TÉMOIGNAGE: ““J’ai failli perdre la vie lors d’un accident de la route””
Adèle, 33 ans, a frôlé la mort lors d’un accident de la route grave, qui l’a plongée dans le coma pendant 1 mois. 2 ans plus tard, elle se confie sur ce sentiment étrange qui l’habite: celui d’avoir vécu une renaissance.
« C’était le 3 juillet 2021. Je revenais d’une garden party, j’avais été voir le match Belgique-Italie avec des amies avec qui je jouais au foot à la BBFL (Belgian Bright Football League, la ligue de football amateur féminin en Belgique, ndlr). Ce sont elles qui me l’ont raconté, car je ne me rappelle plus des 2 semaines qui ont précédé l’accident. Après le match où je n’avais bu que 2 verres, je suis rentrée en voiture, et j’ai percuté un camion, qui était mal garé à une sortie d’autoroute. On m’a raconté que j’avais dit, pendant cette soirée, que j’étais fatiguée et que j’avais mal réagi au vaccin de Covid-19. Quand je parle de tout ça, j’ai l’impression de parler d’une autre personne, c’est étrange. Je n’ai plus aucun souvenir de l’accident, mais il m’arrive d’avoir de légers flash-back du bruit ou du choc sur ma tête. C’est ma tête et mon bras qui ont tout pris: j’ai eu de sévères lésions cérébrales, une hémorragie cérébrale, les vertèbres de ma nuque fracturées, à quelques millimètres de la moelle épinière. J’aurai pu y passer ou finir tétraplégique. Mon bras gauche était tellement abîmé que les médecins ont pensé à l’amputer. Je suis tombée dans le coma immédiatement, et les médecins m’ont ensuite plongée un mois dans un coma artificiel pour que je subisse les opérations les plus urgentes. Quand je suis finalement sortie du coma, les médecins et mon père se sont fait du souci pour mon état mental. Je perdais la tête, dû sans doute, à la morphine, aux diverses anesthésies et au choc cérébral. Je racontais n’importe quoi, je divaguais: je disais que j’avais accouché du bras, ou que j’étais à l’hôtel avec vue sur la mer, j’oubliais qui était venu me voir…. Mes amis ont été très présents, je me demande souvent ce que j’ai fait pour mériter tant d’amour. Mon père venait aussi me rendre visite tous les jours, il a été énormément présent et s’était donné comme mission de me rééduquer, comme lorsque j’étais enfant: il me demandait de lui dire mon âge, mon prénom, de lire l’heure… Petit à petit, j’ai repris possession de mes capacités intellectuelles, même si je remarque que je suis encore plus lente qu’avant l’accident. J’ai finalement quitté l’hôpital début septembre, et j’ai été habiter chez mon père jusque fin novembre, le temps de retrouver mon autonomie.
Retrouver qui je suis
Au début, ça a été très difficile: j’avais l’impression d’être un monstre. On m’avait rasé la tête pour les opérations, je n’avais plus mes règles, il manquait des bouts de peau sur mes jambes et sur mon dos, mon bras gauche avait subi de nombreuses greffes et n’était pas très beau à voir… Je ne me reconnaissais plus. J’ai dû réapprendre à marcher, à parler, à lire, à me faire à manger, à me laver. Mais plus que ça, j’ai dû réapprendre qui j’étais. Avec cet accident, j’ai vécu une perte d’identité complète: je ne reconnaissais même pas ma propre odeur. Quand je suis revenue dans mon appartement pour la première fois, j’ai beaucoup pleuré en réalisant que je ne reconnaissais plus l’odeur de mon chez moi non plus. Les réseaux sociaux m’ont été précieux: je passais des heures à visionner mes archives sur Instagram et à relire des anciennes conversations sur Messenger. Je voulais savoir qui était la Adèle d’avant l’accident, comme elle s’habillait, comment elle parlait, mais aussi qui étaient les gens qui avaient vraiment été là pour moi.
Moralement, j’ai vécu des montagnes russes: des moments d’extase extraordinaires, où j’étais si heureuse de pouvoir rigoler à nouveau avec mes amis, fêter Noël ou un anniversaire.
Mais aussi des angoisses énormes: j’ai eu des pensées suicidaires, je me suis fait peur quelques fois. J’ai été et je suis toujours suivie par une psychologue et j’ai pris des antidépresseurs pour tenir le coup. Je me sentais en décalage avec tout le monde. Autour de moi, la vie avait continué lors de mes mois d’hospitalisation. Il y avait eu des grossesses, des naissances, des étapes de vie franchies. La mienne avait été mise sur pause et au début, tout semblait tourner au ralenti. J’ai longtemps essayé de rattraper ce décalage, en étant présente le plus possible pour mes amis, mais j’arrive doucement à lâcher prise par rapport à ça. Je sens que désormais, ma vie continue aussi à un rythme normal et ça me fait beaucoup de bien.
Récupérer la vie d’avant
Il m’a fallu du temps avant de réaliser que je ne retrouverai jamais tout à fait ma vie d’avant. Quand j’ai eu cet accident, j’étais au top: je venais d’évoluer vers un nouveau challenge au sein du cabinet de recrutement spécialisé dans lequel j’étais très performante depuis près de 5 ans. Et ce job me passionnait. Je gagnais très bien ma vie et j’étais en couple, depuis quelques mois, avec un homme avec qui, pour la première fois, je parvenais à me projeter dans un avenir avec enfant. Notre couple n’a pas survécu à l’accident et m’a permis de réaliser qu’il n’était pas suffisamment présent pour moi. Après l’accident, j’ai voulu très vite récupérer tout ça: travailler à nouveau, au même poste, faire des dates et me remettre en couple. J’ai dû me confronter à la réalité: au niveau professionnel, ça n’a pas fonctionné comme je l’aurais voulu. J’avais encore quelques soucis d’attention, de concentration et de mémoire et j’ai été arrêtée après un épuisement mental. Ça a été dur à accepter au début: est-ce que j’allais un jour pouvoir refaire ce boulot? Retrouver toutes mes capacités mentales? Ma neurologue m’a expliqué que les lésions dans mon cerveau n’allaient plus évoluer, mais que le cerveau, étant plastique, allait trouver des compensations: si les anciennes connexions ne fonctionnent plus comme avant, il va trouver naturellement d’autres chemins. Cela explique que je sois encore si fatiguée deux ans après l’accident: mon cerveau travaille sans cesse à se réadapter. J’ai récemment été licenciée et finalement, ça a été une vraie délivrance. Je me raccrochais à ce travail comme s’il s’agissait du dernier lien avec la Adèle d’avant. Au niveau sentimental, je me suis inscrite très rapidement sur les applications après mon accident. J’utilisais des anciennes photos de moi car je n’acceptais pas encore mon nouveau visage, mon nouveau corps. J’ai longtemps repoussé l’étape du date, par peur du regard des autres, et puis, un jour, je me suis sentie prête pour une rencontre. Me reconnecter à ma féminité et à mon corps, de cette manière, a été très salvateur. Je me rappelle très bien de la première fois où je me suis à nouveau fait draguer dans une soirée. Me sentir belle à nouveau dans les yeux d’un homme a fait partie de mon processus de guérison.
Une renaissance
Au fond de moi, c’est très difficile à expliquer, mais je sens que j’ai vécu quelque chose de l’ordre d’une renaissance. Ma famille, et en particulier mon père, n’aime pas que je dise que je suis: ‘une nouvelle Adèle’. Sans doute parce que ça voudrait dire que l’ancienne Adèle n’est plus et qu’il y a un deuil à faire malgré le fait que j’aie survécu. Mais je sens au fond de moi que je ne suis plus tout à fait la même. Mon corps est différent: à cause de mon bras qui a été reconstruit, je ne pourrai plus jamais faire certains gestes, comme me mettre une boucle d’oreille ou manger avec deux couverts. J’ai aussi perdu une partie de mon champ de vision que je ne récupérerai pas à 100 %. Ma manière de voir les choses est littéralement différente. Mon odorat a aussi été modifié car mon nerf olfactif a été lésé. Le toucher au niveau de ma main gauche est aussi altéré. Tous mes sens ont changé. Je dois apprivoiser un nouveau corps. Faire connaissance avec lui. Au niveau psychologique, j’ai aussi changé: je n’ai jamais eu peur de la mort, mais maintenant, c’est pire: je suis très fataliste, j’ai conscience qu’on va tous mourir à un moment ou un autre, ce qui me permet de prendre du recul sur tout. Je pense que j’ai mis un orteil dans la mort et que ça a tout changé. Je suis encore plus fonceuse, je me fous du regard des autres, du qu’en dira-t-on. C’est positif d’une certaine façon, mais ça peut aussi faire peur à mon entourage. Je ne rassure pas toujours les proches qui ont eu peur pour moi.
Mon accident a fait exploser toutes les barrières que je me mettais: cette pression de me montrer parfaite en permanence. L’ancienne Adèle mettait la barre si haut.
Aujourd’hui, je suis beaucoup moins dure envers moi-même. Ça peut sembler anecdotique; mais je ne me maquille quasi plus là où avant, il m’était impossible de sortir sans un maquillage complet. Je fais moins attention à comment je m’habille. Moi qui ai toujours été très complexée par mon ventre, notamment, je réalise que j’ai beaucoup moins de complexes qu’avant. Cet été, je suis partie en vacances toute seule à Majorque, ce que je n’aurai jamais osé faire avant. J’ai beaucoup moins de barrières par rapport à l’image que je veux montrer de moi. C’est comme si mon accident avait développé certaines facettes qui existaient déjà en moi, mais que j’avais réprimées, à force de carapaces et d’œillères. Aujourd’hui, je suis vivante, donc je vis! J’ai besoin de me sentir libre, et d’envoyer valser ce qui entrave ma liberté. J’ai aussi perdu pas mal de filtres après l’accident: j’ai dû réapprendre certains codes de la société, pour ne pas blesser les gens autour de moi. Mais à côté de ça, ça me rassure de voir que mes amis sont toujours là pour moi et que j’ai retrouvé cette même intensité dans mes amitiés: je me dis que ça doit vouloir dire que je suis toujours un peu la même aussi. J’ai toujours ce côté fêtard, jovial, sociable, cette ouverture d’esprit, ce sens de l’humour et cette générosité qui me caractérisaient déjà avant. Ça fait entièrement partie de moi et c’est apaisant de m’en rendre compte. Il y a ma force aussi: celle que mon père m’a inculquée. Il m’a toujours appris qu’il était possible de trouver du positif dans les pires situations. Aujourd’hui, je pense pouvoir dire que l’élève àa dépassé le maître (rires). Je sens qu’une page s’est tournée et que l’accident est enfin derrière moi. Je me concentre sur l’avenir et j’ai comme projet de partir en Australie. Un rêve qui sommeille en moi depuis que je suis enfant et que l’ancienne Adèle n’aurait sans doute pas eu l’audace de réaliser…»
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