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À COEUR OUVERT: ““J’ai été victime d’une fraude à l’adoption””

Abandonnée par sa mère biologique pour lui assurer un avenir meilleur: c’est l’histoire à laquelle Jessica/Sarah, 40 ans, a cru pendant des années, jusqu’à ce qu’il apparaisse qu’elle avait été victime d’une fraude à l’adoption.

Jessica «Qui suis-je ?» C’est probablement l’une des principales questions que se pose toute personne adoptée. Il en va de même pour moi. D’un côté, je me sens Jessica. C’est le nom que ma mère biologique m’a donné au Chili. Mais en même temps, je suis aussi Sarah, le prénom qui m’a été donné par mes parents adoptifs en Belgique. D’aussi loin que je me souvienne, mes parents ne m’ont jamais caché mon adoption. J’ai toujours su que j’avais été abandonnée alors que je venais de naître, parce que ma mère biologique n’avait pas les moyens (financiers) de s’occuper de moi. Lorsque mon frère aîné – lui aussi adopté au Chili – et moi-même avions des questions pendant notre enfance, nous pouvions toujours nous adresser à eux et obtenir une réponse sincère. Lorsque j’avais environ 16 ans, ma mère m’a remis mon dossier d’adoption. Chaque lettre correspondait à l’histoire qui m’avait été racontée.

Mes parents ont également toujours parlé avec beaucoup de respect de ma mère biologique. Ils considéraient sa décision comme un acte noble.

J’ai donc été et je suis toujours incroyablement reconnaissante d’être tombée dans un foyer chaleureux et d’avoir reçu l’éducation dont j’ai pu bénéficier. Je n’aurais pas pu trouver climat plus agréable pour grandir. Mes parents ne nous ont jamais fait sentir, à mon frère et à moi, que nous n’étions que des enfants adoptés, que nous ne partagions pas leur chair et leur sang. Nous n’avons jamais manqué d’amour. Grâce à eux, j’ai eu une enfance tout à fait normale et heureuse. J’ai même quasiment oublié que j’avais été adoptée. À l’école, je n’avais pas non plus l’impression d’être marginale. Pendant l’été, ma peau pouvait paraître un peu plus foncée et j’avais des cheveux plus crépus que la plupart des enfants. Il s’agissait juste de signes extérieurs dont les autres me faisaient parfois prendre conscience, mais que je ne remarquais pas vraiment moi-même. Bref, à cet égard, mon adoption s’est déroulée dans les meilleures conditions qui soient.

Court-circuit dans la tête

Même si je n’aurais pas pu rêver d’une meilleure enfance, certaines questions m’obsédaient. Au fil des années, de nouvelles s’y sont ajoutées. Je savais que j’y ferais face un jour. Je savais que tôt ou tard, je voudrais retrouver ma mère biologique et que cela ne posait pas de problème à mes parents. Ils comprenaient et insistaient sur le fait que cela ne leur causerait pas de peine. Ils étaient même prêts – si je le souhaitais – à m’aider dans mes recherches et à partir avec moi au Chili. Lorsque je suis devenue maman pour la première fois, il y a 15 ans, la maternité a déclenché beaucoup de choses en moi. La première fois que j’ai tenu ma fille dans mes bras m’a fait penser à ma propre naissance et donc à ma propre mère. J’ai aussi commencé à envisager tous les scénarios possible.

Et si je la cherchais et qu’elle était déjà morte ou qu’elle ne voulait pas me rencontrer ? Et si j’étais née d’un viol ? Lorsque ma mère est décédée d’un cancer en 2017, tout s’est précipité dans ma tête.

Elle s’est battue comme une lionne, mais à peine un an après le diagnostic, elle n’était plus là et j’ai perdu l’une des figures d’ancrage les plus importantes de ma vie. Pour moi, c’était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Le fait de ne rien savoir de ma mère biologique et la mort de ma maman d’adoption ont court-circuité mon esprit. Je me suis sentie orpheline. C’est pour cette raison que j’ai commencé à me pencher sur mes documents d’adoption. Grâce à Facebook, j’ai rejoint un groupe portant le même nom de famille que ma mère biologique. J’ai pris contact avec une femme qui portait le même nom qu’elle, mais elle a prétendu que nous n’avions aucun lien de parenté. Elle m’a néanmoins proposé de partager mon message dans un autre groupe. 2 jours plus tard, j’ai été contactée par un homme qui m’a dit connaître la femme que je recherchais. Comme il se trouvait à l’autre bout du monde, j’étais sceptique. Il pouvait raconter ce qu’il voulait, mais je voulais tout de même écouter ce qu’il avait à dire. ‘La femme que vous cherchez est ma mère. Tu es ma sœur et nous sommes heureux de t’avoir enfin retrouvée’, m’a-t-il annoncé, euphorique.

Bébé volé

Je me méfiais, mais il connaissait mon nom chilien complet et semblait savoir de quoi il parlait. À l’époque, je ne savais pas vraiment quoi en penser. Devais-je être heureuse ou triste ? Selon moi, tout se passait beaucoup trop vite. Quelque chose clochait. Je pensais que ma recherche prendrait au moins un an. Je cherchais des réponses, mais je ne m’étais pas préparée à les obtenir si rapidement. Quelques jours plus tard, lorsque ma mère biologique m’a contactée avec au moins autant d’enthousiasme, j’ai été un peu perturbée. Après tout, elle m’avait abandonnée. J’étais heureuse de l’avoir retrouvée, mais en même temps, j’avais un sentiment d’amertume. Le fait de découvrir, via mon dossier d’adoption, que mon frère – qui a 4 ans de plus que moi – avait été élevé par elle, me rendait encore plus triste. L’une des premières questions que j’ai posées à ma mère était donc de savoir pourquoi elle avait choisi de me confier à une autre famille. Je ne m’attendais pas à la réponse qui a suivi. Elle a indiqué que l’adoption s’était faite contre sa volonté, qu’elle n’avait jamais accepté, ni signé aucun document d’abandon. Lorsqu’elle m’a dit que j’avais été enlevée à l’hôpital, j’ai eu l’impression qu’elle cherchait surtout à se dédouaner. Pour moi, c’était impossible ! Mais mon frère a également confirmé son histoire. Il a dit qu’il avait toujours su qu’il avait une sœur cadette et qu’elle avait été volée alors qu’elle était bébé. Il a indiqué qu’il avait tout essayé pour retrouver ma trace. Comme il confirmait l’histoire de ma mère, je me sentais déjà un peu plus en confiance. Il y avait probablement une part de vérité dans cette histoire. Pourquoi mentirait-il ? J’ai alors décidé de faire toute la lumière sur mon adoption.

Au Chili

Pendant plus de 36 ans, j’ai cru que j’avais été adoptée parce que ma mère biologique voulait m’assurer un avenir meilleur. Puis, en un claquement de doigts, je la retrouve et elle m’explique que je n’étais pas censée être adoptée. Cela a provoqué un tas de réactions dans ma tête. J’ai mis du temps à comprendre ce qui se passait exactement et si cette histoire était plausible. Je suis entrée en contact avec d’autres personnes qui avaient été adoptées, en particulier des Chiliens vivant en Belgique. En 15 jours, j’ai reçu au moins 70 réponses : toutes ces personnes avaient les mêmes sentiments, les mêmes questions et les mêmes problèmes. Mais ce qui était encore plus frappant, c’est que la majorité d’entre eux avaient vécu plus ou moins la même expérience. Des histoires comme: ‘ Je suis retournée dans mon pays et j’ai retrouvé ma mère. Elle a été terriblement choquée de découvrir que je n’étais pas mort-née…’, j’en ai entendu des tonnes. D’autres personnes avaient découvert qu’elles étaient des ‘niños robados’, qui, comme moi, avaient été enlevées alors qu’elles étaient bébés. Bref, il est devenu de plus en plus évident que j’étais loin d’être la seule à avoir vécu une histoire comme celle-là. J’ai commencé à me plonger dans l’histoire du pays, à lire tout ce que je pouvais sur le sujet, à regarder des reportages et à assister à des conférences. Après avoir reconstitué le puzzle, je n’ai pu m’empêcher de penser que je devais poursuivre mon exploration. Pour moi, c’était clair : j’irais au Chili, pour parler face à face avec la femme qui prétendait m’avoir mise au monde. Je voulais sentir son énergie et lire ses émotions. Cette rencontre a eu lieu en mars 2019, grâce à l’aide d’Alejandro, lui aussi adopté, qui vivait au Chili depuis quelques années et qui m’a servi d’interprète.

À l’aéroport, ma mère et mon frère m’ont accueillie avec beaucoup d’amour. La conversation que j’étais venue chercher a eu lieu peu après mon arrivée. Même si, en raison de ma connaissance limitée de l’espagnol, je n’ai compris que la moitié de ce qu’elle disait, j’ai ressenti sa douleur.

J’ai vu dans son regard qu’elle disait la vérité. Elle m’a raconté qu’à l’hôpital, elle était entourée de plusieurs mères hystériques, mais qu’à l’époque, elle ne comprenait pas ce qui se passait. Lorsqu’elle a voulu rentrer à la maison avec moi après l’accouchement, on lui a refusé, prétendument parce qu’elle devait avoir quelqu’un pour l’aider une fois qu’elle aurait repris le travail. Comme elle trouvait ça étrange, elle a décidé de s’enfuir de l’hôpital pour déclarer ma naissance. Ensuite, elle m’a laissée avec les infirmières comme on le lui avait demandé, mais lorsqu’elle est revenue plus tard dans la journée, j’avais disparu sans laisser de traces. Tout le monde a fait semblant de ne pas être au courant.

Trouver des réponses

Je pourrais parler pendant des jours de ce qui s’est passé, mais en résumé, on peut dire que j’ai été victime d’un trafic par l’intermédiaire d’une agence d’adoption privée. Ma mère m’a cherchée, mais comme j’ai reçu un autre nom dès mon arrivée en Belgique, elle n’y est jamais arrivée. De plus, il n’y avait aucun lien entre mes 2 noms. Dans le cadre d’une adoption en bonne et due forme, lorsque l’enfant arrive dans son nouveau pays, le pays d’origine enregistre son nouveau nom. Cela n’a jamais été le cas pour moi. Il était donc impossible pour mes parents biologiques de me retrouver. Heureusement que ma mère biologique a réussi à déclarer ma naissance, sinon nous ne nous serions probablement jamais retrouvées... L’impact de la fraude à l’adoption est tout sauf minime. J’ai dû lutter pour retrouver ma place et fonctionner à nouveau normalement. Cette expérience très sombre m’a tout de même fait grandir. Au final, j’ai pu dénouer les fils et trouver des réponses aux questions que je me posais.

Si j’ai eu envie de partager mon histoire, c’est pour sensibiliser d’autres enfants adoptés et leurs parents. Beaucoup de gens croient que l’adoption est une chose positive, que les mères qui confient leurs enfants à d’autres familles le font par amour et par abandon total, mais la réalité est souvent différente.

Au Chili, mais aussi dans le reste du monde, les parents ont été et sont opprimés. Parfois il y a un système mafieux qui se cache derrière tout ça. En réalité, il s’agit tout bonnement d’un trafic d’enfants. Lorsque j’ai découvert la vérité, j’ai commencé à me battre contre la législation en vigueur dans notre pays. Avec d’autres enfants adoptés, j’ai rencontré des agences d’adoption pour entendre leur version des faits. J’espérais ainsi parvenir à un consensus. Entre autres choses, nous leur avons posé la question suivante : si l’adoption est si noble et que les parents veulent vraiment aider des enfants dans le besoin, pourquoi cela coûte-il autant d’argent aux parents adoptifs ? Ma mère disait en plaisantant que mon adoption avait coûté cher, mais où est passé cet argent ? En tout cas, ma mère chilienne n’a jamais voulu m’abandonner, et encore moins avoir un centime en échange...

La face cachée de la lune

Dernièrement, j’ai vu un reportage télé dans lequel les agences d’adoption se présentent à nouveau comme serviables et altruistes, mais que ce n’est pas la réalité. En fin de compte, on se rend compte qu’il s’agit d’un business lucratif et pas très honnête. On comprend en outre pourquoi – suite à des irrégularités qui ont fini par être mises à jour – elles ne sont plus autorisées à travailler avec des pays comme Haïti. Tout ça, personne n’en parle jamais. Bien entendu, lorsqu’ils m’ont adoptée, mes parents n’étaient pas au courant de ces malversations. J’ai dû expliquer à mon père comment les choses avaient pu déraper. Alors qu’il était encore en plein deuil, j’ai été obligée de lui dire que j’avais été kidnappée dans un hôpital et que mon adoption était frauduleuse. Bien qu’il n’ait eu connaissance d’aucun acte répréhensible, lui et ma mère faisaient involontairement partie d’un maillon de ce trafic. Il s’est senti attaqué, alors que – comme moi – il est aussi une victime... Pendant longtemps, j’ai eu beaucoup de mal à rassembler et reconstituer toutes les pièces du puzzle. Ce n’est qu’une fois que l’on commence à remuer dans la marmite que tout explose. Pour moi, incriminer une personne en particulier n’a plus de sens. J’ai grandi en Belgique et, malgré tout ce que j’ai découvert, je suis très heureuse d’être ici. Cette histoire m’a construite en tant que personne et m’a rendue plus forte. Je me sens plus que jamais liée à ma propre identité. Ce que j’espère, c’est que tous ces jeunes adoptés, encore mineurs aujourd’hui, disposeront d’un vrai dossier d’adoption et pas d’un tissu d’erreurs et de mensonges. ​

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