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Gaza © Montage Flair/Getty Images

TÉMOIGNAGE: Shahed, 21 ans survit chaque jour à Gaza

Ana Michelot
Ana Michelot Journaliste

Le 6 mai dernier, une offensive des forces armées israéliennes a été lancée sur la ville de Rafah dans la bande de Gaza. Cette dernière a contraint des milliers de civils palestiniens à fuir la ville dans laquelle ils s’étaient réfugiés. Shahed, 21 ans, est l’une d’entre eux. Elle a accepté de nous raconter à quoi ressemble son quotidien depuis près de sept mois.

Depuis le 7 octobre 2023, les forces israéliennes et le Hamas s’affrontent dans une guerre meurtrière. Du côté israélien, on dénombre 7 800 blessées lors des attaques du 7 octobre. Ce même jour a causé la mort de 1 200 personnes, dont 37 enfants selon l’UNICEF. Du côté palestinien, dans la bande de Gaza 34 735 personnes ont perdu la vie, dont plus de 14 000 enfants. Les blessées se comptent au nombre de 78 000. 12 300 d’entre eux sont des enfants selon un rapport du 7 mai 2024. Un bilan glaçant que l’UNICEF conclut par une estimation d’autant plus effroyable : 

Selon nos estimations, un enfant est blessé ou tué toutes les dix minutes à Gaza.

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Des survivants condamnés à l’exode 

Pour le reste de la population qui survit au milieu des bombes et des ruines, il faut fuir continuellement tout en étant coincés sur le territoire. Toujours selon l’UNICEF, ils seraient 1,7 million de civils déplacés. L’exode est incessant. D’abord, ils ont trouvé refuge au sud de Gaza, car l’armée israélienne avait ordonné l’évacuation du nord. Beaucoup s’étaient installés dans des camps de fortune à Rafah. Mais depuis quelques jours, la ville est le lieu d’une offensive des forces israéliennes. Les civils sont une nouvelle fois forcés de fuir. C’est ce que vit Shahed, une jeune palestinienne de 21 ans, ainsi que sa famille. 

« Moi et ma famille avons été déplacés plus de 12 fois » 

Shahed est née à Gaza et y a vécu toute sa vie. Elle terminait sa licence d’ingénieur architecte avant les événements tragiques du 7 octobre dernier et l’escalade de violence qui s’en est suivie. Depuis, sa maison s’est effondrée sous les bombardements et sa vie entière a basculé. « Notre maison dans la région de Khan Yunis, a été détruite par la guerre. Depuis, nous avons été déplacés plus de 12 fois », déclare-t-elle. Elle poursuit : « Au début, nous avons été déplacés à une courte distance de notre maison. Mais ensuite, la situation a empiré. Mes sœurs et moi avons été forcées de fuir. Nous sommes allées dans différents centres d’hébergement et des écoles servant de refuges. »

Nous vivions dans les conditions les plus horribles que vous puissiez imaginer. Sans propreté, sans nourriture et avec des maladies qui prolifèrent.

Quelques temps plus tard, le centre d’hébergement est “assiégé” selon ses mots. Shahed et ses soeurs doivent fuir une nouvelle fois.

Nous sommes partis dans une zone que l’on pensait plus sûre, la région de Rafah. Mais une fois arrivées là-bas, nous avons compris que ce n’était pas un endroit où nous serions en sécurité.

raconte-t-elle. Elle insiste : « Oui, la région de Khan Yunis où se trouve notre maison, n’a plus aucun bâtiment à l’abri des explosifs, des incendies ou des bombardements. Mais la région de Rafah, vers laquelle on nous a demandé de nous déplacer en la présentant comme une zone sûre, n’offre aucune garantie de sécurité. » Une confession qui reflète bien la situation puisque l’on peut lire dans le rapport d’Unicef : « Mais en réalité, à Gaza, plus aucun endroit n’est sûr. »

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La maison où vivait Shahed avant et après les bombardements.

Shahed explique que dans cette situation d’urgence, elle et sa famille se sont installés dans la périphérie de Rafah. « Nous vivions dans des tentes, des habitacles très étroits. Avec l’été qui arrive, nous faisions face à la pluie, aux insectes, aux maladies et à la misère. » À l’annonce de l’offensive sur Rafah, Shahed a une nouvelle fois dû fuir. Cette fois-ci, elle et sa famille ont décidé de retourner vers Khan Yunis, qui se trouve au-dessus de Rafah. 

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Les tentes des civils à Khan Yunis. Photographiées par Shahed.

La nourriture devient une denrée rare 

Quand nous abordons avec Shahed la question des convois humanitaires qui apportent des produits de première nécessité à la population, dont de la nourriture. Elle explique qu’il est difficile d’avoir accès à ces paquets au vu du grand nombre de déplacés : « On nous dit que les pays arabes autour nous envoient des paquets qui contiennent des denrées alimentaires, mais c’est très compliqué de les obtenir. Parfois on ne sait même pas que des paquets ont été acheminés. Alors on achète de la nourriture moyennant des prix bien supérieurs aux prix normaux. » Elle ajoute : « Beaucoup d’aliments sont désormais réservés à ceux qui se battent, particulièrement la farine. Il est impossible de trouver de la farine. Si on en trouve, elle est à un prix si élevé que personne ne peut se permettre d’en acheter. » Sur la photo ci-dessous, la mère de Shahed cuit du pain au début du conflit lors d’un jour où ils avaient pu se procurer la précieuse farine. 

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L’organisme mondial d’analyse de l’insécurité alimentaire (IPC) estime qu’actuellement 95 % de la population est au bord de la famine dans la bande de Gaza. 

La connexion internet, le seul lien restant avec le monde 

Shahed nous raconte son histoire à travers les réseaux sociaux. En effet, elle réussit à capter du réseau afin d’avoir accès à Internet, mais cela a aussi un prix. « Il faut marcher de longues distances, souvent sous le soleil, pour avoir du réseau et pouvoir se connecter à Internet », affirme Shahed. Pourtant, la jeune femme le fait plusieurs fois par jour pour « communiquer avec le monde extérieur ». Elle témoigne : « C’est le moyen de faire entendre notre voix, mais ce n’est pas non plus gratuit. Il faut payer une carte qui donne accès à Internet et aussi payer l’électricité pour charger son téléphone. » À l’heure où nous écrivons ces lignes, Shahed nous a justement prévenu qu’elle n’aurait peut-être pas accès à Internet ces prochains jours, car elle doit à nouveau se procurer une carte sim.

La peur de la mort omniprésente 

Dans cette guerre, Shahed a perdu des proches. Un grand nombre de ses amis, ainsi que plusieurs de ses cousins sont morts dans les bombardements. « Nous savons qu’ils sont morts, mais on n’a pas pu retrouver leurs corps, ni leur organiser un enterrement. » Malgré ces drames, Shahed assure qu’elle est reconnaissante que sa mère et sa nièce soient toujours en vie. Toutes les deux, ont failli périr elles aussi dans un bombardement. « Ma mère et ma nièce étaient dans un bâtiment lorsque ce dernier a été bombardé. J’ai tout de suite voulu aller les chercher, j’ai eu peur qu’elles soient perdues. Dieu soit loué, elles étaient saines et sauves, le bombardement n’a pas touché la zone où elles se trouvaient. Elles n’ont pas été blessées », confie-t-elle avec émotion.

Shahed et sa famille vivent dans la peur permanente de la mort, de celles de ceux qu’ils aiment, car les bombardements détruisent tout sur leur passage : « Des maisons ont été bombardées, mais aussi des hôpitaux, des refuges, des universités… Presque toutes les universités de la bande de Gaza sont détruites. » En effet, selon les statistiques d’Unicef, 87% des infrastructures scolaires ont été endommagées ou détruites.

« J’étais l’une des meilleures élèves de ma classe » 

L’université est un lieu où Shahed adorait se rendre. Élève motivée, elle assure : « J’étais l’une des meilleures élèves de ma classe, de toutes mes classes d’ailleurs. Même avant d’entrer à l’université, lorsque j’ai passé mon certificat Tawjihi (l’examen qui marque la fin du cycle secondaire en Palestine, ndlr), je l’ai eu avec une moyenne de 96/100. » Passionnée par ses études d’ingénieure architecte, elle espère reprendre très bientôt son cursus en commençant un master. 

Une vie au milieu des décombres

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Les décombres qui entourent la maison où Shahed a trouvé refuge à Khan Yunis.

« J’espère que tout cela va se terminer, on ne peut plus supporter pire que cela », confère Shahed. Actuellement, après avoir fui Rafah, elle vit ou plutôt survit dans les ruines d’une maison qui a été bombardée pendant les mois précédents à Khan Yunis. Au milieu des décombres, quelques murs restent debout, de quoi se créer un abri pour elle et son frère. Sa famille de neuf frères et soeurs a dû se séparer en arrivant à Khan Yunis face au manque de place dans les refuges de fortune que les civils trouvent. 

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La maison en ruines où Shahed a trouvé refuge.
La situation est terriblement désastreuse pour nous. Les gens ont tous quitté Rafah. En arrivant à Khan Yunis, nous avons essayé de trouver un endroit où dormir. Beaucoup de personnes sont sans-abri et vivent dans les rues.

décrit-elle. Avant de continuer : « Tout Khan Yunis est détruit, il n’y a littéralement plus rien. Même les maisons encore debout ont été brûlées. »

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Les décombres qui entourent la maison où Shahed a trouvé refuge à Khan Yunis.

L’espoir d’un futur ailleurs

Shahed explique que vivre dans ces conditions est pire que la vie dans les tentes à Rafah puisqu’à Khan Yunis, les conduits d’eau sont endommagés par les bombardements. L’accès à l’eau est extrêmement difficile. 57% des infrastructures d’accès à l’eau de la bande de Gaza ont été endommagées selon l’Unicef. Shahed confirme qu’elle n’a pas d’accès à des toilettes ou à quoi que ce soit qui puisse s’apparenter à une douche. Elle explique avoir aménagé un coin de la maison en ruines: « On a essayé de faire un coin simple qui sert de salle de bain et on vit comme ça. On l’a créé avec des débris et du bois. » Des conditions d’hygiène extrêmes, surtout pour une jeune femme, puisque les protections menstruelles ne sont plus trouvables. « Il n’y a plus d’endroits où les acheter, on fabrique tout nous-mêmes. »

Pour survivre avec sa famille, Shahed a créé une cagnotte en ligne afin que chaque personne voulant lui venir en aide puisse faire un don. De l’argent qui pourra servir à acheter les produits de première nécessité et aussi lui servir plus tard. En effet, Shahed espère pouvoir continuer ses études à l’étranger quand la guerre prendra fin: « J’espère que la guerre va se terminer pour que l’on puisse continuer nos vies, nos études. Que je puisse continuer mon cursus dans l’ingénierie. Je pense le poursuivre à l’étranger, peut-être en Jordanie ou aux Émirats arabes unis. À Gaza, il n’y a plus d’université et cela prendra des années pour les reconstruire. »

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