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Giorgia Meloni
© Valeria Ferraro/SOPA Images/LightRocket via Getty Images

TÉMOIGNAGE : ““L’arrivée de Giorgia Meloni au pouvoir va bouleverser ma vie””

Ana Michelot
Ana Michelot Journaliste

Le 25 septembre dernier, le parti d’extrême-droite Fratelli d’Italia a remporté les élections législatives en Italie. Placant Giorgia Meloni, leur leadeuse en tête de liste pour devenir la future Première ministre du pays. Une nouvelle inquiétante pour une partie de la population dont Ilaria, étudiante de 22 ans, fait partie.

Les élections législatives italiennes ont été marquées par deux chiffres, une forte abstention de 37 % et la victoire de la coalition des trois partis de droite composée de Fratelli d’Italia, Forza Italia (parti de Silvio Berlusconi) et la Ligue de Matteo Salvini. Ensemble, ils ont récolté 46 % des voix, ce qui promet de leur donner la majorité dans les deux chambres du Parlement. Mais le grand vainqueur est le parti de Giorgia Meloni, Fratelli d’Italia, mouvement politique d’extrême droite néo-fasciste qui a récolté 26 % des voix de droite. Cette femme d’origine romaine de 45 ans a débuté en tant que militante au sein du Mouvement Social Italien, parti constitué par d’anciens membres du régime fasciste. De ces années-là, restent des interviews de cette jeune militante, grande admiratrice de Mussolini, qui déclarait face caméra en 1996 dans une vidéo des archives de l’INA : « Moi je crois que Mussolini, c’était un bon politicien. C’est-à-dire que tout ce qu’il a fait, il l’a fait pour l’Italie. » Si depuis, la candidate a su lisser son image et attirer l’attention du peuple en faisant de la lutte contre le chômage son cheval de bataille, tout comme le sujet du pouvoir d’achat et du service public, elle affiche toujours des positions extrêmement radicales en matière sociale. Contre l’immigration, l’avortement et très hostile aux communautés LGBT+, Giorgia Meloni inquiète les Italiens… Comme Ilaria, étudiante de 22 ans qui vit en Toscane. Profondément féministe, militante pour les droits LGBT+ et elle-même pansexuelle, la jeune femme craint que tout son pays et sa propre vie ne soit impactée par l’arrivée au pouvoir d’une telle dirigeante.

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« Giorgia Meloni est une grande admiratrice de Mussolini, elle a été décrite par plusieurs médias italiens comme une néo-nazi. C’est vraiment la pire politicienne qu’on pouvait avoir au pouvoir et je suis si en colère de voir que beaucoup de jeunes ne sont pas aller voter pour essayer de lui faire barrage. Je ne comprends pas cette mentalité, levez-vous et allez voter, il faut qu’on se batte pour nos idées », déclare Ilaria dès que le nom de la cheffe du parti Fratellini d’Italia est prononcé. Elle poursuit en expliquant comment, selon elle, la femme politique a pu atteindre ce statut : « La jeune génération ne s’est pas mobilisée et comme la plupart de la génération au-dessus de nous a été élevée avec des valeurs et des stéréotypes qui datent de l’ère de Mussolini, la majorité d’entre eux est en phase avec les valeurs que propose Giorgia Meloni, donc ils ont voté pour elle. » Avant d’ajouter : « Mais si les jeunes étaient allés s’exprimer dans les urnes, elle n’aurait jamais gagné, tous les jeunes adultes et les adolescents la détestent. Attention, je ne dis pas que tous les adultes et les personnes âgées l’aiment, mais la plus grande partie d’entre eux oui. » À court de mots, Ilaria lâche : « Je suis tellement en colère et j’ai tellement honte pour mon pays. Je suis aussi très effrayée de ce qui va se passer après, si elle devient première ministre. L’arrivée de Giorgia Meloni au pouvoir va bouleverser nos vies, ma vie. »

Un danger pour les communautés LGBT+ et le droit à l’avortement

Ilaria ne veut pas mettre de réelle étiquette sur son orientation sexuelle, elle a déjà eu des relations amoureuses avec des hommes et des femmes, elle tombe d’abord amoureuse d’une personne et non de son sexe ou de son genre. Elle exprime son inquiétude envers ses propres droits qu’elle craint de voir réduits ou tout simplement inexistants : « Je crains qu’avec elle à la tête du pays, les femmes n’aient plus accès à l’avortement et que les personnes LGBTQIA+ voient leurs droits disparaître. Elles vont recevoir tellement de haine maintenant, encore plus qu’avant. » Pour elle, l’arrivée de la politicienne au poste de première ministre pourrait encenser l’homophobie déjà bien ancrée dans la société italienne. « On va très vite assister au retour du stéréotype de “l’homme” au sens du chef de famille qui prend toutes les décisions et se doit d’être viril et fort, ce sera une norme », explique Ilaria, ce qui n’est pas sans faire écho à la fête des hommes célébrée en Italie depuis 1977, qui a provoqué la controverse dans les médias internationaux cette année. L’une des grandes traditions de cette célébration, est que des femmes aux yeux bandés ingurgitent des bananes à genoux sous les cris et les encouragements des hommes. Paniquée face à l’avenir qui se dessine devant ses yeux, Ilaria confie :

Il va y avoir tellement de conséquences à l’arrivée de Giorgia Meloni au gouvernement. Ça va être dévastateur… Ça va être un véritable chaos.

« Elle prétend représenter les femmes et en particulier les mères chrétiennes, car elle s’identifie dans ses discours, comme une femme, une mère et une chrétienne. Mais la vérité c’est qu’elle ne les représente pas car je connais beaucoup de femmes qui sont mères et chrétiennes et qui ne sont pas du tout d’accord avec ses idées. En vérité, beaucoup de chrétiens soutiennent désormais la cause LGBT+ et ne sont pas racistes, et une partie d’entre eux sont aussi pour le droit à l’avortement, donc son discours ne fonctionne pas. Elle ne représente personne », affirme Ilaria. Selon elle, Giorgia Meloni utiliserait cette image de mère et bonne croyante pour apparaître sous un jour nouveau auprès du public, pour redorer son image et prétendre représenter une communauté qui souhaiterait un retour aux valeurs traditionnelles. « Elle utilise cette image de mère chrétienne pour justifier son opinion contre l’avortement. Elle dit qu’elle se sent attaquée, menacée par tous les droits que ce “modernisme” a autorisés. » Ilaria s’insurge :

On ne parle pas d’un de tes enfants Giorgia, on parle de notre choix d’en avoir un ou non. De nos corps, de nos utérus ! Il y a déjà cinq régions en Italie où les docteurs ont massivement décidé de ne plus pratiquer d’avortement en exerçant leur liberté de conscience. Je crains que ça ne fasse qu’augmenter après son élection.

Ilaria ne se trompe pas sur les chiffres, en effet 67 % des gynécologues italiens sont objecteurs de conscience, selon les derniers chiffres du ministère de la Santé datant de 2019. Un chiffre choc qui monte à 80 % dans cinq des vingt régions italiennes, Liguria, Abruzzo, Marche, Ombria et Molise. Revenant sur les propos de Giorgia Meloni, l’étudiante s’exaspère : « Comme si en donnant le droit d’avorter aux femmes, on les empêchait de prendre la décision de garder leur enfant. Je n’ai personnellement jamais vu ou entendu parler de femmes qui auraient avorté et qui iraient harceler des femmes enceintes dans la rue en leur disant “Honte à toi, tu portes un enfant, tu as choisi de le garder, mais quelle horreur !” C’est juste stupide, c’est n’importe quoi », insiste-t-elle. En effet, bien qu’elle soit contre l’avortement, Giorgia Meloni ne milite pas ouvertement pour l’interdiction du droit à l’avortement, elle déclare au contraire qu’elle veut renforcer ce droit en veillant à ce que la totalité du texte de loi soit appliquée, ce qui inclut également selon elle : « d’informer ces femmes qui souhaitent avorter des alternatives possibles pour celles qui croient ne pas avoir d’autre choix et les aider possiblement à prendre un autre choix. » Pour elle, le droit à l’avortement empêcherait ces femmes de choisir une autre décision. Un discours qu’elle a prononcé à la télévision italienne et qui a beaucoup fait réagir Ilaria : 

Ce n’est pas parce que les femmes vont avoir le droit d’avorter qu’elles vont voler à celles qui choisissent d’avoir un enfant, le droit de ne pas avorter. Ça n’a pas de sens, c’est comme pour le mariage de personnes de même sexe, ce n’est pas parce qu’ils se battent pour avoir le droit de se marier, qu’ils vont soudainement voler le mariage aux couples hétérosexuels.

Sur le sujet du mariage homosexuel, Giorgia Meloni n’est pas aussi virulente, que sur le sujet de l’adoption pour ces couples. Elle, qui a déjà présenté un projet de loi en tant que députée qui vise à pénaliser les couples qui auraient recours à une GPA même à l’étranger, a déclaré dans un entretien télévisé au sujet de l’adoption par des couples homosexuels : « Que les homosexuels aient le droit de se marier civilement ok, mais je suis contre l’adoption pour les couples homosexuels, car pour moi un enfant qui n’a déjà pas eu de chance, doit avoir le maximum de chance de réussir dans la vie ce qui veut dire une mère et un père, une situation familiale stable. » Ce à quoi Enrico Letta, ancien Premier ministre italien et politicien centre gauche lui répond sur le plateau : « Dans cette situation, je pense que ce qui compte le plus, c’est l’amour que ces personnes ont à donner à l’enfant. » Elle répond en lui coupant la parole que ce n’est pas de l’amour et que l’amour n’a rien à faire là dedans, citant alors sa propre situation familiale, elle qui a été élevé par une mère seule, affirmant que ce n’est pas parce que sa mère l’a élevée seule qu’il n’y avait pas d’amour. « Je parle ici uniquement d’une situation stable, d’un niveau de vie assez élevé pour élever un enfant et d’une stabilité apporté par un père et une mère qui font les conditions parfaites pour un enfant », renchérit-elle. Une séquence qu’Ilaria a visionnée en direct et qui l’a mise hors d’elle : « Comment peut-elle dire que ce n’est pas de l’amour ? Qui est-elle pour statuer sur cela ? Ils ne pourront pas adopter d’enfants, des enfants qui ont juste besoin d’une famille aimante justement. Des enfants qui auraient pu être adoptés par deux mamans ou deux papas, vont rester dans le système d’aide à l’enfance à cause de sa décision ? Ça me tue rien que d’y penser… » Ilaria poursuit des sanglots dans la voix : « Elle semblait si sûre de ses propos lors de cette interview, elle tient tellement à faire respecter le modèle de la famille traditionnelle alors qu’elle a elle-même été élevée sans père depuis sa naissance, elle a eu un enfant hors mariage. Giorgia, qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? S’il te plaît, si tu souffres encore de traumatismes dûs à ton enfance à 45 ans, va consulter un thérapeute et laisse nous tranquilles, car on ne t’a rien demandé. »

Une Trump italienne ?

Si en Europe, Giorgia Meloni est comparée à la candidate française Marine Le Pen, Ilaria, elle, la compare plutôt à l’ex-président des Etats-Unis avec qui elle partage sa politique restrictive en matière d’immigration : « Quand Trump a gagné les élections, il y a eu très vite de nombreux épisodes de violence et de haine qui se sont déroulés. Avec Meloni, je pense que les choses seront pareilles. En fait, tous ceux qui ne sont pas ses partisans sont vraiment tristes, en colère et surtout terrifiés. » Lorsqu’on lui demande si elle se sent trahie par la génération de ses ainés qui a massivement voté en sa faveur, Ilaria répond : « Oui un peu mais je m’y attendais, même si j’espérais que ça n’arrive pas. Je me sens davantage trahie par la jeune génération, par les gens de mon âge qui ne se sont pas déplacés pour aller voter et lui faire barrage. Les jeunes en Italie sont pour la plupart désintéressés de la politique et n’y connaissent quasiment rien ce qui est très dangereux, car vous laissez votre vie entre les mains des autres en vivant de cette manière. » Des faits confirmés par le taux d’abstention très haut qu’a révélé le scrutin. Lorsqu’on lui demande ce qu’elle retient de cette victoire de Giorgia Meloni, Ilaria reste pleine d’espoir pour l’avenir, elle souhaite se battre pour faire changer les choses : « Cette situation me fait prendre conscience qu’il faut trouver une solution, car en faisant cela les anciennes générations ont condamné leur propres enfants et petits-enfants. Je ne peux pas laisser les choses se passer jusqu’à ce que, à mon tour, j’ai des enfants et qu’eux aussi se retrouvent dans la même situation. » Elle conclut :

Des gens se sont battus pour que mes enfants n’aient plus à se battre pour leurs droits, je ne peux pas laisser faire ça, moi et les gens de mon âge, on doit se battre tous ensemble pour que ce genre d’élection n’arrive plus parce qu’on vient de voir concrètement que ce pays s’en fout de nous. Le pays nous a laissé tomber nous, la jeune génération qui veut du progrès, de la tolérance, de la liberté et du vivre-ensemble. On doit s’unir pour changer les choses aujourd’hui et pour la génération future.

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