Gen F

En rejoignant la communauté, vous recevez un accès exclusif à tous nos articles, pourrez partager votre témoignage et…
© Shutterstock

Témoignage: ““J’ai survécu à deux overdoses””

Barbara Wesoly

Julie, 25 ans, était alcoolique à 15 ans. Plus tard, elle est devenue accro à la cocaïne. Durant des années, elle a menti au sujet de ses addictions, mais après avoir une première overdose, elle n’a plus pu nier son problème. Aujourd’hui, elle essaye d’être clean.


“Cela fait environ trois mois et demi que je suis dans une institution psychiatrique pour jeunes dépendants à l’alcool ou à la drogue. Au début, j’avais très honte. Moi, en psychiatrie? J’ai essayé de le cacher le plus possible. Comme si avoir cette étiquette était pire qu’être saoûle ou shootée à la maison. Maintenant j’en suis fière. Je suis venue ici pour chercher de l’aide et ce faisant, je me suis moi-même aidée. Ici, on vous explique que la plupart des gens passent par différentes phases avant de tomber accro. De l’expérimentation à l’usage régulier, et ainsi de suite jusqu’à la dépendance, où les freins qui contrôlent votre consommation se brisent.

J’avais 15 ans lorsque j’ai bu pour la première fois. Une Kriek, comme pas mal d’autres fille. Mais dès cette toute première fois, je suis allée trop loin: je m’en souvenais à peine le lendemain.


Les années qui ont suivi, les black-outs se sont succédé à un tel rythme que je ne peux même pas les compter. L’alcool est très vite devenu un gros problème. J’habitais encore à la maison, ce qui fait que je ne pouvais pas boire en semaine, mais le week-end, je buvais comme un trou. Des alcools forts avec des sodas ou du jus de fruit, de sorte que ça ne sente plus trop l’alcool. J’étais entourée par un groupe d’amis qui buvaient aussi beaucoup. J’ai fait des choses stupides, dont j’ai terriblement honte. Me réveiller dans la rue sans savoir comment j’ai atterri là, par exemple. Ou m’endormir sur le comptoir, obligeant le barman à me ramener chez moi. Ou me faire jeter des cafés ou des boîtes parce que je pète un plomb.

Trop sensible


Parfois, j’essayais de diminuer ma consommation, mais ça ne durait jamais longtemps. Selon mon thérapeute, j’étais – et je suis toujours – hypersensible. Mon père buvait beaucoup, et quand j’étais toute petite, mes parents se disputaient violemment. Des cris, des hurlements, des larmes… J’étais constamment stressée et angoissée. Depuis très jeune, j’ai eu le sentiment que je devais prendre soin de moi-même et de ma petite sœur. C’était trop pour moi, je ne me sentais jamais en sécurité. Je ne voulais plus penser et ne plus rien sentir, alors je buvais. Et puis, j’avais aussi vu l’exemple de mes parents.

J’avais 20 ans lorsque j’ai fait une overdose. J’avais les idées noires depuis longtemps déjà, mais je ne pouvais me confier à personne. Personne pour m’aider à relativiser mes problèmes.


J’avais parfois un petit copain, mais la plupart du temps, ce n’étaient pas des garçons fréquentables. Mon dernier petit ami buvait lui aussi beaucoup trop, et il m’a entraînée avec lui. Juste après qu’il m’ait larguée, j’ai découvert que j’étais enceinte. Ça a été mon point de rupture. J’ai pris tous les médicaments qui me passaient sous la main et je les ai avalés avec des litres d’alcool. Mon père m’a trouvée juste à temps et a appelé une ambulance. Je me suis réveillée à l’hôpital, furieuse d’être encore en vie. C’est seulement alors que mon entourage a vu à quel point j’allais mal… Je ne les blâme absolument pas, parce que j’ai vraiment bien caché mon jeu. Ils pensaient que je n’aimais pas l’alcool.

Excellente menteuse


Après cette overdose, j’ai passé une semaine dans un service de crise pour toxicomanes. J’ai aussi suivi une thérapie, à la demande de mes parents, mais je continuais à cacher l’ampleur de mon problème d’alcool. D’ailleurs, je trouvais même que je n’avais aucun problème. Je buvais de temps en temps pour me sentir mieux, c’est quand même permis, non? J’ai été habiter avec mon meilleur ami car ce n’était plus vivable à la maison, mais évidemment, ça a empiré. Sans plus aucune forme de contrôle social, j’ai commencé à boire aussi en semaine. Je mentais à tout le monde, et je me sentais coupable à l’égard de mes amis et de ma famille. Qu’étais-je en train de leur faire? J’étais dans une confusion de sentiments, je n’avais pas surmonté cette grossesse avortée, et je me suis mise à boire de plus en plus. Normalement je suis une piètre menteuse, mais à propos de l’alcool j’ai toujours réussi à mentir facilement. Un comportement typique des personnes intoxiquées…

Noyée dans l’alcool


Physiquement, je ne me suis jamais sentie aussi mal que lorsque je suis arrivée dans le centre. J’ai tremblé pendant des jours, j’avais des vertiges et je devais continuellement vomir durant le sevrage. Mais j’ai remonté la pente assez facilement sur le plan physique. J’en avais tellement marre quand je suis arrivée ici, je voulais en finir avec l’alcool. Il ne restait plus rien de moi, de la fille que j’avais été un jour. Je m’étais toujours battue pour faire quelque chose de ma vie. J’étais engagée, je travaillais comme bénévole dans une plaine de jeu et je participais à des compétitions sportives. Cette Julie-là avait disparu, complètement noyée dans l’alcool. J’ai néanmoins poursuivi mes études et j’ai même miraculeusement obtenu deux baccalauréats! Incroyable, car j’allais même jusqu’à boire avant un examen. Je ne sais toujours pas comment j’ai pu réussir… Après mes études, j’ai commencé à travailler, mais j’étais alors déjà très loin. À l’époque, je buvais trois bouteilles de vin par jour et je ne pesais plus que 47 kilos à peine.

Et puis, la coke


Mon petit copain de l’époque prenait de la cocaïne de temps en temps. Jusqu’alors, je m’étais toujours tenue à l’écart des drogues, parce que je me rendais bien compte aussi qu’il ne m’en faudrait pas beaucoup pour tomber accro. Mais un jour, nous étions à une soirée où tout le monde continuait à faire la fête sans problème à 6 h du matin tandis que moi, j’étais crevée. Alors j’ai sniffé une ligne. Ce qui a été vraiment stupide de ma part, car j’ai immédiatement adoré ça. Heureusement, la cocaïne coûte très cher, sinon, ça aurait été pire encore. Même si j’ai dilapidé dans la coke des milliers d’euros, mes économies durement gagnées… Je travaillais avec des jeunes et heureusement, j’ai toujours gardé la notion du bien et du mal. Bousiller ma vie était une chose. Mais je ne voulais entraîner personne d’autre dans ma chute. Dealer, par exemple, est une chose que je n’ai jamais faite. Je n’ai jamais volé ou fait de mal à quiconque, et je ne buvais jamais au travail.

Mais lorsque mon mec est parti, j’ai pris toute la cocaïne qui se trouvait à la maison, jusqu’à ce que je commence à vomir du sang. Par chance, un ami m’a trouvée.


Mes souvenirs sont très flous, mais j’ai réalisé que je devais réagir. J’ai arrêté de travailler, pour m’attaquer enfin à mon problème. Je suis d’abord partie en voyage quelques semaines; loin de tout et de tous ceux autour de moi qui se droguaient. Je suis restée clean mais dès qu’on est rentrés en Belgique, j’ai replongé. Le tournant est arrivé deux ou trois mois plus tard, après une grosse dispute avec mon colocataire où, sous influence, je m’étais cassé le doigt lors de notre empoignade. Ma petite sœur m’a emmenée aux urgences. Elle m’a suppliée de la laisser m’aider. J’avais pris soin d’elle pensant très longtemps, avant de complètement la laisser de côté ces derniers temps. J’étais seule, dans un studio crade, sans travail et sans amis, mais entourée de toxicomanes. Des gens que je connaissais à peine et qui profitaient de moi. J’avais écarté ma sœur de ma vie. Je ne faisais que décevoir mes parents. J’avais commencé à boire parce que je voulais oublier des choses, mais tout à coup, je me retrouvais totalement perdue. J’ai pris le téléphone et j’ai appelé le centre où je suis pour l’instant, en demandant s’ils acceptaient de m’aider.

Toi, version “droguée”


Ici, nous sommes trois filles dans un groupe de douze. Une minorité. Pourtant, je connais dans mon entourage autant de femmes que d’hommes qui luttent contre l’alcool et les drogues. Je pense qu’elles font plus longtemps profil bas: elles ont davantage honte de l’avouer. Beaucoup de garçons ne sont pas non plus démasqués en tant qu’usagers. Mais ils commencent à dealer pour financer leur propre consommation et sont ainsi arrêtés par la police. J’ai beaucoup en commun avec les deux autres filles. Nous sommes en proie au même sentiment de culpabilité à l’égard de nos proches, nous éprouvons la même honte pour ce que nous leur avons fait. Mais vous devez essayer de passer à autre chose pour pouvoir aller de l’avant. Vous devez réaliser que ces choses que vous avez faites, c’était ‘vous en version droguée’. Ici, on comprend tout à fait ce que c’est d’être dépendant. A l’extérieur, on nous dit: ‘Tu n’as qu’à arrêter’, mais ici, tout le monde sait que sans aide, c’est impossible, et que vous êtes malade. Que vous ne pouvez simplement pas y arriver seule. Ça ne veut pas dire que ce n’était pas un grand choc d’atterrir ici. Mon GSM a été confisqué, je ne pouvais avoir aucun contact avec ma sœur ou le monde extérieur, et j’ai dû me couper de tous les réseaux sociaux pour éviter d’être en relation avec d’autres toxicomanes.

Je ne pouvais plus fuir mes problèmes, mais je pouvais aussi les confier à quelqu’un d’autre. Quelqu’un d’autre allait prendre soin de moi à présent. On me disait quand je devais dormir, me lever et manger. J’avais besoin de ça à l’époque. Je n’ai non plus jamais pensé à partir, même si c’est arrivé à d’autres. Je pense que j’étais prête.

De la chance


Je peux enfin dire que mon père est heureusement arrivé à temps lorsque j’ai fait mon overdose. Que je suis heureuse de ne pas être morte. Je n’ai pas pu reconnaître ça pendant longtemps, ce n’est pas ce que je ressentais. Ici j’ai retrouvé la force de vivre, parce que je suis clean maintenant. Et aujourd’hui je réalise à quel point l’alcool et la drogue ont aggravé mon mal-être.

Vous buvez parce que vous croyez que ça va vous rendre moins malheureuse, mais en réalité, ça ne fait que vous tirer plus encore vers le bas.


Je me prépare à bientôt quitter le centre. Je fais du bénévolat et je travaille dans des camps pour jeunes. Je sens que j’aime faire ça et que je suis douée dans ce domaine, et ça me redonne confiance en moi. Je cherche un travail, mais ce n’est pas simple avec un trou d’un an sur mon CV. Pour l’instant, je n’ai pas de grand rêve. J’aimerais trouver un boulot, habiter seule et me remettre sur les rails. Et ensuite, peut-être, trouver un gentil amoureux. Mais les choses importantes d’abord (rires). Mon plus grand souhait maintenant est de vivre de façon clean. Partir d’ici procure un double sentiment. C’est effrayant.  Mais j’ai aussi très envie de commencer une nouvelle vie. Je me sens forte. En tout cas, je serai encore surveillée de près pendant un petit moment, et je peux toujours me tourner vers mes éducateurs. Je suis aussi très soutenue par ma sœur et mes parents, et je leur en suis extrêmement reconnaissante. Dans l’ensemble, je ne m’en suis pas encore trop mal tirée. Je n’ai pas de dettes, il me reste quelques amis, mon corps n’est pas complètement fichu et je n’ai pas tout gâché avec ma famille. Je n’ai pas de casier judiciaire et je peux donc encore travailler avec des enfants. J’ai eu de la chance.

Une renaissance


Le médecin m’a prévenue que la première année de sobriété paraît souvent plate et terne. Que je dois lutter contre ça. Quand vous êtes dépendante, la zone de plaisir de votre cerveau a été tellement affectée que vous ne réagissez plus qu’aux stimuli extrêmes. Je comprends ce qu’il dit, et parfois en effet, je ne sais pas quoi faire de moi-même, mais je profite quand même énormément des petites choses. Je savoure aujourd’hui le plaisir d’être assise à table, d’avoir une conversation normale avec quelqu’un, de m’asseoir au soleil, de sentir l’herbe sous mes pieds, de regarder les arbres et les oiseaux, d’être réveillée par mon réveil qui sonne et de pouvoir ensuite déjeuner, d’oser à nouveau sortir de chez moi sans devoir m’armer de courage… J’aime me lever et ne pas avoir besoin d’alcool ou de drogue. C’est comme si je renaissais.

Je ne pourrai jamais oublier combien ça été grave, à quel point je suis tombée bas et que l’alcool est dangereux pour moi. Car la dépendance est une bête vicieuse. Un seul petit verre, et en une semaine, j’en serais à nouveau à trois bouteilles par jour. Je ne veux plus jamais revivre ça.


Il n’y a pas longtemps, j’étais à un festival, et à côté de moi, se trouvait un type que connaissait une amie. Il n’avait pas dormi, avait énormément bu et braillait des inepties de vieux bourré à tout le monde. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser: ‘Ai-je aussi été comme ça?’ Je ne veux plus jamais replonger. Jamais.”

Texte: Kaatje De Coninck et Stéphanie Ciardiello.


 

À lire aussi:

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Nos Partenaires