TÉMOIGNAGES: trois hommes racontent leur combat féministe
C’est un fait: le féminisme fait parfois peur aux hommes, car ils craignent à tort de devenir superflus ou inutiles. Et pourtant, le féminisme a besoin d’eux. Nos trois témoins donnent l’exemple et se battent pour la cause féministe.
Wim Slabbinck, 38 ans
Wim est sexologue, il écrit des articles, et s’est spécialisé dans la sexualité masculine et la façon dont les attentes sociales qui l’entourent créent une pression. Lors de la Journée internationale des droits de la femme en 2017, il a appelé les hommes à adopter le féminisme.
Dans ma pratique, je suis souvent confronté aux différents messages que les hommes et les femmes reçoivent dans le domaine de la sexualité. Le message pour les hommes est le suivant: plus vous faites l’amour, mieux c’est! Alors que chez les femmes, l’accent est mis sur la prudence, car les hommes peuvent vous abuser sexuellement. Du coup, les femmes se sentent généralement beaucoup plus inhibées sous les draps, tandis que les hommes ont l’impression qu’on en attend beaucoup d’eux. Ils subissent la culture de la performance. Les hommes et les femmes sont donc confrontés à beaucoup d’insécurités et d’insatisfactions sexuelles. Cela réside en partie dans la façon dont nous élevons les garçons et les filles.
On dit encore aux filles que c’est l’homme qui doit prendre l’initiative, ce qui est absurde. Les femmes se sont émancipées d’un point de vue du développement personnel, mais agir de manière sexuellement autonome reste difficile pour elles.
Les ‘rôles modèles’ que nous recevons dans notre jeunesse ont une influence majeure sur notre expérience sexuelle. Il existe encore une grande inégalité sexuelle qui réduit la possibilité pour les femmes de s’amuser sous les draps. Le sexe reste axé sur l’acte de la pénétration, mais pour beaucoup de femmes, ce n’est pas une bonne voie à suivre. Elles obtiennent plus facilement des orgasmes avec les préliminaires qu’avec la pénétration. Dans notre éducation sexuelle, tout tourne autour de la pénétration. Les hommes jouissent beaucoup plus souvent que les femmes. L’expérience féminine de la sexualité n’a pas été une priorité pendant longtemps, pas même pour la science. L’entièreté du clitoris n’a été découverte que 30 ans après que les humains aient réussi à mettre le pied sur la lune. Nous avons fait d’énormes progrès technologiques au cours du 20e siècle, mais il n’y avait qu’un seul morceau du corps humain que nous ne connaissions pas. Le corps féminin était oublié. Espérons que le 21e siècle sera l’antithèse de cela.
Pour votre sœur, votre épouse ou votre fille
Jusqu’en troisième secondaire, j’ai fréquenté une école de garçons, puis une école mixte. Je me souviens avoir été frappé de voir que les filles rentraient toujours en groupe, même si elles ne vivaient pas nécessairement près les unes des autres. Elles faisaient ça car elles ne se sentaient pas en sécurité. C’est une chose à laquelle je n’avais jamais pensé avant. C’est là que les graines de mon féminisme ont été semées. Il est important que les hommes adoptent le féminisme. Si on travaille tous ensemble, on pourra améliorer notre société pour tous.
Le problème, c’est que les hommes voient souvent le féminisme comme quelque chose d’inconnu, de grand et de menaçant, ce qui les fait rager contre lui. Les hommes devraient réfléchir à la façon dont ils aimeraient que leur fille, épouse ou sœur soit considérée par la société.
Que voudriez-vous qu’elles puissent faire et de quelle sécurité ont-elles besoin pour cela? En axant la réflexion sur les femmes de leur entourage, le problème deviendra plus tangible à leurs yeux. De plus, les hommes -bénéficient aussi de la lutte pour l’égalité des sexes. Par exemple, l’émancipation des femmes a déjà assuré aux hommes la liberté de travailler moins. Puisque les femmes prennent de plus en plus de responsabilités dans la société, l’homme peut lever le pied et plus penser à la qualité de sa propre vie. Le féminisme lutte aussi contre les dangers de la masculinité toxique: la pression sociétale sur les hommes pour qu’ils se comportent ‘comme un homme’, sans émotions, dominateurs. Cette masculinité toxique est l’une des causes des chiffres -ahurissants en ce qui concerne les hommes. Il suffit de regarder les prisons et les cliniques de toxicomanie, qui sont presque exclusivement remplies d’hommes. Les taux de suicide sont 2,6 fois plus élevés chez les hommes que chez les femmes. Le féministe -permet une réflexion sur la masculinité. Il est important que les hommes y -réfléchissent aussi. »
Domien Delforge, 33 ans
Domien est l’homme qui se cache derrière le Studio Stoutpoep. Sous ce nom, il réalise des illustrations. Sur Instagram, il fait rire et réfléchir plus de 95.000 followers avec ses dessins qui abordent des sujets tels que le sexisme, le body shaming et le racisme. Instagram censure régulièrement ses dessins, mais chez Flair, on est fans !
J’ai commencé à dessiner, il y a environ quatre ans. Au début je dessinais principalement des femmes nues, pour m’entraîner. C’est juste plus facile à -dessiner (rires). L’une des premières illustrations que j’ai faite, c’était le haut du corps d’une femme, avec des bourrelets. Je pense qu’il est important d’être body positive et inclusif, donc je ne dessine pas que des corps parfaits. Ce n’est pas très intéressant de toutes façons. En plus de la positivité corporelle et de l’inclusivité, j’aborde beaucoup le sexisme dans mes dessins. En Belgique, le problème du sexisme est souvent tourné en dérision, car nous pensons que ce n’est pas si grave ici. Je compare cela avec des gens qui disent que l’homophobie n’existe pas en Belgique, car ‘les homosexuels peuvent se marier ici’. Mais marcher en sécurité dans la rue, main dans la main, ce n’est pas encore possible. Il en va de même pour le sexisme.
Les femmes ont les mêmes droits fondamentaux que les hommes, mais cela ne veut pas dire que tout va bien. Le harcèlement de rue, les femmes qui n’obtiennent pas d’emploi à cause de leur désir d’avoir des enfants, le débat sur les vêtements des filles à l’école: il y a encore beaucoup de problèmes à régler.
C’est ce que j’essaye de montrer dans mes illustrations. Je ne pense pas qu’il soit toujours facile en tant qu’homme de savoir ce qui se passe. On n’en parle pas assez chez les hommes. J’ai un grand cercle d’amies femmes, donc j’entends beaucoup d’histoires. Ce n’est qu’en écoutant ces histoires qu’on peut vraiment se rendre compte de l’ampleur du problème. À un moment donné, j’ai été choqué par cette réalité. Puis la prise de conscience est venue.
Mais pourquoi?!
Je reçois souvent la question: ‘Pourquoi êtes-vous si concerné par cela en tant qu’homme?’ Je trouve que c’est une question idiote. Vous n’avez pas besoin d’être une femme pour lutter pour les droits des femmes, n’est-ce pas? Je reprends fréquemment mes potes qui sifflent des filles en robe, par exemple, ou qui leur font des compliments sur leur apparence, sans les connaître. Beaucoup d’hommes considèrent qu’il s’agit d’un compliment d’appeler une femme ‘Trésor’ ou ‘Chaton’ dans la rue. La limite est vague pour les hommes. J’essaie de leur faire comprendre que la frontière se situe là où un commentaire provoque une gêne ou un malaise. Je pense qu’il y a encore énormément de travail à faire dans ce domaine.
En tant qu’homme, je ne me suis jamais senti attaqué par le féminisme. Pourquoi serait-ce le cas? Nous ne voulons pas enlever des droits aux hommes, mais égaliser les droits des femmes. C’est une grande différence que les gens ne veulent parfois pas comprendre.
On ne dit pas que les hommes gagnent trop et doivent donner une partie de leur salaire aux femmes. Il s’agit simplement de donner à chacun les mêmes opportunités dans tous les domaines et que chacun puisse vivre sa vie en toute sécurité. Le féminisme ne vous enlève pas le droit d’appeler quelqu’un ‘chérie’ dans la rue. Cela n’a jamais été votre droit. Ça n’a jamais été bien de le faire. Le féminisme dit simplement: ‘Agissez convenablement et laissez les femmes porter ce qu’elles veulent sans qu’elles se sentent en danger.’ Le but n’est pas de brimer les hommes. »
Jad Amine Zeitouni, 28 ans
Jad combine ses études de Droit avec un emploi au cabinet de la vice-première ministre Petra De Sutter. C’est un féministe intersectionnel. Il a un CV impressionnant pour son âge: il a collaboré avec l’organisation pour l’émancipation des hommes Emancipator, a donné des ateliers et organisé des débats sur la masculinité (toxique), rédige des articles sur le féminisme et bien plus encore.
J’ai remarqué très tôt à quel point la réalité pour mes sœurs était différente de la mienne. Je devais avoir 9 ans quand ma sœur aînée, qui en avait 12 à l’époque, m’a demandé de prendre le bus avec elle parce que des hommes la regardaient et commentaient son apparence. Quelques années plus tard, j’ai vu à quel point ma sœur jumelle était vue et approchée autrement que moi. Je voulais comprendre, alors j’ai commencé à lire. À 13 ans, j’ai lu l’œuvre de Kimberlé Crenshaw. Elle écrit sur l’intersectionnalité, soit l’intersection des formes de discrimination.
Les femmes de couleur ont longtemps été oubliées par le mouvement féministe, alors que dans de nombreux cas, elles sont le groupe le plus touché, car elles sont discriminées pour leur sexe et leur couleur de peau. Une femme blanche, très instruite et riche entourée d’un réseau de femmes fortes vivra le sexisme différemment d’une femme de couleur sans éducation vivant dans la pauvreté.
Nous devons prêter attention à cela. Cette intersectionnalité a aussi joué un rôle dans ce qui est arrivé à mes sœurs, puisque nous avons des racines maroco-libanaises. Vers 16 ans, je suis devenu plus attentif aux violences sexuelles. J’ai vu beaucoup de victimes dans mon entourage et les statistiques qui sont effarantes. Une femme sur quatre dans votre entourage immédiat a déjà subi des violences sexuelles explicites, quel que soit son âge. Les chiffres sur la violence entre partenaires sont tout aussi effroyables. Tous les trois jours, une femme en Belgique meurt des suites de violences conjugales. Une femme sur cinq subit une forme de violence conjugale. Depuis l’adolescence, je le signale aux gens autour de moi, j’ai fait comprendre à mes amies que les situations dans lesquelles elles se trouvaient n’étaient pas acceptables et je les ai aidées à intenter une action en justice.
Se débarrasser des attitudes toxiques
Si je claque des doigts et que chaque femme dans le monde devient féministe, ces chiffres ne chuteront pas d’un coup. Le problème n’a jamais été la cause des femmes, ce sont les hommes qui doivent changer. Ça signifie que nous, hommes, devons investir du temps et de l’énergie pour aider les hommes délinquants à s’améliorer. Je pense que c’est là que réside le rôle des féministes masculins.
Ce n’est pas aux femmes, les victimes, de régler la situation. Nous devons responsabiliser les hommes, aborder et discuter des comportements toxiques. Il y aura toujours une minorité d’hommes qui ne comprendront pas. Ceux qui prétendent qu’on ‘ne peut plus rire de rien aujourd’hui’ et qui croient que le féminisme leur enlève leurs droits.
Mais il y a aussi un grand groupe d’hommes qui ne pensent pas du tout comme ça, mais qui rient des blagues lourdes de leurs potes. Ils ne partagent pas la même vision. Ils sont victimes des influences de leur bulle masculine, et c’est un cercle difficile à briser. J’essaie de responsabiliser mon entourage. Si un ami fait une blague sexiste, je le lui fait remarquer. Si cela se reproduit, je le lui signale à nouveau. Cela peut causer de la frustration. J’ai perdu des personnes proches de moi ces dernières années, y compris de bons amis. En tant que féministe masculin, je pense qu’il est aussi important de ne pas prendre trop de place. Je refuse souvent d’intervenir dans des interviews ou des conférences qui parlent de féminisme, surtout si je remarque qu’il y a un autre homme et une seule femme assis à côté de moi. Chaque minute où vous tenez le micro en tant qu’homme, c’est une minute de moins pour que les femmes parlent. J’ai beau lire énormément sur le féminisme, je n’aurai jamais l’expérience que les femmes ont. »
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