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TÉMOIGNAGE: elle nous raconte l’ascension qui a changé sa vie

Justine Rossius
Justine Rossius Journaliste

Grimper dans l’obscurité des heures durant, sentir son souffle s’écourter, escalader des murs de glace et puis, à bout de force, arriver au sommet et s’émerveiller. Pauline, 34 ans, avait 32 ans quand elle a grimpé le Huayna Potosí en Bolivie, dont le point culminant se trouve à 6088 mètres. Elle nous raconte cette expérience transformatrice.

«À 30 ans, après une rupture amoureuse, j’ai démissionné de mon boulot dans une ONG pour partir voyager! Je sentais que c’était le ­moment et que je n’avais plus ­vraiment d’attaches en Belgique. Quand j’étais petite, j’ai vécu en ­Amérique Latine, au Pérou. Mes ­parents ont entretenu un lien avec le pays et j’ai toujours su que j’y retournerai un jour. C’était le moment! J’avais envie de vivre et de vibrer. Je suis partie près d’un an en Amérique du Sud.

Je voyageais depuis 8 mois lorsque je suis arrivée en Bolivie pour l’ascension du Huayna Potosí. Je trouve qu’il y a une énergie incroyable dans les Andes. Les populations ­locales font régulièrement des ­pèlerinages au sommet de ces ­montagnes pour se recueillir et ­vénérer les esprits de la montagne. C’est sacré et cela se sent. Physiquement, je n’ai pas suivi d’entraînement spécifique avant cette ascension, mais je suis de nature sportive et j’avais déjà énormément marché lors des premiers mois de ce voyage, mais avec l’alpinisme, rien n’est gagné.

En montagne, il faut respecter les paliers. Prendre le temps de s’acclimater. Tu peux être très entraîné physiquement et très mal gérer l’altitude.

Dans les villages, je discutais souvent avec les guides locaux qui ­m’expliquaient que des personnes très sportives étaient amenées à ­l’hôpital fréquemment, et des œdèmes cérébraux et pulmonaires surviennent souvent chez les grimpeurs. Le danger est réel. Il faut prendre au sérieux ce critère et respecter les paliers. Prendre le temps de s’acclimater. Tu peux être très ­entraîné physiquement et très mal gérer l’altitude. Tu ne sais pas à quelle sauce la montagne va te manger! Ce sont les bons frissons de la vie! J’ai choisi un guide certifié: c’était très important pour moi de ne pas faire de concessions sur ma sécurité. ­Toutefois, j’ai payé à peu près 300 €, ce qui n’est pas grand chose pour une ascension. Cela reste un des sommets les plus accessibles du monde en termes de prix. Je voulais me prouver que j’étais capable de monter au delà de 6000 mètres, mais ce qui me motivait vraiment dans ce défi, c’était de me connecter avec la nature. Dans 20 ans, il est peu probable que ces sommets enneigés existent encore. Je me disais que mes futurs petits-enfants ne connaîtraient peut-être jamais la beauté de ces glaciers. Les guides locaux m’ont d’ailleurs tous dit ne plus reconnaître la montagne depuis quelques années.

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Un puissant mal de tête

Avant l’ascension, je stressais ­beaucoup à l’idée de ralentir le groupe. Nous partions en cordée: si j’abandonnais, tout mon groupe ­devait abandonner… et vice versa! ­Finalement, je me suis d’abord retrouvée dans un groupe composé d’un Français et du guide, ce qui m’a déjà soulagée. Nous sommes partis de la Paz, en van, jusqu’au premier refuge, où nous avons ensuite fait notre école de neige. L’ascension comporte en effet un mur de glace: nous avons dû nous entraîner à utiliser nos crampons et notre piolet. C’était très difficile et ça m’a ­beaucoup stressée! Heureusement, mon guide avait l’air confiant et ­n’arrêtait pas de me dire ‘Spider man, spider man’ (rires). Quand la nuit est finalement tombée, j’ai commencé à avoir le mal d’altitude…

J’ai eu un mal de tête comme jamais je n’avais ­ressenti auparavant. J’avais l’impression que ma tête allait ­exploser. Je pleurais de douleur dans mon lit, n’osant pas réveiller le ­Français dans ma chambre par ­respect pour son sommeil, si précieux pour le reste de notre aventure… J’ai finalement osé aller réveiller mon guide. Il m’a dit: ‘Ok, tu as 2 choix: soit j’appelle les transports d’urgence et tu repars à la Paz. Soit je te donne un médicament contre le mal d’altitude et on voit ce qui se passe.’ Il faut ­savoir que ce médicament agit comme un anti-douleur: en cas de développement d’un œdème, il ne fait donc que couvrir la douleur sans soigner la cause. J’ai accepté de le prendre. Je ne me voyais pas du tout rentrer. Le médicament a fait son effet et le lendemain, au réveil, j’allais déjà mieux. On a commencé la première partie de l’ascension. Le mal d’altitude est revenu, mais j’ai retrouvé 2 Belges que j’avais déjà rencontrés au Pérou, et ça m’a ­beaucoup motivée. J’avais de la ­musique dans les oreilles: ça me ­permettait de déconnecter et de me plonger dans un univers parallèle. Le fait d’écouter de la musique me permettait de ne pas entendre mon souffle, car en altitude, la ­respiration devient de plus en plus courte, ce qui peut être assez angoissant.

Mon guide, exceptionnel, a été d’une aide infaillible. À chaque fois que je lui disais que je voulais abandonner, il me disait: ‘encore 20 mètres!’

Abandonner ou continuer?

Nous sommes arrivés au second refuge: on a été se coucher à 19 h, car à minuit, on devait partir. Pendant 5 h 30, nous avons grimpé. J’avais un nombre incalculable de pensées à la seconde. J’avais l’impression d’avoir un petit ange et un démon, l’un à côté de l’autre, l’un me disant d’abandonner et l’autre de continuer. Ce dialogue interne était épuisant, j’ai pensé rebrousser chemin au moins 50 fois. Le fait d’être professeure de yoga, de pratiquer la méditation ainsi que des exercices de respiration m’ont été d’un gros soutien lors de cette ascension. Mon guide a aussi été d’une aide infaillible. On dit toujours qu’en montagne, c’est un pas à la fois. À chaque fois que je lui disais que je voulais abandonner, il me disait: ‘encore 20 mètres!’ Sans oublier le groupe de garçons qui a été adorable avec moi, m’attendant à chaque étape.

J’ai monté ce mur de glace à coup de piolets avec une force et une hargne qui me sont sorties de je ne sais où. C’était dingue!

La solidarité

Quand je suis arrivée devant le ­fameux mur de glace, j’étais épuisée physiquement. Je ne portais plus mon corps. J’ai vu ce mur et j’ai dit à mon guide que je n’aurai pas la force, que c’était trop dangereux. Les ­garçons m’ont alors dit que c’était hors de question, que je devais les suivre! Et c’est là que j’ai expérimenté toute la solidarité de la montagne. C’était incroyable. Sans la force du groupe, j’aurai fait demi-tour. Je me suis lancée… C’était impression­nant, car il suffit de ­regarder à côté de ses pieds pour réaliser qu’on a une crevasse sous les pieds. J’ai monté ce mur de glace à coup de piolets avec une force et une hargne qui me sont sorties de je ne sais où. C’était dingue! Ce genre ­d’expérience permet de ­sortir des ressources insoupçonnées. Après le mur, j’ai failli abandonner au moins 10 fois. Ma ­motivation s’étiolait, je somnolais, mon souffle devenant à chaque pas de plus en plus court. J’hyperventilais à un tel point que je me mettais à ­divaguer et rentrais dans un état ­second. On est alors arrivés devant une crête à traverser, le précipice sous mes pieds. À nouveau, j’étais épuisée et je trouvais ça dangereux de continuer. Mon guide m’a dit: ‘Il reste 100 mètres, on essaye encore!’ Il restait encore la traversée des roches. Une partie très challengeante ou l’on risquait de déraper à chaque pas. Malgré la difficulté, j’ai ressenti une poussée d’adrénaline, comme une urgence d’arriver au sommet. Une force sortie de nulle part m’est apparue. J’ai rattrapé les garçons, je les ai même dépassés. J’étais déterminée comme jamais!

L’émerveillement

Je suis arrivée la seconde au sommet, avec un sentiment ­indescriptible, ­jamais ressenti jusqu’alors. Mon guide m’a ouvert grand les bras. Je ne le connaissais que depuis quelques heures, mais le fait d’avoir vécu cette expérience ­incroyable ensemble nous unissait pour la vie. Les émotions que j’ai ­ressenties étaient incroyables. J’étais subjuguée par la beauté du paysage, entourée par les nuages avec le soleil qui pointait le bout de son nez. C’est là que j’ai compris tous mes amis sportifs, qui ressentent une espèce d’addiction à ce genre de challenges. J’ai compris la soif d’en vouloir plus. De découvrir autant de ­sommets possible. Je pense qu’il faut le vivre pour le comprendre, mais à ce moment-là, il fallait encore descendre et je peux vous dire que la descente est presque aussi difficile que la ­montée. Il faut prêter attention à tout, pour ne pas risquer d’accidents, et l’adrénaline de la montée n’est plus présente. Heureusement, j’étais ­rattrapée par la beauté du spectacle. Les glaciers à perte de vue, que je pouvais observer de jour.

Je me ­rappelle arriver en bas, marcher vers le van et me retourner pour regarder ce sommet que j’avais escaladé. J’étais galvanisée de fierté. Avec le recul, cette ascension m’a permis de découvrir ce que c’était de puiser dans ses ressources. Et de réaliser la place du mental dans nos choix de vie. Je me rattache souvent à cette sensation: je me dis que je peux tout faire. Mon corps m’a surprise et mon mental aussi: c’est une danse entre les 2. C’est aussi une expérience ­d’humilité: en ­montagne, on se retrouve confronté à sa vulnérabilité. On se sent minuscule face à ­l’immensité de la nature. Ça remet à sa place en tant qu’être humain, car les éléments de la nature auront ­toujours le dernier mot. Ce fut une expérience transformatrice, qui m’a donné envie de ressentir à nouveau ce frisson de la vie. ­Pendant toute ­l’ascension, je me suis dit que j’étais dingue de m’infliger ça et en arrivant en haut, j’ai pensé: ‘À quand la ­prochaine?’ C’est en ce sens que la résilience de l’être humain est ­formidable. Et c’est aussi là que l’on se rend compte de la puissance de notre capacité d’émerveillement. On gagne tous à travailler sur cette faculté à s’émerveiller car c’est cela qui nous fait oublier les choses plus négatives de la vie. Et pas besoin de monter à 6000 mètres pour ça! »

Suivez Pauline sur Instagram: @paulinestravel

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