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© Getty Images/iStockphoto

À COEUR OUVERT: ““Ma famille d’accueil m’a sauvé””

Tous les enfants n’ont pas la chance de grandir avec leurs parents biologiques. Dans certaines situations, le placement en famille d’accueil peut offrir une solution (temporaire). Soma, Zoë et Morgane nous donnent leur point de vue sur leur vécu en tant qu’enfants placés.

Les parents de Soma, 30 ans, n’arrivaient pas à s’occuper d’un enfant. Elle avait 5 ans lorsqu’elle a été placée dans une famille d’accueil. « Un enfant ne se retrouve pas dans une famille d’accueil du jour au lendemain. »

« Mon père biologique – un terme que je n’aime pas utiliser, parce que j’ai choisi de ne plus le laisser faire partie de ma vie – était alcoolique. Ma mère biologique avait le facteur ‘amour’, mais l’amour ne suffit pas toujours à élever un enfant. Elle était incapable de s’occuper de quelqu’un d’autre qu’elle, et encore moins d’un enfant. À côté de ça, la consommation d’alcool de mon père est devenue incontrôlable. Ma mère a finalement fait le choix de me placer après qu’il y a eu des violences physiques. Avant de me retrouver dans ma famille d’accueil, j’avais été dans un centre d’accueil pour enfants, et je suis restée dans un foyer pendant un certain temps.

J’avais 5 ans lorsque j’ai été accueillie à bras ouverts par un couple qui n’avait pas d’enfant et qui avait un fort désir d’en avoir. Ils avaient déjà une fille adoptive. Je ne sais pas exactement comment j’ai vécu le fait d’être placée à 5 ans, car pour moi, c’était la chose la plus normale du monde d’avoir deux mamans et deux papas et de vivre entre deux familles. J’étais habituée à faire deux cadeaux pour la fête des mères et la fête des pères et à écrire deux lettres pour le père Noël. Bien sûr, il y a eu des moments plus difficiles. Enfant, par exemple, je me suis demandé plus d’une fois pourquoi je ne pouvais pas vivre avec ma mère biologique. Mais ce sentiment n’a pas duré, parce qu’en compensation, j’ai reçu un nouveau papa et une nouvelle maman qui ont fait tout leur possible pour s’occuper de moi, et qui m’ont traitée comme leur propre fille.

Comme je n’avais aucune confiance en personne, j’ai mené la vie dure à mes parents d’accueil. Mais ils n’ont jamais abandonné et n’ont jamais essayé de remplacer mes parents.

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Inestimable

En grandissant, j’ai compris davantage de choses et d’autres émotions sont alors apparues, comme la colère, surtout à l’égard de ma mère. Pourquoi ne pouvait-elle pas s’occuper de moi? Même les animaux s’occupent de leurs enfants! Comme j’avais très peu confiance en les autres, je n’ai pas facilité la tâche de mes parents d’accueil, mais ils n’ont jamais abandonné et n’ont jamais voulu remplacer mes parents. Ils se considéraient plutôt comme des aidants. Et je suis finalement tombée folle d’amour pour eux! Je me considère comme chanceuse. Grâce à ma famille d’accueil, j’ai eu la chance de me développer et de devenir la femme que je suis aujourd’hui. C’est en partie grâce à eux que je peux poursuivre mes rêves. Sinon, je serais peut-être restée une enfant des rues, qui sait?

En grandissant, d’autres émotions sont alors apparues, comme la colère. Pourquoi ma mère ne pouvait-elle pas s’occuper de moi?

Quand on est enfant, on veut avant tout se sentir aimé et en sécurité. Ce n’était pas possible avec mes parents biologiques, mais heureusement mes parents adoptifs m’ont offert ce havre de paix. Je suis restée sous l’aile d’une famille d’accueil jusqu’à l’âge de 21 ans, mais je suis toujours une enfant dans leur foyer, et je ne peux pas imaginer la vie sans eux. J’ai toujours pensé que je voudrais un jour devenir moi-même parent d’accueil, parce que j’ai eu une chance extraordinaire et que je sais mieux que quiconque combien d’enfants ont besoin d’un foyer chaleureux. Mais aujourd’hui, je ne sais pas si je suis la bonne personne pour cela. D’une part, je suis devenue plus égoïste. D’autre part, je pense que je refléterais trop ma propre situation sur un enfant. Ce que j’ai vécu n’est pas nécessairement ce qu’ils ont vécu. Mais il ne faut jamais dire jamais. Cette porte est toujours entrouverte. À tous les parents d’accueil, et en particulier aux miens: merci d’avoir ouvert votre maison et votre cœur. Vous êtes inestimables! »

Zoë, 18 ans, a été placée à l’âge de 3 ans en raison d’une situation familiale dangereuse, et a vécu dans une famille d’accueil pendant neuf ans.

« Même si de nombreuses personnes souhaitent avoir des enfants, tout le monde n’est pas fait pour être père ou mère. Mes parents biologiques en sont un bon exemple. J’avais à peine 3 ans lorsque mes deux frères, ma sœur et moi-même leur avons été retirés. Je préfère ne pas entrer dans les détails, mais j’ai passé les sept années suivantes dans un foyer pour les enfants qui ne peuvent pas vivre chez eux en raison des circonstances familiales. Avant de me retrouver dans ma désormais ex-famille d’accueil, l’un de mes frères et moi avons été placés dans une même famille d’accueil. Au bout de deux mois seulement, ce placement a été interrompu parce que la famille en question avait sous-estimé la prise en charge de deux enfants en même temps. Ça a été une vraie gifle pour moi, et j’ai beaucoup jalousé mon frère, qui a été autorisé à y rester.

Finalement, une autre famille d’accueil est entrée en scène, dans laquelle je suis restée neuf ans. Pour moi, il y a eu deux phases qui constituent le fil conducteur de mon histoire d’enfant placé. Mes parents d’accueil m’ont ­donné un toit, des repas et de nombreuses opportunités de construire mon avenir, mais le chemin a été semé d’embûches, tant pour moi que pour eux. Comme mes parents n’étaient pas en mesure de s’occuper de moi, j’avais une très faible estime de moi-même. En raison de ma situation familiale, j’ai eu du mal à accepter que l’on veuille de moi. Je ne me sentais à ma place nulle part. Et lorsque vous avez l’impression de n’être accepté par personne, cela crée un effet boule de neige, car vous considérez tout de ce point de vue, y compris ce qui se passe au sein de la famille d’accueil. Par exemple, si j’avais une grosse dispute avec ma sœur adoptive et que mes parents adoptifs ne prenaient pas ma défense, je le vivais comme une confirmation que je n’étais pas à ma place et pas digne d’être aimée.

Mes parents adoptifs m’ont rappelé aussi souvent que possible que même en tant qu’enfant placé, j’avais droit à l’amour et à un bon foyer.

Sauveteur en détresse

Pendant mon enfance, je n’ai jamais vraiment appris à exprimer normalement des émotions telles que la colère et la tristesse, si bien que je devenais régulièrement agressive verbalement. Cette accumulation de conflits a provoqué une rupture au sein de ma famille d’accueil. Et les morceaux n’ont pas été faciles à recoller. Désireuse d’être plus autonome, j’ai entamé, à 18 ans, une procédure pour ne plus être sous l’aile de ma famille d’accueil. Une décision que mes parents d’accueil ont soutenue, car cette distance était nécessaire et allait permettre à chacun de souffler. Aujourd’hui, ils ne sont plus responsables de moi, mais je suis toujours la bienvenue et je sais qu’ils seront toujours là pour moi. La période que j’ai passée dans ma famille d’accueil a parfois été extrêmement difficile, mais je la considère comme une chance. J’y repense avec beaucoup de gratitude. Pour moi, le plus grand défi a été de m’aimer, de me dire que je méritais ce que j’avais et ce qui venait à moi. C’est ma plus belle victoire aussi, car j’ai réussi à développer de l’amour propre, et cela n’aurait pas été possible sans mes parents d’accueil. Ils m’ont rappelé aussi souvent que possible qu’en tant qu’enfant placé, j’avais tout autant droit à l’amour qu’à un bon foyer.

Les familles d’accueil sont indispensables, mais cela n’enlève rien au fait qu’il s’agit d’un défi pour toutes les parties concernées. Personne ne se retrouve en famille d’accueil comme ça. Ce sont tous des jeunes vulnérables qui portent un certain bagage. Dans mon cas, le placement en famille d’accueil m’a sauvée. Je ne pense pas que j’aurais eu la persévérance nécessaire pour faire quelque chose de ma vie sans eux. »

Morgane, 19 ans, a un lien indescriptible avec sa mère d’accueil, qui est dans sa vie depuis sa naissance. « Je suis l’un des milliers d’enfants de Belgique qui a vécu dans des familles d’accueil. »

« Ma mère avait 18 ans lorsqu’elle m’a donné naissance, et mon père n’a jamais été présent jusqu’à aujourd’hui. À 12 ans, j’ai fait ma première et unique tentative d’approche lorsque je l’ai vu annoncer sur Facebook qu’il attendait sa première fille.... Heureusement, la meilleure amie de ma mère, que j’appelle “Mamé”, était à mes côtés. Mamé a toujours été à la maison, pour aider ma mère à s’occuper de moi. Franchement, ce n’était pas du luxe, car ma maman est difficile à gérer, elle n’est pas souvent maître d’elle-même. Elle souffre d’un trouble borderline, un trouble de la personnalité caractérisé par de brusques changements d’humeur et de comportement. Une personne borderline peut éprouver les sentiments les plus intenses, puis se sentir et se comporter très différemment quelques minutes plus tard. Cela signifie notamment qu’il n’est pas naturel pour elle de nouer des relations durables, y compris avec son enfant.

D’aussi loin que je me souvienne, on a toujours eu une relation mère-fille difficile, avec beaucoup de hauts et de bas. Un instant, j’étais tout pour elle, l’instant d’après – généralement lorsqu’un homme entrait en jeu – je n’étais plus rien. Au fil des ans, il s’est produit plusieurs choses intolérables, qu’un enfant ne devrait absolument pas avoir à vivre. Heureusement, je passais le plus clair de mon temps avec Mamé. Je n’aimais être nulle part ailleurs qu’avec elle. Comme ma mère luttait également contre la toxicomanie, les choses ont fini par dégénérer et après un incident survenu pendant le réveillon de 2012, la police a décidé de faire appel à une famille d’accueil. C’est ainsi que Mamé est officiellement devenue ma mère adoptive.

Inséparables

Je pense que le système de placement familial est bien conçu. La seule chose qui m’a posé problème, c’est que ma mère avait encore son mot à dire dans mes activités. Par exemple, elle décidait de l’école que j’allais fréquenter et de la façon dont je me faisais couper les cheveux et du moment où je le faisais. Ce genre de situation me poussait à chaque fois dans mes retranchements et je voyais cela comme le revers de la médaille. À l’école, le fait que j’étais un enfant placé a parfois fait l’objet de moquerie. J’ai eu droit à des commentaires du genre: “Je comprends que ta mère ­préfère la drogue à toi.” Ce n’était pas drôle à entendre, mais pour le reste, le placement en famille d’accueil n’a eu qu’un impact positif sur ma vie. Le placement officiel en famille d’accueil a pris fin le jour de mes 18 ans, mais j’ai été heureuse qu’il soit prolongé jusqu’à mon 21e anniversaire. Je sais que tous les enfants placés n’ont pas toujours de bonnes expériences, mais un bon parent d’accueil qui a le cœur sur la main, ça vaut de l’or.

Mamé a été présente à chaque étape importante de ma vie, aussi lorsque j’ai été confrontée à des émotions intenses.

Mamé et moi sommes très proches. Bien que nous ne partagions pas le même sang, je la considère comme ma famille. Elle a vu mon premier sourire et était assise au premier rang lorsque j’ai fait mes premiers pas. Elle a été présente à chaque étape importante de ma vie, mais aussi lorsque j’ai dû faire face à des émotions intenses. Mamé n’est pas seulement ma mère adoptive, elle est aussi mon père adoptif, ma sœur, ma meilleure amie et mon refuge dans ce monde. Elle a toujours veillé à ce que je puisse vivre mon enfance ­correctement malgré ma situation familiale difficile. Si elle n’avait pas été là, j’aurais sans aucun doute eu une vie complètement différente, avec beaucoup moins ­d’opportunités. Je ne la remercierai jamais assez pour tout ce qu’elle a fait pour moi au cours des 19 dernières années. Depuis qu’on lui a diagnostiqué la maladie d’Alzheimer, j’essaie de faire la même chose pour elle. »

Texte: Marijke Clabots et Justine Rossius

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