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TÉMOIGNAGES: ““J’ai été en kot avec un meurtrier””

Justine Rossius
Justine Rossius Journaliste

Les true crime (ou documentaires criminels) sont plus populaires que jamais. Et si, pour beaucoup, les podcasts et les documentaires sanglants sont des divertissements inoffensifs, pour d’autres, ils peuvent se mêler étrangement à la réalité… 3 lectrices en ont fait l’expérience.

Je dois avouer que j’ai un faible pour les histoires de crimes. Plus l’intrigue est macabre, plus cela m’intéresse, même si je suis du genre à me cacher derrière un coussin à la simple vue de la bande-annonce d’un film d’horreur moyen. Mais les documentaires criminels me permettent de jouer les détectives depuis mon fauteuil, sans zombies terrifiants, poupées meurtrières ou jumpscares. C’est un divertissement tout à fait innofensif, n’est-ce pas?

Jusqu’à ce que vous vous retrouviez soudainement plongé·e au cœur de l’histoire! Imaginez que le·la criminel·lle dont on parle avec tant de passion dans ce podcast soit quelqu’un que vous connaissez. Peut-être un oncle qui assiste à toutes les réunions de famille, une colocataire avec qui vous avez partagé votre salle de bains, ou un collègue avec qui vous prenez votre café tous les matins... Et si ce crime horrible avait eu lieu près de chez vous? Parfois, le true crime se rapproche beaucoup plus de vous que vous ne l’auriez souhaité. C’est ce qui s’est produit pour 3 lecteurs et moi-même!

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Collègue plus que bizarre!

En mars 2018, j’ai été stupéfaite en regardant le premier épisode du programme néerlandais Online Misuse Tackled avec un groupe de collègues. À l’époque, je vivais à Amsterdam et travaillais dans une entreprise médiatique branchée avec des collègues que je trouvais tous géniaux! Enfin, ça, c’était avant que je découvre que l’un d’entre eux avait récemment été décrit dans les médias comme étant un pirate informatique impitoyable qui avait volé des milliers de nudes. On le surnommait « le pirate du porno », et j’avais discuté avec lui à la machine à café la semaine précédente.

Dans ce programme télévisé, une journaliste spécialisée en affaires criminelles s’est lancée dans une enquête pour identifier le pirate informatique qui avait diffusé des photos intimes de l’influenceuse Laura Ponticorvo. Elle avait été traumatisée après avoir découvert qu’un individu avait accédé à son compte iCloud. Elle avait pleuré pendant des heures et n’avait plus osé sortir de chez elle pendant des semaines. Le coupable avait été identifié comme étant Mitchell van der K. Dans l’émission, les enquêteurs l’ont attiré dans un bâtiment de bureaux à Amsterdam en utilisant une fausse histoire, puis lui ont révélé que la police était à ses trousses. Son visage était flouté, mais nous l’avons immédiatement reconnu. Cette voix, cette démarche, ces boucles de cheveux caractéristiques...

C’était à la fois le terrifiant pirate informatique dont parlaient les journaux, mais aussi Mitchell, le gars plein d’humour qui nous avait offert des cookies la semaine précédente parce qu’il allait devenir papa pour la deuxième fois.

Dans notre entreprise encore jeune, il était l’un des collègues les plus âgé, respecté et apprécié. Nous le considérions comme un bon père de famille. C’était quelqu’un qui semblait si peu à l’aise avec la technologie qu’il avait parfois besoin d’aide pour allumer son ordinateur. Du moins, c’est ce qu’il essayait de nous faire croire, car en réalité, il avait piraté au moins 239 femmes, dont certaines célébrités néerlandaises, sa nièce alors mineure (qui, curieusement, deviendra plus tard Miss Pays-Bas), et même quelques collègues. Ces collègues étaient des femmes qui s’asseyaient à côté de lui tous les jours, partageaient le même réseau Wi-Fi, et laissaient leurs téléphones sans surveillance lorsqu’elles se rendaient aux toilettes. Il avait réussi à accéder à leurs comptes, à lire leurs e-mails et leurs messages instantanés, à fouiller leurs documents, et même à parcourir les photos de leurs enfants, de leurs proches, et de leurs corps.

Il était vraiment perturbant de voir le bon vieux Mitchell affiché  soudainement avec une barre noire devant les yeux dans tous les journaux. Des policiers sont venus au bureau pour confisquer ses affaires et interroger ses collègues. Tout le monde était sous le choc. Nous lisions tous les articles et nous nous posions des questions sur son petit garçon et sa femme enceinte. Pendant des semaines, nous repassions dans nos têtes toutes les anecdotes, les commentaires, et les conversations lors de fêtes du boulot pour essayer de comprendre comment il pouvait avoir 2 visages.

Entre 2014 et 2017, Mitchell avait tenté de pirater 589 comptes, obtenant ainsi plus de 30 000 images privées. Lors de la perquisition de son domicile, une caméra pointée sur la chambre de son voisin d’à côté avait été découverte. Une de mes collègues, victime de son intrusion, n’avait pas réussi à dormir pendant des semaines. Elle se sentait « sale », disait-elle. Il n’avait pas levé le petit doigt contre moi, mais j’avais l’impression d’avoir été victime d’une agression sexuelle numérique.

En fin de compte, en 2019, Mitchell van der K. a été condamné par un tribunal néerlandais à 24 mois de prison, dont 8 avec sursis. Depuis lors, j’ai pris des mesures strictes en matière de sécurité en ligne, avec un gestionnaire de mots de passe actif en permanence et une authentification à 2 facteurs activée. Je recommande vivement à toutes et tous de faire de même.

L’oncle de Renée a été condamné pour meurtre

Renée partage son récit: « Il n’est pas venu à un barbecue de famille. Rapidement, nous avons appris qu’il avait été arrêté. Il semblerait qu’un accident se soit produit dans son restaurant, causant la mort d’une personne. Mais cette histoire a immédiatement éveillé des soupçons au sein de la famille. En effet, dix ans auparavant, la première femme de l’oncle Bert était décédée dans un tragique accident en vacances. À l’époque, la famille avait déjà des doutes sur cette explication, mais ma mère, la sœur de Bert, avait toujours cru en son innocence, tout comme le reste de la famille. Cependant, ce deuxième décès a tout remis en question.

L’oncle Bert faisait face à des problèmes financiers. Il avait tenu son propre restaurant pendant de nombreuses années, mais la mort de sa première femme l’avait plongé au bord du gouffre, tant sur le plan financier qu’émotionnel. Heureusement, il avait réussi à établir une collaboration avec Xavier, une personnalité bien connue dans le secteur de l’hôtellerie. Cependant, leur relation d’affaires était parsemée de hauts et de bas. Selon l’accusation, ce jour-là, une dispute sur l’argent avait éclaté, entraînant une altercation physique. L’oncle Bert aurait poussé Xavier, qui aurait fait une chute mortelle. Mon oncle a nié toute dispute, affirmant que Xavier avait chuté à cause d’un malaise.

Ces circonstances douteuses ont créé des divisions au sein de la famille. Certains croyaient en l’innocence de mon oncle, tandis que d’autres avaient des doutes. Ma mère lui a accordé le bénéfice du doute, considérant que Bert avait déjà traversé tellement d’épreuves que ses nerfs avaient pu lâcher à un moment donné. Entre son arrestation et son procès, il a été libéré sous surveillance électronique. Je l’ai croisé à quelques reprises lors de réunions familiales à cette époque. Personne n’en parlait. Notre famille est de celles qui évitent les sujets difficiles ou émotionnels. Bert était simplement invité comme d’habitude, et tout le monde faisait comme si de rien était. C’était très étrange. »

Renée a suivi le procès d’assises à travers les médias, tandis que ses parents assistaient aux audiences chaque jour. « J’étais souvent choquée par les détails horribles rapportés dans les journaux, mais j’ai appris que ce n’était que la partie émergée de l’iceberg. Beaucoup de choses que nous ignorions ont été révélées au cours du procès. L’image de mon oncle, en particulier, était difficile à entendre. Cet homme agressif dont ils parlaient... Je ne le connaissais pas ainsi du tout. Un voisin a même prétendu l’avoir vu se montrer violent à plusieurs reprises. Mais était-ce vrai? Ou ne connaissions-nous pas Bert aussi bien que nous le pensions?

Mon oncle a finalement été condamné pour meurtre et purge actuellement sa peine en prison. Il continue de clamer son innocence, mais je ne sais pas quoi penser. Les circonstances demeurent floues. Est-ce qu’il ment? Ou bien a-t-il fini par croire en sa propre version des faits? Je pense que les véritables détails de l’affaire mourront avec lui. Nous ne saurons jamais la vérité.

Entre-temps, un podcast a été créé sur l’affaire. Je l’ai écouté, c’était surréaliste. J’ai trouvé que les animateurs traitaient l’affaire de manière très légère, en décrivant mon oncle de manière stéréotypée. Cela m’a profondément blessée, car il s’agit de personnes réelles. Je pense que de nombreux auteurs de podcasts consacrés aux crimes réels ne se rendent pas toujours compte de la réalité humaine derrière les tragédies. »

Camille était en colocation avec un meurtrier.

À la fin de l’année 2020, un meurtre sanglant a secoué non seulement le village de Noorderwijk, en Belgique, mais aussi l’ensemble du pays. Le 10 novembre, le mari de Mieke, une enseignante de 59 ans, a fait la macabre découverte du corps sans vie de son épouse dans une mare de sang dans la cuisine, victime de 101 coups de couteau. La police a conclu que ce crime atroce avait été commis par quelqu’un qu’elle connaissait, dans un accès de rage dévorante. Cette affaire a monopolisé les médias pendant des semaines, mais le coupable n’a été appréhendé qu’en mars 2022.

Quand Camille a lu sur un site d’information qu’un inspecteur des impôts de 38 ans avait avoué le meurtre, elle a failli s’étouffer avec son café. La description de Gunter U. correspondait étrangement à celle de son ancien colocataire. Camille se souvint: « Son nom était anonyme, mais la photo floue accompagnant l’article m’a immédiatement rappelé Gunter, mon ancien colocataire. C’était difficile à croire. Gunter, ce type gentil et si calme? Nous avions partagé la salle de bains, préparé du thé à n’en plus finir, et cuisiné des biscuits ensemble. Je lui avais confié tous mes chagrins d’amour... C’était vraiment Gunter? J’ai décidé de mener ma propre enquête, et après quelques recherches sur Google, j’ai découvert un autre article où il était mentionné sous le nom de G. Uwents. Cela a confirmé mes soupçons. »

Camille avait passé 2 ans en tant qu’étudiante avec Gunter dans un kot à Louvain. Elle se rappelle: « Nous avions pour règle de manger ensemble au moins une fois par semaine et de participer régulièrement à des activités.

Ce n’était pas simplement une cohabitation passagère, nous cuisinions ensemble, regardions des films, et nous passions du temps dans la chambre de l’autre à discuter.

Je ne le considérais pas comme un ami intime, mais j’avais fait des efforts pour le rapprocher de notre groupe. Gunter était très calme et timide, donc j’essayais de l’aider à sortir de sa coquille. J’engageais la conversation avec lui et l’encourageais à participer davantage. »

Le fait qu’il ait pu commettre un acte aussi horrible reste inimaginable pour Camille. « Pour moi, Gunter était un garçon doux, celui qui ne ferait pas de mal à une mouche. Je l’aurais plutôt imaginé capturer une mouche dans un verre pour la libérer dehors. Jamais je ne l’ai vu se mettre en colère ou dire quelque chose de déplacé. La seule chose qui pouvait sembler étrange, du moins pour un étudiant en résidence universitaire, c’était que sa chambre était toujours impeccable. Son lit était toujours bien fait, et le sol était si propre qu’on aurait pu manger par terre. Cela reflétait peut-être son éducation stricte, car Gunter était profondément religieux et venait d’une famille chrétienne très orthodoxe. »

Camille reconnaît qu’elle ne savait pas grand-chose de la situation familiale de Gunter à l’époque, et qu’elle ne posait pas de questions. « Quand on est jeune, le monde tourne autour de nos petits problèmes. Je m’inquiétais pour mes examens et pour un garçon dont j’étais amoureuse à l’époque, pas pour Gunter. Maintenant que je sais ce qu’il a fait, je vois les choses différemment, mais je n’ai pas le sentiment d’avoir échappé à quoi que ce soit. Je pense qu’il y a eu un moment de rupture en lui en 2020, mais que c’était un incident unique. Les médias ont rapporté que Gunter nourrissait une profonde rancune envers Mieke, son ancienne enseignante, à cause de ce qu’il considérait comme un traumatisme lié à sa scolarité. Quelque chose de profondément blessant a dû se produire. Peut-être était-il en proie à une psychose ce jour-là? J’essaie toujours de comprendre, mais je ne sais pas si j’y parviendrai jamais. »

(*) Renée et Staf sont des noms d’emprunt.

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