous les 2 conscients que notre relation bénéficie de petits mensonges. Par exemple, je lui dirai qu’il n’est pas plus dégarni qu’avant, et il me dira que j’ai toujours l’air fraîche, malgré mes poches sous les yeux qui – franchement – ressemblent à des testicules ridés.

Zone grise

Dire la vérité présente des avantages et des inconvénients. Ainsi, ça m’a parfois permis de m’affirmer davantage et l’autre personne ne s’est pas effondrée lorsque j’ai répondu d’une manière qui n’était pas socialement souhaitable. Mais il n’est pas nécessaire d’être toujours honnête. En fait, les mensonges sont comme un lubrifiant social qui permet à nos interactions quotidiennes de se dérouler sans heurts, pour toutes les parties concernées. Sur le spectre des mensonges sombres et de la vérité éclairée, la zone grise dans laquelle se trouvent les white lies offre souvent l’issue la plus agréable.

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