TÉMOIGNAGE: ““Je suis accro au porno””
En 2021, les trois plus grands sites pornographiques du monde ont cumulé près de six milliards de visiteur·se·s par mois. Un trafic qui dépasse largement celui de Twitter, d’Instagram, de TikTok, de Zoom et de Netflix combinés. Regarder du porno peut bien sûr être très amusant, mais cette pratique n’est pas sans risque.
Julie*, 25 ans, est attirée depuis très jeune par les textes et les images érotiques. Au fil des années, cet intérêt s’est rapidement transformé en dépendance.
« Mon premier contact avec l’univers du porno a eu lieu quand j’avais environ dix ans. J’ai trouvé une pile de magazines par hasard et je les ai dévorés. Ces histoires érotiques m’ont tellement stimulée que j’ai rapidement cherché à accéder à plus de photos érotiques et de vidéos par le biais d’Internet. J’ai aussi commencé à me masturber vers cet âge. Très tôt et relativement souvent. Parfois tous les jours, mais en tous cas plusieurs fois par mois. Depuis cette époque, je n’ai jamais vraiment arrêté. J’ai perdu toute imagination et je suis devenu complètement dépendante au contenu visuel ou littéraire que je consommais sur mon écran. Au bout d’un moment, le porno est devenu une échappatoire à tous les problèmes qui m’entouraient. Ma mère et mon frère étaient eux-mêmes aux prises avec des dépendances et mon père était gravement malade. Je me suis beaucoup occupée de lui. Je me souviens de cette période comme un moment intense de ma vie. Je suis passée par de nombreuses phases dépressives. Malgré ma situation familiale difficile, j’avais un bon réseau, c’est-à-dire des amis et une famille qui m’ont soutenue inconditionnellement dans tout ce que je faisais.
Le film parfait
Ce n’est que lorsque j’ai commencé l’université que le nombre d’heures que je passais sur des sites pornographiques a augmenté. Les vidéos que je regardais devenaient de plus en plus extrêmes. Je voulais trouver le même sentiment de satisfaction à chaque fois, mais peu à peu, j’ai compris que le contenu de qualité ne me suffisait plus. J’ai passé des heures sur divers sites pornographiques, toujours à la recherche de cette vidéo parfaite. En marge de ça, j’étais en couple depuis six ans. Ma relation était stable et j’avais une vie sexuelle satisfaisante. Mon copain savait que je regardais du porno. Je ne m’en cachais pas. J’estimais que tout le monde le faisait. Pourquoi pas moi ? Quelques mois après la fin de mes études, j’ai commencé à travailler. Malheureusement, très vite, un premier coup dur a bousculé mon équilibre. On m’a diagnostiqué une maladie auto-immune. Pendant un an et demi, j’ai essayé de combiner mon travail et cette maladie, mais au bout d’un moment, j’ai dû jeter l’éponge. Mon travail n’était plus compatible avec mon état de santé. Dès ce moment-là, mon addiction s’est accentuée.
J’ai fui la réalité en regardant encore plus de contenu pornographique. J’ai passé des heures sur le Web et sur mon téléphone à chercher des vidéos stimulantes.
Parfois jusqu’à sept heures par jour. Quand on en arrive à cette cadence, c’est tout sauf innocent. Cette dépendance a évidemment causé beaucoup de ravages dans ma vie. Les problèmes se sont accumulés. Mentalement et physiquement, je gérais, mais mon couple a souffert de mon addiction. Sans ma dose quotidienne de porno, je me sentais profondément malheureuse. J’avais l’impression de devenir folle. Je ne pouvais me détendre que lorsque je regardais du porno. Je ne m’intéressais plus à rien et je m’isolais du monde extérieur.
Du virtuel au réel
Ma relation s’est effondrée et mon réseau social s’est fortement appauvri. J’étais presque seule au monde. Via une application de rencontres, j’ai commencé à expérimenter différentes pratiques. Je me suis inscrite à des plans à trois, à des soirées échangistes et j’ai visé les coups d’un soir. Toutes mes relations sexuelles – en ligne et hors ligne – se chevauchaient. J’aurais pu avoir dix histoires en même temps sans même trouver ça bizarre. Ma dépendance au porno est devenue une dépendance au sexe. Émotionnellement, je me suis complètement coupée de mes amis et de mon réseau. Tout ce que je cherchais, c’était cette poussée d’adrénaline que je ressentais à chaque fois que je couchais avec un étranger. Je ne laissais aucune place aux sentiments, encore moins aux relations, que je trouvais inintéressantes.
Je me rends compte maintenant que ma dépendance m’a donné une vision déformée du sexe. L’image que j’ai de l’amour est également complètement irréaliste. Les scènes de sexe des films porno sont devenues mon obsession.
Je voulais les imiter, mais en même temps, elles me faisaient douter de mes performances au lit. Cela a créé chez moi un énorme complexe d’infériorité. Voilà pourquoi j’ai désormais du mal à construire une relation de confiance avec les hommes. Malgré mes problèmes, il ne m’est jamais venu à l’esprit de demander de l’aide psychologique. Jusqu’au jour où je me suis foulé le poignet pour la énième fois en me masturbant. Privée de mes jouets sexuels, je me suis rabattue sur le porno. C’est là que j’ai senti que quelque chose n’allait pas. Ma santé mentale se détériorait. J’avais des pensées sombres. Finalement, j’ai parlé de ma détresse à mon frère. C’est lui qui m’a dirigée vers un centre spécialisé.
Le chemin vers une solution
Mon entretien d’admission m’a procuré un grand soulagement. Enfin quelqu’un qui a compris de quoi je parlais. Très vite, j’ai réalisé que mon addiction était semblable à la toxicomanie. J’ai commencé un sevrage intensif. Dès le premier jour, je me suis senti comprise. J’ai été placée dans un environnement sécurisant où je pouvais parler librement de mes pensées et de mes sentiments. J’étais enfin sur le bon chemin : celui qui me menait vers ma nouvelle vie. Maintenant, j’ai encore du mal à admettre que je souffre d’une dépendance. En attendant, j’ai profondément honte de mon comportement compulsif. Je m’attends toujours à ce que les gens réagissent négativement quand je leur explique de quoi je souffre. De plus, j’ai remarqué que ce problème était très stigmatisé. Surtout chez les femmes. C’est souvent une route solitaire, dont on ne parle pas ouvertement avec des amis.
Si, en apparence, cette dépendance n’est que visuelle, elle est aussi dévastatrice que l’alcool ou la drogue.
Aujourd’hui, je suis à l’hôpital depuis cinq semaines et cela m’a ouvert les yeux. Cette mise à l’écart m’a sauvé la vie. En partageant mon expérience avec les autres, j’espère éviter que les personnes dépendantes soient jugées ou rejetées. J’espère briser le tabou entourant la dépendance au porno – en particulier chez les jeunes femmes. Seule la sensibilisation va nous permettre d’avancer ensemble dans la bonne direction. L’encouragement mutuel est aussi très important. Maintenant, je remarque que je peux mener ma vie autrement et qu’un quotidien sans pornographie est possible. Le reconnaître est très gratifiant.”
Pourquoi devient-on accro au porno ?
Annemie de Loose, thérapeute spécialisée en toxicomanie, répond à nos questions. Le porno est omniprésent dans notre société. Julie avait à peine dix ans lorsqu’elle est entrée en contact avec des contenus pornographiques. Dix ans, c’est très jeune !
« C’est jeune, mais certainement pas exceptionnel. Dans ma pratique, je rencontre de plus en plus de personnes dans la vingtaine qui ont commencé à consommer des contenus pornographiques à un très jeune âge. Je parle d’enfants de dix à douze ans. Et ce groupe ne cesse d’augmenter. Avec toutes les conséquences que cela entraîne. Ces personnes rencontrent de nombreux problèmes au niveau émotionnel, relationnel et physique. Consommer du porno régulièrement et à long terme peut affecter votre fonctionnement quotidien de manière significative. Certains patients ne sont par exemple plus en état de travailler. Ils doivent s’isoler du monde extérieur ou se tenir éloignés des réseaux sociaux. »
Comment expliquez-vous cela ?
« Le porno est partout. Au premier abord, tout cela semble très innocent, mais ce n’est certainement pas le cas. L’accès au contenu sexuel est très facile, en tous cas beaucoup plus qu’avant. En général, on le découvre par le biais d’amis ou de connaissances. L’accessibilité est omniprésente et beaucoup plus grande qu’auparavant. Désormais, les enfants de 10 à 12 ans peuvent accéder à des sites pornographiques en quelques clics seulement. Regarder des vidéos porno dans leur chambre, à l’abri des regards, ne leur demande aucun effort. Il existe peu de contrôles parentaux. D’où le risque d’être confronté à des contenus extrêmes. Avant un certain âge, le cerveau ne sait pas encore ce qu’est le porno. Les jeunes le considèrent comme quelque chose de positif. Le risque de dépendance est donc très grand. Dans un sens, c’est logique. En tant qu’êtres humains, nous recherchons toujours ce qui nous amuse. Regarder du porno nous fait nous sentir bien. Dans une certaine mesure, ça nous rend heureux. C’est bien pour cela que cette activité peut être dangereuse. »
Le porno rend-il heureux ?
« Des études montrent effectivement qu’après avoir regardé du porno, votre cerveau est soumis à un très gros boost de dopamine. C’est la chasse aux endorphines, également connues sous le nom d’hormones du bonheur. Si on analyse la production de dopamine dans le cadre d’autres dépendances, telles que l’alcool, les compulsions et les drogues, la cocaïne et la pornographie arrivent en tête. La conséquence : vous en voulez de plus en plus, mais vous n’en profitez plus. Cela explique en partie pourquoi certaines personnes dépendantes se masturbent pendant six heures d’affilée sans être satisfaites. »
Comment peut-on savoir si on a dépassé les limites de l’acceptable ?
« En fait, le porno est une épée à double tranchant. Cette activité génère tellement de dopamine que le danger de dépendance est bien présent. Nous constatons que certaines personnes dépendantes au porno produisent naturellement trop peu de dopamine. L’appel du porno est donc biologique. D’autre part, nous devons examiner les facteurs et les problèmes sous-jacents. Pourquoi une personne regarde-t-elle des films porno ? Pour échapper à ses émotions ? Pour évacuer le stress, les émotions négatives, les humeurs dépressives, etc ? Si c’est le cas, ce n’est plus du plaisir. Si on le fait pour compenser un autre manque, c’est ce qu’on appelle une dépendance. Vous avez le sentiment que vous avez besoin de contenu pornographique pour fonctionner normalement. »
L’hypothèse selon laquelle les personnes dépendantes à la pornographie ont une libido hors-norme est-elle fausse?
« C’est en effet une idée fausse. Nous pensons généralement que ces personnes sont sujettes à un désir indomptable, mais en fait, cela cache un autre besoin. Souvent, ces personnes ont connu un manque dans leur enfance. Ce manque les pousse à rechercher plus tard des liens affectifs par un autre biais. Le sexe les aide à établir une connexion. Par exemple, il peut s’agir d’un manque d’amour paternel, un besoin de se sentir aimé(e) ou même de trouver une place dans la société. Pour beaucoup de personnes, le problème est là. Elles sont constamment à la recherche d’une connexion introuvable. »
Quels sont les effets négatifs d’une consommation excessive de contenu pornographique ?
« L’un des patients que nous venons d’admettre dans notre service est un bon exemple des dangers du porno. Cette personne qui se sentait de plus en plus anxieuse n’avait jamais fait le lien entre son mal-être et le porno. Le porno est tellement normalisé qu’on le remet trop peu en question. Ce patient a du mal à entrer en contact avec les autres. Il n’arrive pas à s’impliquer dans la vie quotidienne et a des problèmes d’érection. Ce qui doit alerter une personne en souffrance, c’est un sentiment d’anxiété qui se prolonge, des humeurs dépressives et une motivation généralement faible. On retrouve ces symptômes chez beaucoup de consommateurs de contenu pornographique. Chez les jeunes, la peur de l’échec est aussi un élément à prendre en compte. Maintenir des contacts physiques et sociaux s’avère difficile. La gêne devient paralysante. Ces jeunes ont honte de leur comportement, alors ils préfèrent ne rien dire. Leur dépendance se déroule dans la sphère privée, c’est ce qui rend la situation si problématique. Dans un certain nombre de cas, ils sont totalement isolés. Il est donc fréquent qu’ils n’interviennent que lorsqu’il est déjà trop tard. Ils vivent une sorte de crise d’identité et leur image d’eux-mêmes se rétrécit. Vous pouvez très bien cacher cette dépendance, alors qu’un alcoolique ou un toxicomane aura plus de mal à le faire. »
Peut-on noter une différence entre les femmes et les hommes dans l’utilisation du porno ?
« Les femmes sont, elles aussi, consommatrice de porno, mais les hommes sont plus susceptibles de bluffer. Chez les filles, la dynamique est différente. Le sentiment de honte est aussi plus présent. D’un point de vue social, la consommation de contenue pornographique par les femmes est très tabou. »
J’ai une dépendance au porno. Que faire ?
« Si une personne est accro au porno, elle doit décrocher totalement. Il n’y a pas de demi-mesure ! Le traitement consiste à bannir toute image extérieure de votre vie. C’est la phase initiale. Vous devez donner du repos à votre cerveau et remettre les compteurs à zéro. Dans certains cas, nos patients ne peuvent plus utiliser leur téléphone portable. Ils doivent se retirer des réseaux sociaux. Leur cerveau est surchargé et continue de chercher du contenu pornographique de manière compulsive et obsessionnelle. Pour sortir de la dépendance, il n’y a pas d’autre moyen que de se priver de toute image en mouvement. »
Comment pouvons-nous mieux protéger les gens des dangers de la pornographie ?
« L’accessibilité au porno est trop facile et évidente. Comment est-il possible qu’une personne d’à peine dix ans puisse continuer à regarder du porno sans problème ? Je comprends qu’on ne veuille pas priver les gens de liberté, mais soumettre un enfant de dix ans à du porno n’est pas concevable. La sensibilisation à toutes les dépendances est définitivement un must. Les jeunes doivent être conscients que si la pornographie, la drogue ou l’alcool devient un refuge, il est temps de tirer la sonnette d’alarme. Habituellement, il ne s’agit pas de l’activité elle-même, mais de la relation que vous entretenez avec cette activité qui pose un problème. À ce titre, la communication est essentielle. Avertir les gens que le porno peut être une dépendance serait une bonne chose. Il faut aussi alerter le public sur les effets possibles d’une telle dépendance. Dans tous les cas, je pense que quelque chose doit changer concernant l’accès à la pornographie pour les enfants et les jeunes adultes. Les jeunes craignent de ne jamais pouvoir égaler ce qu’ils voient sur ces sites pornographiques. Cela est très préjudiciable pour leur estime de soi. Le danger est qu’ils commencent à confondre porno et réalité. »
Supposons que je connaisse quelqu’un qui est aux prises avec ce problème. Comment pouvons-nous intervenir en tant que parent ou ami ?
« Vous pouvez demander à cette personne ce que le porno lui procure comme sensations. Ce qui est important, c’est de rechercher le motif sous-jacent à la dépendance. Pourquoi cette personne trouve-t-elle si difficile d’arrêter de regarder du porno ? Si elle est ouverte à la discussion, conseillez-lui une rencontre avec un thérapeute. Il est en outre important de réduire ou de stopper le sentiment de culpabilité. À ce niveau, les groupes de discussion peuvent aider. Discuter du problème sans porter de jugement est important. C’est la première étape. »
Êtes-vous accro au porno ? Avez-vous besoin d’en parler ouvertement ou cherchez vous de l’aide? Plus d’infos via Pornodependance.com.
Lire aussi:
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici