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© Erna Geerinckx/Leen Van Den Meutter

TÉMOIGNAGE: ““Je perds peu à peu la vue, mais je refuse qu’on me traite différemment””

Elien, journaliste chez Flair, a découvert, alors qu’elle était jeune adulte, qu’elle perdait lentement la vue. Elle s’est donnée pour mission de ne pas se laisser arrêter par la société.

« Bien que je sois génétiquement née avec cette déficience, ce n’est que vers l’âge de 20 ans que j’ai découvert que quelque chose n’allait pas. J’ai commencé à voir de moins en moins bien, mais j’ai d’abord pensé qu’une correction de lunettes plus forte réglerait le problème. Ce ne fut pas le cas. Il semblerait que je sois née avec une anomalie génétique qui me fait perdre ­progressivement la vue. Aujourd’hui, je n’obtiens qu’un score de 2,5 sur 10 à un test de la vue, mais ça ne fait que me motiver davantage à réussir dans la vie.

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Invisible

Aujourd’hui, je ne marche pas avec une canne blanche et mes proches me traitent parfois de “débrouillarde de haut niveau”. Il est vrai qu’au cours des quinze dernières années, j’ai appris beaucoup d’astuces pour dissimuler mon handicap. Par conséquent, la plupart des gens qui m’entourent ne remarquent pas qu’il y a quelque chose de “différent” chez moi. Cela me fait plaisir, car je ne veux pas que les gens me traitent différemment, mais aussi parce que sinon, je devrais trop souvent admettre qu’il y a des choses que je ne peux pas faire. Par exemple, je ne peux plus lire sans grossissement, je ne vois plus les visages et il m’arrive de butter contre une trottinette électronique mal garée. Néanmoins, le fait que l’on ne puisse pas voir ­immédiatement de l’extérieur que je suis une personne handicapée pose parfois problème. Malheureusement, de manière générale, les gens ne tiennent pas tellement compte des autres et osent parfois s’en prendre méchamment à moi si, selon eux, je vais un peu trop lentement ou si je me mets involontairement en travers de leur chemin. Mais ce qui me déconcerte le plus, c’est que les gens supposent que si vous avez l’air bien, que vous arrivez dans une belle voiture, que vous êtes bien maquillée et que vous portez une belle tenue, vous faites forcément ­semblant.

Aux yeux de la société, une personne handicapée n’aurait pas le droit de réussir dans la vie. Eh bien, désolée, mais je m’en sors très bien.

Par exemple, on m’a déjà balancé beaucoup de choses affreuses quand j’utilise ma carte de stationnement, que je suis autorisée d’utiliser si quelqu’un me conduit (parce que je ne peux pas conduire une voiture moi-même). Comme si une personne handicapée était censée avoir l’air moins bien ou devait être “anormale”, et qu’en tant que personne handicapée, vous n’étiez pas ­capable à la fois de bien gagner votre vie, avoir une belle carrière et posséder de jolies choses. Ou plutôt, n’aviez pas le droit d’avoir de belles choses. Comme si je devais ­m’asseoir dans un coin avec mon handicap et déclarer forfait parce que je ne corresponds pas à l’image idéale de quelqu’un qui réussira dans la vie. Eh bien, sorry, mais je m’en sors vraiment bien. 

L’illusion de l’inclusion

J’ai presque 35 ans et, en quinze ans, j’ai appris à demander de l’aide quand c’est nécessaire. Ce fut un énorme obstacle pour moi, car je suis plutôt indépendante. ­J’essaie également d’être moins agacée par les gens qui me prennent des choses des mains sans me le demander, “parce que je ne pourrai probablement pas le voir”. Je me rappelle alors que ces personnes sont bien intentionnées et je ravale ma fierté. Pourtant, il y a encore des choses que je trouve difficiles à faire. Au supermarché, par ­exemple, je préfère encore parier que je prends le bon produit (avec une date de péremption acceptable) plutôt que de sortir ma loupe pour lire l’emballage. Car lorsque je le fais, il y a invariablement des regards posés sur moi.

Tout comme quand je dois faire quelque chose sur mon téléphone portable en public et que les gens situés à plusieurs mètres arrivent aussi à lire. À ce moment-là, il y a toujours quelqu’un pour dire: “Waouh, c’est vraiment énorme.” Je devrais ne pas y prêter attention, pas vrai? Dans l’ensemble, je ne veux pas me plaindre, parce que je me considère toujours comme très chanceuse et que je vois mon propre handicap d’un point de vue très réaliste. Mais je mentirais si je n’admettais pas que ce serait encore plus chouette si je n’avais pas à me rendre compte que je ne suis pas tout à fait “normale”, parce que personne n’y prêterait attention, à moins que je ne demande ­expressément de l’aide. Nous, les personnes handicapées, ne pouvons qu’espérer, et témoigner, pour ensemble, rendre le monde plus inclusif et moins moralisateur. Pas seulement pour les personnes handicapées, mais pour tout le monde. »

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