BABYSTORY: Joachim se confie sur l’impact d’un traitement par FIV en tant qu’homme
Quand on évoque le processus de FIV, on se focalise principalement sur la femme qui le vit, oubliant parfois que, dans ce traitement, l’homme n’est pas qu’un simple donneur de spermatozoïdes. Une réalité que Joachim, 32 ans, a expérimenté, lorsqu’il a accompagné sa compagne durant ce processus de procréation médicalement assistée.
« Astrid et moi, nous sommes rencontrés via Tinder. Et on peut dire que c’était un match gagnant puisque ça fait presque quatre ans et demi que nous sommes en couple et que nous vivons ensemble depuis trois ans. Dès le début de notre relation, il était clair que nous souhaitions tous les deux avoir des enfants, mais Astrid ayant cinq ans de moins que moi, rien ne nous obligeait à nous précipiter. Nous pensions avoir encore beaucoup de temps devant nous, mais la situation a pris une tournure inattendue… Lors de nos rapports sexuels, il arrivait qu’Astrid ait mal. Et ses douleurs sont devenues de plus en plus fréquentes, ce qui nous a amenés à consulter un généraliste puis sa gynécologue, sans qu’aucun d’eux ne trouve l’origine du problème. On nous a plusieurs fois suggéré qu’il y avait une origine psychologique, ce que nous ne pouvions accepter. Astrid travaille comme sage-femme et l’une de ses collègues a fini par soupçonner qu’elle souffre d’endométriose. Au printemps 2022, sur ses conseils, nous avons pris rendez-vous avec un gynécologue spécialisé qui a émis la même hypothèse, mais ne pouvait la confirmer qu’en réalisant une laparoscopie abdominale (une petite ouverture pratiquée pour observer l’intérieur de la cavité abdominale ou pelvienne, ndlr). L’intervention s’est déroulée quelques mois plus tard et a, en effet, montré une endométriose, combinée à des adhérences au niveau des ovaires et à un SOPK (syndrome des ovaires polykystiques). Le gynécologue nous a expliqué qu’Astrid était une candidate parfaite pour débuter une fécondation in vitro (FIV), ce qui nous a surpris. Car même si nous rêvions toujours de devenir parents, nous ne ressentions pas encore le désir immédiat de fonder une famille.
Avoir un enfant nous semblait toujours une perspective lointaine, mais une grossesse naturelle étant une perspective quasiment impossible dans notre cas, il nous conseillait de ne pas trop tarder pour entamer une FIV.
Admettre que les chances de concevoir un enfant naturellement étaient presque nulles a été très difficile à accepter, surtout pour Astrid. Et les mesures sanitaires liées au Covid-19 étant toujours en vigueur à la fin de l’année 2022, il lui a fallu gérer ce choc sans accompagnement, ce qui n’a pas été facile. De mon côté, j’étais un peu plus positif. Je connaissais des gens qui avaient dû, eux aussi, subir un traitement par FIV, et cela s’était déroulé sans trop d’obstacles. Et puis j’étais surtout soulagé de savoir enfin ce qui se passait. La situation était désormais claire et j’estimais que cela nous éviterait beaucoup de stress et de frustrations pour la suite. Mais Astrid avait plus de mal et avait un sentiment de culpabilité avec l’impression d’être trahie par son corps.
Si peu d’ovules
Vu le parcours compliqué qui nous attendait, nous avons décidé de nous lancer, même si c’était beaucoup plus tôt que ce que nous avions prévu. Habituellement on commence par l’optimisation du cycle avant de réaliser l’insémination artificielle, mais en raison des soucis médicaux d’Astrid, cela aurait très probablement échoué et nous avons donc sauté quelques étapes. Chaque parcours de FIV débute par une stimulation hormonale des ovaires via injections, afin de permettre à un maximum de follicules de murir. Une fois que ceux-ci atteignent la bonne taille, une ponction ovarienne est effectuée et un échantillon de sperme doit alors être fourni en vue de la fécondation. Mais contre toute attente, cette première stimulation n’a pas eu l’effet escompté. Je me rappelle encore d’Astrid, allongée dans une salle commune, avec cinq autres femmes, où nous écoutions le personnel médical annoncer des chiffres allant de 12 à 22, nombre d’ovules pouvant être prélevé. Mais pour Astrid, ils se limitaient à cinq, dont quatre étaient inutilisables. Et après la fécondation, seuls deux embryons avaient la qualité nécessaire pour un transfert. Ces perspectives étaient loin d’être réjouissantes et nous n’aurions donc pu être plus heureux lorsqu’Astrid s’est révélée être enceinte après le deuxième transfert. Dès ce moment, nous nous sommes immédiatement sentis comme une maman et un papa. Et c’était comme si un énorme poids quittait nos épaules. Malheureusement, cela ne s’est pas passé comme nous l’espérions. Nous avons perdu notre enfant à naître quelques semaines plus tard. Nos espoirs se retrouvaient réduits à néant après deux mois. (silence).
Pression financière
Et, n’ayant plus d’embryons congelés, cela signifiait aussi devoir recommencer tout le processus. Nous sommes alors partis en vacances, avant un retour à la maison, à nouveau rythmé par ce processus de fertilité. Nous sommes des personnes sociables, mais un parcours PMA prend le pas sur tout le reste, car il vous faut vous rendre tous les deux ou trois jours à l’hôpital ou chez le médecin. C’est ce qui nous a convaincu de prévenir notre entourage dès le départ. Cela nous impactait beaucoup et nous ne voulions pas nous mettre d’autant plus de pression en devant faire semblant que tout allait bien. Pendant longtemps, je n’ai eu aucun doute sur le fait de vouloir continuer les FIV. Mais après la perte de notre bébé, tout a changé. Et l’aspect financier commençait lui aussi à entrer en jeu. Maximum six traitements de fécondation in vitro sont remboursés et même si nous avons tous les deux un emploi fixe et gagnons relativement bien nos vies, cela représentait une certaine pression financière.
Et si...
Après la première ponction, nous avons directement opté pour l’ICSI (une injection du spermatozoïde dans l’ovocyte au lieu d’une fécondation naturelle via FIV, ndlr), en raison du peu d’ovocytes de bonne qualité disponibles. Lors de la troisième ponction, nous avons obtenu des résultats bien meilleurs et utilisé alors la moitié des ovocytes pour la FIV et l’autre moitié pour l’ICSI. Et puis à un moment, nous avons commencé à envisager le scénario du “et si?” Nous avions débuté notre parcours PMA en novembre 2022, et jusqu’à l’été 2023, je conservais bon espoir. Mais les ponctions ne donnant toujours pas de résultat, est arrivée la question: “Et si ni les FIV ni l’ICSI ne fonctionnent, qu’allons nous faire?”
Astrid voulait aussi faire le point. Elle s’inquiétait que je la quitte si nous ne pouvions pas avoir d’enfant, ou à quoi ressemblerait notre vie si c’était le cas.
Je préférais éviter ces conversations, les trouvant trop conflictuelles et prématurées, alors que de son côté, elle avait surtout besoin d’être rassurée. Les traitements de fertilité mettent une forme de pression sur un couple. Nous avions peut-être tous les deux la même démarche, mais chacun d’entre nous l’a vécu à sa manière, et il est important de veiller à ne pas se perdre en tant que couple, face à une telle expérience. Cela nous a sans aucun doute rendus plus forts, mais lorsque l’on vit sur des fuseaux horaires totalement différents, il est difficile de parvenir à se retrouver ensuite.
Et moi alors?
L’aspect émotionnel d’un tel traitement est gravement sous-estimé. Nous en étions déjà à neuf mois de parcours PMA lorsqu’une sage-femme nous a demandé comment le traitement se passait pour nous d’un point de vue psychologique et si nous ressentions le besoin d’en parler à quelqu’un. C’était la première fois qu’un professionnel de la santé nous demandait comment ça allait, non seulement à Astrid, mais aussi à moi. Les femmes devant subir le traitement dans leur chair et leur corps, il est normal que cette question s’adresse à elles, mais les hommes sont eux aussi impliqués dans ce processus et ne doivent pas être ignorés. On ne peut comparer la charge psychologique et physique supportée par un homme et par une femme dans une telle situation, mais cela ne m’empêchait pas de me sentir souvent seul et d’avoir l’impression de ne pas compter. Dans mon entourage on me demandait aussi régulièrement comment allait Astrid. C’était très gentil et très compréhensible, mais personne, par contre, ne s’inquiétait de mon état. Je n’y songeais pas sur le moment, mais aujourd’hui, après coup, je réalise à quel point tout cela m’a marqué. Surtout la fausse couche (silence). Cela a créé une sorte de blessure en moi qui ne guérira jamais complètement. Je suis quelqu’un qui regarde vers l’avenir et adore bouger le week-end, mais durant cette période, mon travail me suffisait. Cela s’est un peu amélioré depuis, mais je ne suis plus le même à 100 %. Je suis devenu bien plus calme et renfermé qu’avant.
Exprimer ses sentiments
Comme partenaire, j’essayais surtout d’être un pilier et un soutien indéfectible pour Astrid. Mais cela devenait de plus en plus difficile au fil du temps. Je ne me suis pas totalement effondré, mais ça a parfois été très difficile. En tant qu’être humain, nous avons tendance à relativiser les situations et à tenter de les affronter de manière rationnelle, mais il est tellement important de se permettre de les ressentir, quelles que soient les émotions qui nous traversent. La vie peut être pourrie parfois, et lorsque vous traversez de telles épreuves, vous voulez juste que quelqu’un écoute vos peurs, vos doutes et vos inquiétudes. De nombreuses personnes m’ont dit que je pouvais les appeler et je suis sûre qu’elles auraient été là. Mais lorsqu’on va mal, on de décroche pas facilement le téléphone. Et à cause de ce que nous avons vécu, je suis désormais plus susceptible d’aider ceux qui traversent une période difficile, précisément car je sais à quel point vider son sac peut faire du bien. Il est préférable de ne pas enfouir ses sentiments, en les laissant dans un coin, au risque de subir un dur revers de bâton plus tard…
Gardez vos conseils bien intentionnés
Ce avec quoi j’ai également eu beaucoup de mal, c’était les conseils bien intentionnés ou qui vous sont balancés sans que vous ne les ayez demandés. Lorsque, par exemple, nous avons perdu notre bébé, on nous demandait régulièrement à quel moment la grossesse cela s’était produit. Mais cela n’a pas d’importance. Que ce soit arrivé à la quatrième semaine, à la huitième semaine ou plus tard, vous avez perdu un enfant. Et ce type de propos revenait aussi dans notre parcours FIV/ICSI, où certains ne manquaient pas de nous dire: “Vous focalisez trop la-dessus. Vous devriez faire une pause durant quelques mois.” Mais vous ne pouvez pas juste “prendre ça plus à la légère”, car vous êtes confronté chaque jour à la réalité. Sans parler des phrases comme: “Tu verras, n’y penses plus et ça finira par marcher naturellement”, alors que les problèmes médicaux d’Astrid sont pourtant bien réels. Bien sûr, personne ne déclare ce genre de choses avec de mauvaises intentions, mais parfois des commentaires comme ceux-là sont juste trop lourds à supporter. Tout comme des questions du genre: “Quand allez-vous penser à avoir des enfants?” Par pitié, arrêtez de demander ça, alors qu’un couple sur six rencontre des difficultés face à son désir de fonder une famille. On en a tout de suite parlé franchement, mais pour certains, le sujet est tabou et je comprends aussi les couples qui désirent garder tout cela pour eux. Personne ne veut qu’on lui demande chaque mois si un bébé est en route.
Ne pas s’oublier
Astrid et moi attendons à nouveau un enfant. Début décembre 2023, un deuxième test s’est révélé positif, pour notre plus grande joie. Mais j’avoue avoir en partie mis de côté cette grossesse durant les premières semaines et mois. C’était inconscient, sûrement par une forme de mécanisme de protection.
Quelqu’un m’a récemment demandé comment j’avais découvert que j’allais devenir papa et j’ai été incapable de répondre. Ma mémoire me fait défaut sur cette période, alors que je me souviens encore de chaque détail de notre première grossesse.
Astrid est actuellement enceinte de 21 semaines et il me semble parfois que c’est seulement maintenant que je commence à réaliser. Le week-end dernier j’ai monté la table à langer et le prochain, ce sera le tour de la chambre. Pendant longtemps j’ai préféré retarder ces étapes. Je suppose que je ne voulais pas forcer le destin. Je ne suis en rien superstitieux au départ, mais en février de l’année dernière, le jour même où nous avons perdu notre premier enfant, j’avais rendu une visite annuelle à une femme pour mon travail. Une autre visite était prévue à la même période cette année, mais Astrid étant à nouveau enceinte, l’écho de cette situation passée a déclenché une émotion très forte en moi. Je ne voulais pas faire cette visite à domicile, car j’avais peur de rentrer ensuite à la maison pour découvrir encore une fois une terrible nouvelle. J’ai donc reporté le rendez-vous de quelques semaines, ce qui était en réalité absurde, car il n’avait rien à voir avec la perte de notre bébé… De plus, cette grossesse ne se déroule pas totalement sans heurts. Astrid a déjà été admise deux fois à l’hôpital pour des nausées extrêmement fortes. Heureusement, elle se sent de mieux en mieux et nous commençons à vraiment profiter de ces moments. Le NIP test (test prénatal non-invasif) et l’échographie des vingt semaines se sont bien passés et c’est un énorme soulagement pour nous. Entre-temps, nous avons choisi un prénom et cela fait maintenant une semaine qu’elle sent le bébé bouger. C’est si incroyable de voir son ventre grossir. Nous avons hâte de rencontrer enfin notre enfant. Et à tous les hommes qui se trouvent dans une situation similaire, je souhaiterais dire: “Je pense à vous et je sais que vous faites certainement tout ce qui est en votre pouvoir pour soutenir au mieux votre partenaire dans cette épreuve, mais ne vous oubliez pas pour autant.” »
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