Surtout, ne dites pas de Karen qu’elle n’est qu’une « miraculée » des attentats de Bruxelles
Le 22 mars 2016, Karen Northshield s’apprêtait à prendre l’avion pour rendre visite à sa grand-mère en Floride quand les bombes ont explosé à Zaventem. Cinq ans plus tard, dont plus de trois ans passés à l’hôpital, elle publie « Dans le souffle de la bombe », un ABCdaire rempli d’espoir et de résilience.
Ce mardi avait pourtant démarré comme n’importe quelle autre journée, ou presque. C’est que ce jour-là, Karen, coach sportive de 30 ans arrivée des Etats-Unis en Belgique à l’âge de 9 ans pour suivre son papa militaire, s’apprêtait à s’envoler vers la Floride pour rendre visite à sa grand-mère. Arrivée à l’aéroport de Zaventem avec les trois heures d’avance recommandées, elle venait de rejoindre la file pour l’enregistrement des bagages, s’étonnant de la voir si longue de bon matin et se réjouissant déjà de passer de l’autre côté de la douane. « Dans ma tête, j’étais déjà à destination près de ma grand-mère, sauf qu’à peine arrivée dans la file, j’ai été emportée par la force brûlante et ahurissante de la bombe ». Il est 7h52 ce 22 mars 2016 et l’aéroport de Zaventem vient d’être ravagée par l’explosion successive de deux bombes, détonées par des terroristes se revendiquant de l’Etat Islamique. En quelques instants seulement, la vie de la jeune femme, qui venait de se lancer à son compte pour vivre de sa passion du sport, éclate en mille morceaux. Fini, le coaching et son projet professionnel : Karen ne le sait pas encore, mais elle s’apprête à passer plus de trois ans alitée.
« J’ai été envoyée dans les airs de manière extrêmement violente et je me suis retrouvée des dizaines de mètres plus loin, allongée au sol, me battant pour ma vie, se souvient Karen, qui est passée d’une seconde à l’autre en mode survie. Je sentais que je me vidais de mon sang, la fumée m’asphyxiait, je savais que j’étais sur le point de mourir ». Une fin à laquelle la jeune belge d’adoption ne se résigne pas, puisant dans ses années en tant qu’athlète de haut niveau la force pour lutter après les attentats. « Ca a été un combat de chaque seconde pour rester éveillée et ne pas perdre conscience ». Des secondes qui se transforment en une heure trente, le temps que l’ambulance arrive et la prenne en charge. « Quand je suis enfin montée dans l’ambulance, j’ai perdu conscience pour de bon et je me suis réveillée de mon coma quelques semaines plus tard à l’hôpital Erasme ».
Incrédulité totale
Un hôpital où Karen pense d’abord passer quelques semaines tout au plus, mais où elle restera alitée plus de trois ans et demi avant de pouvoir retrouver une vie qui n’a plus rien de commun avec son quotidien d’avant la déflagration. Si elle s’exprime dans un français impeccable teinté d’une pointe d’accent américain, il faut toutefois réaliser l’entretien par visioconférence, afin qu’elle puisse lire les questions sur nos lèvres, son ouïe ayant été gravement impactée par la force de l’explosion. D’une voix calme, entrecoupant son récit de sourires comme autant de témoignages de sa force mentale, elle raconte le réveil et cette longue convalescence, coincée entre les quatre murs d’une chambre d’hôpital après les attentats.
« Quand je me suis réveillée, j’étais dans l’incrédulité la plus totale, parce qu’on pense toujours que ce genre de choses n’arrive qu’aux autres. Même quand ça arrive à soi, on refuse de croire que ce soit possible. Je n’ai pas mérité ça, il n’y avait pas de raison pour que ça m’arrive, surtout pas en Belgique, tout ça n’avait aucun sens » se souvient Karen. À qui les médecins à son chevet demandent alors combien de temps elle pense passer hospitalisée.
« Me connaissant, en tant qu’athlète au mental d’acier, je me suis dit qu’il s’était passé quelque chose de grave mais je me savais forte, et je leur ai répondu que je pensais en avoir pour 2-3 mois tout au plus. Je venais de me lancer en tant que coach, je n’avais pas de temps à perdre à l’hôpital. C’est là qu’ils m’ont dit que j’allais devoir être forte, parce que rien que pour sauver ma jambe, j’allais en avoir pour 2 à 3 ans d’hospitalisation » – Karen Northshield.
Trois ans qui dureront finalement six mois supplémentaires, « juste pour soigner le plus gros des dégâts physiques », Karen étant aujourd’hui aux prises avec les effets d’une autre bombe, à retardement cette fois, le syndrome de stress post-traumatique. « Cinq ans après les attentats, je suis toujours suivie de manière intensive parce que je suis une victime polytraumatisée, avec des séquelles irréversibles qui demandent à être contrôlées. Niveau physique, je suis arrivée à un certain niveau de stabilité, mais niveau psychologique et émotionnel, je commence seulement maintenant à faire face aux effets. C’est comme si mon mental avait attendu que le physique aille mieux pour pouvoir se relâcher ».
Du « a » d’attentats au « z » de Zaventem
Résultat : cinq ans après le 22 mars 2016, Karen n’a toujours pas pu prendre ce vol pour aller retrouver sa grand-mère. La faute à des hospitalisations à répétition, puis au confinement. Une période qui a trouvé une résonnance particulière en Karen. « Le confinement, pour moi, ce n’était rien de nouveau. J’ai déjà été confinée trois ans et demi à l’hôpital, avec une privation de liberté totale. Quand le premier confinement est arrivé, j’ai compris que j’allais pouvoir mettre cette période à profit pour me consacrer à ma santé ». Mais aussi à la rédaction de son livre, « Dans le souffle de la bombe », publié aux éditions Kennes et pensé comme un abécédaire à haute signification. « Le livre commence à la lettre « a » comme attentats, et finit sur le « z » de Zaventem, parce que je compte bien prendre ce vol un jour » assure Karen, qui confie avoir trouvé dans l’écriture une nouvelle direction.
« Certains jours, je me réveillais à l’hôpital en me disant qu’il aurait été préférable que je meure à l’aéroport, parce que je n’aurais jamais connu ces souffrances et cette bataille surhumaine. Je reviens de l’enfer et j’ai passé beaucoup de temps à me demander si la vie valait la peine d’être vécue sans pouvoir retrouver ma passion pour le sport et mon métier » – Karen Northshield.
Une passion qu’elle crédite pour lui avoir donné la force de s’accrocher durant ces longues années à Erasme. « Je n’ai pas eu le choix, personne n’est prêt à affronter une telle épreuve, c’est une montagne russe d’émotions à laquelle aucun diplôme ou formation ne peut vous préparer. Grâce à ma discipline de sportive, j’ai pu compartementaliser et mener un combat à la fois, comme on participe à une compétition à la fois. Ma condition physique m’a aidée aussi, les médecins disent tous que sans ça, je ne serais pas là aujourd’hui ».
Une source d’inspiration
Une incroyable force que Karen a aussi puisée dans sa volonté de partager son histoire. « Dès que j’ai repris conscience, la première chose que je me suis dit c’est qu’il fallait absolument que je raconte ce qui m’était arrivé, pour que d’autres puissent s’en inspirer aussi. Si j’ai écrit ce livre, c’est pour aider d’autres à surmonter les épreuves de la vie, leur montrer qu’on peut parvenir à défier les statistiques malgré tout ». Mais surtout, ne dites pas pour autant à Karen qu’elle est miraculée.
« On me qualifie tantôt de « victime », tantôt de « miraculée », de « rescapée » ou de « survivante ». Je suis certainement un peu de tout ça à la fois, mais aucun de ces attributs ne me convient réellement : je ne veux pas être réduite au statut de victime, si je suis miraculée ou rescapée, ça ne prend pas en compte le combat que j’ai livré. Oui, j’ai survécu, mais avec de graves séquelles. Je suis plus que tous ces qualificatifs, je suis une battante » – Karen Northshield.
Et de confier dans la foulée refuser de baisser les armes contre les auteurs des attentats. « Quand on est victime d’une telle cruauté, c’est normal et légitime de ressentir de la colère. Je l’ai été pendant très longtemps, aujourd’hui encore parfois je suis en colère, parce que c’est tellement injuste, et ça n’aurait jamais dû arriver en Belgique. Mais comme ce qui m’est arrivé est injuste, je n’essaie pas de justifier mes sentiments, je suis en colère et j’ai raison de l’être » affirme Karen, une position sans aucun partagée par les 340 blessés du 22 mars, leurs proches et ceux des 32 personnes qui ont perdu la vie dans les attentats de Bruxelles. Et si sa colère est légitime, hors de question pour autant pour Karen de se noyer dedans. D’ici aux cinq prochaines années, la jeune femme espère que son premier livre aura eu du succès, « qu’il m’amènera à en écrire un deuxième, que je pourrai jouer un rôle positif dans la société et partager mon expérience dans des conférences ». Et enfin prendre ce vol à destination de la Floride.
« Dans le souffle de la bombe », Karen Northshield, Editions Kennes, plus d’infos ici. (version en néerlandais, « Weggeblazen door de bom”, disponible ici)
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Photos de l’article signées Patrick Thomée, Sébastien Van Melleghem, Fred Debrock et Geoffrey Meuli
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