PHOBIES D’IMPULSION: quand l’angoisse se transforme en peur de (se) faire du mal
Peur de se donner la mort, de faire du mal à un enfant, d’être homosexuel·le… Les phobies d’impulsion, ou pensées intrusives, ne débouchent jamais sur des passages à l’acte, mais sont le fruit d’une anxiété forte. Deux lectrices ont accepté de se confier sur ce trouble souvent inavouable, et sur ce qui leur a permis de s’en sortir.
Vous tenez votre nouveau-né dans les bras et soudain, une image vous claque au visage: vous imaginez le lâcher par terre. Vous êtes au volant de votre voiture et considérez ce petit coup de volant qui pourrait vous conduire droit à la morgue. Dans la cuisine, vous coupez les oignons et soudain, ce couteau en main, vous vous surprenez à vous imaginer l’enfoncer dans vos yeux. Derrière ces pensées effrayantes et honteuses, se cache parfois une phobie d’impulsion, un trouble psychiatrique reconnu par le DSM-5 – Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Parmi les 2 à 3 % de la population atteinte de TOC, 24,2 % auraient des pensées intrusives à caractère agressif, 30,2 % à caractère sexuel ou religieux et 43 % à caractère moral. Kathleen Lambert, psychologue, définit pour nous les phobies d’impulsion comme «un trouble anxieux lié à l’apparition répétée et envahissante de certaines pensées transgressives et particulièrement troublantes pour la personne étant donné qu’elle visualise un scénario scabreux dans lequel elle commet soudainement un acte contraire à sa nature, à ses valeurs ou à ses désirs. » En consultation, la spécialiste ne compte plus le nombre de mamans irréprochables qui éclatent en sanglots quand elles se confient sur le fait d’avoir imaginé jeter par la fenêtre, noyer dans leur bain ou poignarder violemment leur enfant adoré, alors que d’autres se voient poser la main sur une taque brûlante, rouer de coups un inconnu ou encore maltraiter un animal.
Ces images horribles «ne sont pas dangereuses en soi» rassure la spécialiste, et peuvent apparaître chez tout un chacun, même une personne saine d’esprit et équilibrée, qui ne ressent pourtant aucune envie de passer à l’acte.
«Le scénario insoutenable qui nous traverse l’esprit se transforme en phobie d’impulsion lorsque notre incapacité à freiner l’intrusion de ces pensées parasites renforce notre crainte de se retrouver en incapacité de freiner un passage à l’acte. Cette confusion nous isole et nous épuise ; l’anxiété liée à cette perte de repères dégrade notre qualité de vie sur tous les plans», explique la spécialiste.
Mémoire sélective et incompréhension
Si les origines du trouble sont assez méconnues, une chose est certaine: il s’alimente de l’incompréhension des personnes qui en souffrent, qui peuvent, face à ces pensées, développer des croyances culpabilisantes comme «je suis un monstre», «je deviens fou•folle», «Cela traduit forcément une volonté refoulée», «Je suis dégoûtant·e»… «La charge émotionnelle associée à ce discours accablant est le point de départ d’un cercle vicieux qui installe et scelle une phobie d’impulsion», explique Kathleen Lambert, psychologue. «En effet, notre mémoire trie et conserve les informations en fonction des émotions qu’elles nous procurent. Vous ne vous souvenez pas facilement du plat que vous avez mangé mardi dernier. Par contre, vous vous souviendrez de votre chute vertigineuse sur les marches à l’entrée de l’école ce jour-là. Une pensée parasite particulièrement frappante aura donc plus de chances d’être consolidée en mémoire et de resurgir inopinément.
L’image qui nous hante se nourrit de notre désarroi et génère toujours plus d’anxiété, ce qui fixe d’autant plus nos ruminations et nos inquiétudes sur cette scène horrible, ce qui renforce d’autant plus la force et la régularité de son apparition à notre esprit, etc.
La propension à se faire enfermer dans ce type d’effet boule de neige est lié d’une part, à nos prédispositions génétiques à l’anxiété, et d’autre part, à la façon dont notre environnement et nos expériences ont pu alimenter ce type de conflits internes tout au long de notre vie. »
Éviter pour ne pas se confronter
Le paradoxe, avec les phobies d’impulsion, c’est que plus les personnes qui en souffrent vont essayer de prendre le contrôle, plus elles vont sombrer. Elles vont alors avoir recours à ce qu’on appelle, des stratégies d’évitement. Kathleen Lambert: « Redoutant un passage à l’acte, la personne tente de maîtriser tout ce qui pourrait y être associé. Elle va fuir toutes les situations qu’elle estime dangereuses, tous les contextes dans lesquels une perte de contrôle conduirait au drame. Ce phénomène se transforme en trouble obsessionnel compulsif. On va éloigner ou faire disparaître tous les objets de nature à porter atteinte, marcher à trois mètres minimum des passants, ou même, couper tout contact avec un membre de notre famille. » Et de nous confier l’histoire d’un de ses patients, qui lui révélait se sentir littéralement poursuivi par une vision d’agression sexuelle sur son filleul de 2 ans. Profondément déstabilisé par cette idée qui le répugnait au plus haut point, il a fui sa famille pour les protéger du monstre fou furieux qu’il croyait devenir. «Précisément, cet acte ne lui donnait envie d’aucune manière. Et c’est bien pour cela que cette image lui faisait tellement peur. Il disparut pendant plusieurs mois, prétextant qu’il avait une vie très chargée.» Outre les stratégies d’évitement, les personnes victimes de ce trouble vont aussi, pour la plupart, développer des rituels, pour reprendre le contrôle. Se laver les mains ou le visage à plusieurs reprises, pour se nettoyer de nos pensées sombres; vérifier les tiroirs à couteaux, éviter les sorties d’école… Ou encore se répéter une phrase frénétiquement : « Ne fais pas ça.» ou « Je ne veux pas faire de mal ». Juliette et Céline (prénoms d’emprunt) sont aujourd’hui sorties de leur phobie d’impulsion: elles ont accepté de se replonger dans cette période difficile de leur vie pour Flair.
Juliette, 35 ans, a longtemps lutté contre la peur de faire du mal à son futur enfant.
«Durant mes années d’université, j’avais beaucoup d’angoisses d’impulsion, principalement la nuit. Chez moi, ça se manifestait par la peur de tourner mon volant violemment lorsque je conduisais la nuit sur une autoroute. Dans des moments de stress plus intenses, ces angoisses étaient exacerbées et il arrivait que je n’ose plus conduire la nuit. J’y pensais beaucoup, au quotidien même. Ces angoisses se sont calmées lorsque mon stress à diminué. Je pense qu’on à tous des périodes dans nos vies où nous nous sentons plus fragiles et en insécurité. J’ai toujours été quelqu’un de très anxieux et j’ai fait une thérapie comportementale pendant plusieurs années. Je réalisais des exercices avec ma psychologue pour extérioriser physiquement ce stress. Ça m’a beaucoup aidée. Au moment où nous avons décidé d’avoir un bébé avec mon compagnon, je n’avais plus éprouvé ces angoisses depuis plusieurs années. Mais l’idée d’avoir un bébé a fait revenir cette peur.
Enceinte, je me souviens avoir discuté avec mon compagnon du fait que je n’étais pas sûre que je serais à l’aise d’être seule avec notre futur bébé.
J’anticipais le retour de ces angoisses. Ici ce n’était plus la peur de tourner violemment le volant de ma voiture mais la peur d’avoir mon bébé dans les bras et de les ouvrir d’un coup en le laissant tomber. J’avais peur de lui faire mal.
Moments d’insécurités
Avec le recul, je pense que ces peurs surviennent dans des moments d’insécurité, des moments où on est plus fragiles, que ce soit en pleine nuit ou enceinte d’un premier enfant. Je pense que ces angoisses d’impulsion sont des peurs de soi-même. On a peur de faire la chose qui pourrait nous causer le plus de mal. Faire un accident potentiellement mortel ou faire du mal à mon bébé représentaient clairement les deux pires choses qui pouvaient m’arriver. Au final, après mon accouchement, je n’y ai même plus pensé et ces peurs ne sont jamais arrivées. Je n’ai eu aucune difficulté à rester seule avec mon bébé. J’ai juste eu enceinte « une peur que cette peur revienne », mais avec 7 années de thérapie, j’ai appris à gérer mes arrivées d’angoisses. À les laisser venir, les accueillir. C’est selon moi la meilleure façon pour ces peurs de partir comme elles sont venues. Quand la peur est arrivée pendant ma grossesse, j’en ai simplement parlé à mon compagnon, qui m’a rassurée en m’expliquant que je n’avais qu’à lui dire si je n’était pas à l’aise de rester seule avec notre futur bébé et qu’il suffirait qu’on s’organise pour qu’il reste présent. Le simple fait d’être rassurée et d’avoir une solution « au cas où » à fait partir cette peur. Au final, je sais maintenant que je n’aurais jamais tourné le volant ou laissé tomber mon bébé. Mais lorsqu’on ressent cette peur, elle est très présente et difficile à vivre. Selon moi, la première chose à faire est d’en parler, à ses copines ou des proches, qui vont permettre de minimiser la peur. Il ne faut pas non plus essayer de la refouler, elle est là, c’est comme ça! Il faut pouvoir la dédramatiser et ne pas donner à cette phobie trop d’importance.”
Céline, 35 ans, a longtemps eu peur de se donner la mort.
«Lorsque j’avais 17 ans, ma chambre se situait au deuxième étage d’une maison bruxelloise. C’était une pièce spacieuse et très lumineuse grâce à de grandes fenêtres s’étirant sur toute la longueur de la façade. Après la maladie et le décès de mon petit frère, j’ai commencé à me sentir très mal psychologiquement et j’étais en proie à de terribles insomnies. J’étais trop nerveuse pour trouver le sommeil parce que je redoutais de me jeter par la fenêtre durant la nuit. Comme j’étais en dépression, je pensais vraiment qu’il y avait un risque que cela arrive. Il m’a fallu des années pour comprendre que ces pensées étaient sans doute davantage le fruit de phobies d’impulsions que d’une véritable souffrance suicidaire.
Angoisse persistante
Les phobies d’impulsion ont pourri mon quotidien, par phases plus ou moins fortes, pendant des années. Par exemple, quand je conduisais vite sur l’autoroute ou dans les tunnels à Bruxelles, je commençais à penser à des trucs du style : et si je donnais un coup de volant, là maintenant ?
J’étais aussi très mal à l’aise dans les cérémonies solennelles parce que je pensais que j’allais peut-être monter sur la scène ou sur une table d’un coup pour agir de manière totalement inappropriée.
Cela a aussi parfois gâché mes loisirs ou affecté ma vie sociale. Je me souviens notamment d’être allée à une sorte de garden party chez des amis dont les parents avaient une maison à la campagne. Dès mon arrivée, lorsque j’ai constaté qu’il y avait énormément de petits enfants présents, j’ai été saisie d’angoisse : et si je faisais du mal à l’un de ces enfants ? Ce n’était évidemment pas mon intention et je ne pensais pas à un acte ou une situation précise, mais cela n’empêchait pas de ressentir une angoisse persistante. En fait, je crois que mon esprit calculait dans chaque situation ce qui pourrait se passer de pire. Ce qui rend les phobies d’impulsion quasiment inavouables. Le risque étant que cela débouche sur de l’isolement social et du repli sur soi. Je n’osais même pas en parler à mon psy. Comment dire à quelqu’un qu’on redoute de faire du mal à un gosse alors que c’est la chose la plus terrible au monde ! J’étais aussi très mal à l’aise dans les cérémonies solennelles parce que je pensais que j’allais peut-être monter sur la scène ou sur une table d’un coup pour agir de manière totalement inappropriée. Mais j’ai quand même fini par lui en parler, en prenant d’abord des exemples moins trash. Cela a constitué une forme de libération. Le fait qu’il ait immédiatement identifié le phénomène et qu’il m’ait assuré qu’il n’y avait aucune chance que je fasse toutes ces choses qui me venaient à l’esprit a tout changé. Cela ne signifie pas que les phobies d’impulsion ne surviennent plus, mais comme on n’y accorde plus la même importance et qu’on ne les interprète plus de la même façon, les effets ne sont plus du tout les mêmes et certaines disparaissent. C’est pour cela que je trouve intéressant de témoigner aujourd’hui: je pense que cela pourrait soulager énormément de gens. Une fois que j’ai réussi à verbaliser la chose, j’ai réalisé que pas mal de gens en souffraient, avec des intensités variables.»
Phobie d’impulsion: les conseils de la psy pour s’en sortir
1. Il est légitime d’intervenir dès que l’anxiété commence à dégrader notre qualité de vie. (épuisement, somatisation, isolement,…)
2. Gardez à l’esprit que ces pensées loufoques ne disent rien de vous. Elles ne vous feront aucun mal si vous les laisser s’envoler sans leur prêter plus de considération. La peur, la honte ou la culpabilité que vous ressentez traduisent justement que cet acte ne vous ressemble pas, qu’il n’est aligné ni sur vos valeurs, ni vos envies. Par contre, si vous ressentez ne serait-ce qu’une infime tentation de passage à l’acte, un désir de nuire à vous-même ou aux autres, il est naturellement urgent de contacter un professionnel de la santé.
3. Toutes les techniques de relaxation sont intéressantes pour intervenir dans l’immédiat. On recommande la cohérence cardiaque, un exercice de respiration des plus efficaces. On peut l’utiliser à tout moment, déjà quand on ressent des signes avant-coureurs d’une montée en stress.
4. Pour traiter ce trouble en profondeur, il faut que la personne apprenne comment elle fonctionne, découvre dans quel engrenage elle s’est embourbée, et mette en place, avec l’aide d’un thérapeute, des pistes d’intervention pour l’aider à reprendre le contrôle de son mental. Les psychologues proposent des approches assez variées pour établir ce plan d’action avec les patients (Thérapie Cognitivo Comportementale TCC, hypnothérapie, etc.).
5. Faut-il en parler ? Le poids du silence est très lourd. Se libérer par la parole est une réaction saine. Toutefois, si vous souhaitez aborder vos phobies, gardez à l’esprit de bien choisir vos confidents. Il serait regrettable que vos proches, pourtant armés de bonnes intentions, renforcent votre honte, votre culpabilité, ou votre impression d’être susceptible de passer à l’acte. Le confident idéal reste un expert sur le sujet.
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